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CHAPITRE 2 : LES RÉPERCUSSIONS DES NOUVELLES RÉALITÉS DE L’AVIATION

2. Les formes atypiques de relations de travail

2.2. Les contrats de travail atypiques

2.2.2. La non-reconnaissance syndicale

Dans un autre ordre d’idées, le droit à la représentation syndicale constitue une liberté fondamentale au sens de la Convention n° 87309, dont tous les États occidentaux sont parties et ont intégré ses principes au sein de leur cadre juridique. Or, tel qu’évoqué précédemment, le caractère atypique du cadre de droit du travail irlandais et de la jurisprudence qui l’entoure transparaît particulièrement en cette matière.

Afin d’illustrer ces propos et de bien saisir les particularités du cadre juridique irlandais en cette matière, il est pertinent d’étudier la dernière décision de la Cour Suprême irlandaise relativement à la représentation syndicale des pilotes de Ryanair310. En 2004, afin de remplacer sa flotte de Boeing 737 série 200 vieillissante par des 737 série 800 à la fine pointe de la technologie de l’époque, le transporteur contraint ses pilotes à payer 15 000 euros de formation sur type afin de se requalifier sur la nouvelle version de l’aéronef311. Ce montant

307 Jorens, supra note 7 à la p 37. 308 Ibid à la p 39.

309 Convention n°87, supra note 205 art 2.

310 Bien que nous savons que Ryanair s’engage désormais à reconnaître et négocier avec différents syndicats, il

demeure avantageux de mettre en lumière ce jugement en raison du poids jurisprudentiel qu’il représente.

311 Il est important de noter que les pilotes sont formés sur chacun des types d’aéronefs volés et qu’en raison

des grandes différences de systèmes entre les deux séries, l’entreprise devait s’assurer qu’ils soient qualifiés sur le nouvel aéronef ; Michael Doherty, « Ryanair ruling serious for Labour Court role », The Irish Times (février 2007), en ligne : < https://www.irishtimes.com/opinion/ryanair-ruling-serious-for-labour-court-role>.

fut rapidement jugé excessif par ceux-ci. En guise de contestation, un groupe de ces pilotes de Dublin signèrent une lettre destinée à l’entreprise dans laquelle était écrit que le montant réclamé par l’entreprise dépassait le revenu annuel net de ces travailleurs et que l’imposition de la décision du paiement d’un tel changement d’appareils sans consultation auprès des travailleurs était considérée comme frustrante et injustifiée en raison de la menace de la perte d’emploi en cas de non-paiement de la somme réclamée312. Parce que certains pilotes étaient

membres de l’Irish Airline Pilots Association (IALPA), le syndicat tenta d’amorcer une négociation collective avec Ryanair, sans véritable succès. Suite à cet échec, le syndicat plaça une plainte formelle au Labour Court, qui rendit une décision contraignant Ryanair à négocier de bonne foi avec cet organe syndical. Parce que foncièrement contre le principe de la négociation syndicale, l’entreprise porta alors la cause en appel, se défendant de ne pas entreprendre de négociation avec des représentants de ses salariés. En effet, à cette date, Ryanair négociait exclusivement avec les Employee Représentative Committees (ERC), comités composés de travailleurs mis sur pied par le transporteur.

Le Labour Court, en raison de la nature de l’ERC et des consultations (surnommées les Town Hall Meetings), décréta que la négociation collective engendrée par l’entreprise ne constituait pas en soi une forme de consultation valable au sens de la Loi313. En février 2007, la Cour Suprême irlandaise rendit un jugement dans l’affaire opposant Ryanair, le Labour Court et l’Irish Municipal Public and Civil Trade Union (IMPACT), renversant le jugement initial pour faute de preuves, établissant que l’ERC était un organe à vocation consultative314. En effet, en vertu du Trade Union Act de 1941315, il était dans le droit de l’employeur de refuser

312 Ryanair v The Labour Court, [2007)] IESC 377/05 à la p. 21 [Ryanair v Labour Court] 313 Ibid à la p 31.

314 Ibid aux pp 31, 42, par 1, p 43 par 3 (L’Irish Airline Pilot Association (IALPA) est une filiale de

l’IMPACT) ; Industrial Relations (Amendment) Act LR Ir 2001 art 2(1) ; Industrial Relations (Miscelaneous

Provisions) Act LR Ir 2004.

de négocier avec un syndicat, à condition qu’une négociation de bonne foi soit intentée avec un groupe de travailleurs316. En effet, le cadre juridique irlandais permet à un syndicat reconnu de représenter un groupe de travailleurs dans l’éventualité où le Labour Court est saisi et que l’employeur refuse de reconnaître un syndicat dans son organisation. Il est à noter que la définition de la négociation collective comprise dans l’Industriel Relations (Amendment) Bill317 de 2015 se lit encore à ce jour comme étant un engagement volontaire

face à la négociation entre syndicats et employeurs318. Or, cette loi est interprétée de façon à contraindre les entreprises à engager des négociations avec leurs travailleurs (excepted bodies)319. Si elles s’y conforment, les syndicats impliqués ne peuvent faire valoir leurs

privilèges de négociation320. Bien que cette loi récente représente une grande avancée dans

316 À cet effet, voir Bacik, supra note 210 (l’amendement à l’Industriel Relations Act de 2001 prévoit que le

Tribunal du Travail (Labour Court) peut rendre une décision juridiquement contraignante sur la rémunération et les conditions de travail dans les cas où un employeur refuse de reconnaître un syndicat. Toutefois, la Cour ne peut contraindre un employeur à reconnaître ledit syndicat. La racine ce principe réside dans la jurisprudence irlandaise. Dans l’arrêt Abbott and Whelan v ITGWU and the Southern Health Board (1982) 1 JISLL 56, le juge reconnait le droit constitutionnel d’être partie et représenté d’un syndicat. Il ajoute qu’il n’est d’aucune façon la responsabilité de l’employeur de négocier avec quelconque organisation)

317 Industrial Relations (Amendment) Act 2015 (27/2015), s. 27, S.I. No. 329 of 2015

318 Doherty, Michael. « Engagements, Unions and the Law: the ‘Re-boot of’ Collective Bargaining in Ireland –

Human Rights in Ireland » (2015), en ligne : Human Rights in Ireland [Doherty 2015] (l’utilisation du terme « volontaire » revêt un caractère incertain et porte à interprétation. Cette terminologie n’a pas d’égal ailleurs et devrait être omise, selon Michael Doherty, Professeur de droit à Maynooth Universit. Il affirme par ailleurs que la notion de « négociation de bonne foi » entre l’employeur et le syndicat ou l’association de travailleurs devrait être prévue dans la loi.)

319 Industrial Relations (Amendment) Act 2015 (27/2015), s. 27, S.I. No. 329 of 2015 (1)(B) (« For the purposes

of this Act, ‘ excepted body to which this Act applies ’ means a body that is independent and not under the domination and control of an employer or trade union of employers, all the members of which body are employed by the same employer and which carries on engagements or negotiations with the object of reaching agreement regarding the wages or other conditions of employment of its own members (but of no other employees) »)

320 Doherty 2015, supra note 319 (dans le jugement émis en 2007, l’entreprise basait sa défense en affirmant

avoir négocié avec ses travailleurs, via l’Employee Representative Councils, organe créé et contrôlé par l’entreprise, selon l’IALPA. La section 23 de la nouvelle loi donne le mandat au Labour Court de déterminer l’indépendance de ce genre d’organe. L’entreprise est également soupçonnée d’intimidation sur des travailleurs souhaitant se pourvoir de la loi. Des dispositifs ont été mis en place pour garantir l’anonymat aux plaignants (Amendement au Unfair Dismissal Act de 1977).)

le droit du travail irlandais, il demeure que certains aspects de celle-ci laissent place à une interprétation en faveur des entreprises refusant la négociation syndicale321.