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Le recours à des tiers pour lutter contre la soustraction à l’impôt

§1. — L’aviseur fiscal à défaut de ministère public

Au départ, dans les sociétés antiques, il revient aux citoyens la charge de veiller au bon fonctionnement de la cité. Ces citoyens défendent la cité et prennent de leur propre chef l’initiative de la dénonciation vis à vis de tous ceux qui ont violé la loi. En effet, dans ces cités, il n’y a pas de ministère public. Les actions se font sur la base d’accusations qu’un tiers prononce devant l’autorité compétente. Si l’action aboutit, le tiers reçoit une rémunération ou

614 Dion, Histoire Romaine, IX, 62, 2-12, « καὶ ἄλλοι ὑπ´ αὐτῶν ἐσκεδάννυντο· τούς τε τοξότας οἱ µὲν ὁµόσε

σφίσιν ἰόντες ἔτρεπον, οἱ δὲ πόρρωθεν ἐφυλάσσοντο. Καὶ ταῦτα οὐ καθ´ ἓν ἀλλὰ τριχῇ πάνθ´ ὁµοίως ἐγίνετο. Ἠγωνίσαντο δὲ ἐπὶ πολὺ ὑπὸ τῆς αὐτῆς ἀµφότεροι προθυµίας καὶ τόλµης. Τέλος δὲ ὀψέ ποτε οἱ Ῥωµαῖοι ἐνίκησαν, καὶ πολλοὺς µὲν ἐν τῇ µάχῃ καὶ πρὸς ταῖς ἁµάξαις τῇ τε ὕλῃ κατεφόνευσαν, πολλοὺς δὲ καὶ ζῶντας εἷλον. Συχνοὶ δ´ οὖν καὶ διέφυγον, καὶ παρεσκευάζοντο µὲν ὡς καὶ αὖθις µαχούµενοι, ἀποθανούσης δὲ ἐν τούτῳ τῆς Βουδουίκης νόσῳ ἐκείνην µὲν δεινῶς ἐπένθησαν καὶ πολυτελῶς ἔθαψαν, αὐτοὶ δ´ ὡς καὶ τότε ὄντως ἡττηθέντες διεσκεδάσθησαν. » 615 THUCYDIDE, I 98, 4-99

une partie de l’argent fraudé. À défaut, si l’action n’aboutit pas, du fait de la mauvaise foi du tiers, celui-ci encourt une sanction.

Pour la Mésopotamie, nous trouvons une correspondance du Roi qui, après une accusation à l’encontre d’un prétendu fraudeur, demande à ce que des investigations soient effectuées sur place et que les agents viennent lui présenter le résultat accompagné des présumés contrevenants616. Sous la République, à Rome, un tiers doit se présenter devant le juge afin

d’obtenir « l’autorisation de porter le nom »617 du fraudeur devant le jury. Quand le juge a

accepté de recevoir618 ce nom, le tiers se présente avec les éléments et les témoins devant le

jury619 pour étayer ses accusations.

En Grèce, Aristophane, dans sa pièce Ploutos, montre l’importance et l’activité des tiers. Ainsi son personnage de "l’aviseur fiscal" explique qu’il est un « honnête homme, un bon citoyen et ami de l’État, » il ajoute « être le curateur de l’État et des particuliers» 620. Un autre

personnage, Chrémyle, lui demande alors « de quel droit il tire cette habilitation », ce dernier lui répond « c’est servir (la patrie) que de prêter main-forte aux lois, et de ne pas souffrir que personne ne s’en écarte» 621.

En Grèce Aristote et Platon vantent les mérites du parrésiaste comme l’a rappelé Michel Foucault dans une de ses dernières interventions au collège de France622. Le parrésiaste est

nécessaire à toute démocratie, il fait preuve de courage en dénonçant de manière argumentée les abus dont il a connaissance parfois même au péril de sa vie.

À Rome, c’est Auguste qui avait mis en place des tiers chargés de veiller au respect des lois dans un premier temps pour les lois matrimoniales, les "aviseurs" étant alors rémunérés par une partie des biens saisis. Puis comme le souligne Yan Rivière ces tiers ont étaient chargés de défendre « les intérêts du Trésor impérial(…) où pouvait naitre des contestations concernant un droit de propriété »623.

Mais, à coté de ce héros qui agit pour le bien public, il y a le « contre héros », le délateur, le calomniateur celui dont tout le monde se méfie et que tout le monde redoute. En Grèce il est connu sous l’appellation de sycophante.

À Rome le code de Justinien marque bien la différence entre le dénonciateur et le délateur.

Il résulte des divers règlements qui existent à ce sujet que ceux qui par devoir défendent les intérêts de la république, ne peuvent être accusés de délation. En effet, ceux-là seuls sont délateurs punissables qui font au fisc des dénonciation contre les particuliers 624.

616 AbB 2 11, n° archibab T96 : « Fais conduire devant moi les hommes qui ont perçu le pot de vin et les

témoins qui connaissent ces faits, que Šumman-la-ilum te montrera! ».

617 Deferre neminem 618 Recipere

619 Delatio nominis, cf. Le commentaire de Yann RIVIÈRE, « Rome impériale : les délateurs, le prince, le

tribunal ».

620 ARISTOPHANE, Ploutos, 850-855. 621 Ibid, 865.

622 M. FOUCAULT, « Le Courage de la vérité. Le Gouvernement de soi et des autres II ». Cours au Collège de

France, 1984.

623 Yann RIVIÈRE, « Rome impériale : les délateurs, le prince, le tribunal », in, Citoyens et Délateurs, 2005,

p.25-27.

Enfin, certains n’agissent pas forcément dans l’intérêt de la cité, souvent ils sont motivés par l’appât du gain.

§2. — Le délateur fiscal: une fonction lucrative.

Cette fonction fort peut noble du délateur est évoquée à maintes reprises aussi bien dans la littérature de l’antiquité que dans les textes juridiques.

En Grèce, Aristophane dans la pièce l’Assemblée des femmes, imagine qu’un gouvernement de femmes à pris la place des anciens. L’une d’elles, Praxagora, propose d’interdire les sycophantes « il sera désormais interdit de porter témoignage et de dénoncer ». À cette proposition le sycophante de la pièce, Blépyros, répond « Ah ! non, par les dieux ne fais pas cela, ne m’enlève pas mon pain ! »625. Dans une autre de ses pièces Ploutos, le personnage de

Chrémyle, demande au sycophante s’il « appris quelque métier » qui lui permet de gagner sa vie. La réponse est sans appel : « Non, par Jupiter ! Je suis curateur des affaires de l’État et celles des particuliers »626.

Par ailleurs Aristote donne une synthèse du risque pervers de cette mesure qui doit être utilisée à bon escient.

Il faut empêcher la foule, qui n'y doit rien gagner, de condamner si fréquemment les accusés soumis à sa juridiction. Il faut en outre prévenir la multiplicité de ces jugements publics, en portant de fortes amendes contre ceux qui échouent dans leurs accusations; car d'ordinaire les accusateurs s'en prennent à la classe distinguée plutôt qu'aux gens du peuple. Or il faut que tous les citoyens soient attachés le plus possible à la constitution, ou que du moins ils ne regardent pas comme des ennemis les souverains mêmes de l'État627.

Carine Doganis relève que le sycophante transforme la société de confiance en société de défiance. Elle note que « le sycophante incarnait le peuple au sens le plus péjoratif : l’oligarque n’emploie pas le terme démos pour le qualifier mais utilise le terme ochlos c’est à dire « la populace »628.

À Rome Tacite s’est ému de l’action et de la rémunération de ces personnages: « Ainsi les délateurs, cette race qui avait surgi pour perdre l’État, et que les châtiments mêmes ne réprimèrent jamais suffisamment, les délateurs étaient encouragés par des récompenses »629.

625 ARISTOPHANE, L’assemblée des femmes, 558-563. Commentaire de C. DOGANIS, Aux origines de la

corruption, Démocratie et délation en Grèce ancienne, Paris, PUF, 2007, p.80-82.

626 ARISTOPHANE, Ploutos, 865. 627 ARISTOTE, Politique, VII, 3, 2

628 C. DOGANIS, Aux origines de la corruption, Démocratie et délation en Grèce ancienne, Paris, PUF, 2007,

p.172-173.

D’ailleurs, les femmes, que les Triumvirs ont soumises au tribut, se sont offensées que l’on puisse avoir recours contre elles aux délateurs afin de s’assurer qu’elles ne dissimulent pas leurs richesses630.

Si le recours à la dénonciation apparait aux cités comme une nécessité pour préserver l’intérêt général, elles ont tout de même pris des mesures pour éviter les dérives de cette pratique. Ainsi le Code de Hammourabi631 et le Digeste prévoient des sanctions à l’encontre de

ceux qui auraient porté de fausses accusations.

Si l’autorité peut avoir connaissance par l’intermédiaire de tiers, de ceux qui se sont soustraits à l’impôt, elle peut en être informée également par les contribuables eux-mêmes. Ces derniers viennent plaider leur cause devant elle, s’installe alors le dialogue fiscal.