• Aucun résultat trouvé

6 Conclusions

6.2 Recommandations opérationnelles

Comment ces résultats peuvent-ils se traduire en recommandations de santé publique ? La formulation de recommandations doit tenir compte non seulement des connaissances scientifiques – et une seule étude n’est en général pas suffisante pour prouver l’intérêt d’une stratégie de prévention –, mais aussi de la faisabilité dans le contexte local. L’originalité de ce travail de thèse était notamment l’échelle spatiale d’étude. Les réflexions qui en découlent se rapportent donc principalement à cette problématique :

quelle échelle spatiale recommander pour la surveillance ? Quelle échelle spatiale recommander pour l’action en santé publique ? Dans le contrôle des maladies, la surveillance et l’action sont deux faces d’une même pièce : une bonne stratégie d’intervention associée à une mauvaise surveillance est vouée à l’échec, et inversement. Outre la dimension spatiale, la notion de temps a également son importance.

 La surveillance

Tout d’abord, en matière de surveillance, le message principal que nous pouvons formuler aux autorités sanitaires est de privilégier une surveillance à l’échelle des centres de santé. Cela ne nécessiterait pas une refonte totale du système actuel puisque les fondements sont déjà là : la notification des cas suspects est faite à la base du système par les centres de santé et le Niger dispose d’un recensement de tous les centres de santé du pays et d’une carte sanitaire à l’échelle des aires de santé. L’effort nécessaire pour mettre en place une telle surveillance à l’échelle des centres de santé serait donc modeste : il faudrait que les districts, qui reçoivent les notifications des centres de santé, envoient aux directions régionales un fichier récapitulatif des données brutes par centre de santé, au lieu des données agrégées. Au niveau régional et central, cela impliquerait seulement un changement de format des fichiers de surveillance.

L’intérêt de l’échelle des centres de santé pour la surveillance des méningites a été établi parallèlement dans l’Article I et dans un article de Tall et al. (2012). Ces deux études concernent deux pays différents (Niger et Burkina Faso) et par conséquent deux bases de données distinctes. Elles mettent également en œuvre deux méthodes différentes de description des épidémies, la première faisant appel à des méthodes de détection d’agrégats spatiaux et la deuxième étant basée sur la définition de seuils d’incidence. Les analyses convergent en revanche dans leurs conclusions en mettant en évidence une forte hétérogénéité spatiale à l’intérieur des districts (coexistence d’incidences très élevées et d’incidence très basses parmi les aires de santé au sein d’un même district) et la présence d’épidémies géographiquement très localisées : les agrégats détectés dans la première étude concernaient en médiane 10 % des aires de santé d’un district et les épidémies localisées concernaient en médiane 6 % de la population d’un district dans la deuxième étude. Il apparaît ainsi indispensable d’utiliser l’échelle des centres de santé pour identifier le plus précisément possible les populations et régions concernées par une épidémie. Ce point a également été soulevé lors de la conférence d’experts sur les priorités de la recherche sur le

méningocoque en Afrique (Greenwood, 2013). Cette échelle ne doit pas nécessairement remplacer l’échelle actuelle des districts. On peut en effet imaginer aisément une surveillance « multi-échelle » qui combinerait à la fois les centres de santé et les districts. Un tel système, plus souple, serait alors en mesure deux capter deux types de signaux, des augmentations d’incidence très localisées, à l’échelle d’un centre de santé, ou plus étendues, à l’échelle d’un district.

Le deuxième avantage à utiliser une surveillance à l’échelle des centres de santé pourrait être une détection plus précoce des épidémies comparée à l’échelle des districts. Au vu des résultats des deux études réalisées à l’échelle des aires de santé, cet argument demande encore à être confirmé. Dans l’Article I, respectivement dans l’article de Tall et al., l’application de seuils épidémiques à l’échelle des aires de santé permettait dans 33 % des cas, respectivement 27 %, de détecter les épidémies au moins une semaine avant les seuils à l’échelle des districts. La combinaison d’un seuil d’alerte et d’un modèle prédictif au sein d’un système d’alerte précoce tel que celui développé dans le chapitre 5, pourrait permettre de gagner quelques semaines précieuses dans la détection des épidémies. Les analyses doivent encore être approfondies et ne nous permettent pas de tirer de conclusion définitive à ce stade.

 L’action

En matière d’intervention de santé publique, le contrôle des épidémies de méningite à méningocoque en Afrique subsaharienne repose sur deux composantes centrales : la réduction de la létalité par une bonne prise en charge des malades (via le diagnostic, le traitement, le suivi…) et la réduction de la morbidité par la vaccination réactive (Bertherat, 2007). L’utilisation de l’échelle des aires de santé peut opérer sur ces deux composantes.

Allocation des ressources. En premier lieu, pour réduire la létalité, la prise en charge des malades peut être améliorée par une meilleure allocation des ressources dans les zones en ayant le plus besoin. Les « ressources » évoquées ici concernent aussi bien les ressources matérielles pour le diagnostic (tests de diagnostic rapides (S. Chanteau et al., 2006; Hamidou et al., 2008)) et le traitement (antibiotiques) que les ressources humaines (personnel médical). L’un des objectifs de notre travail était d’identifier les zones à risque, zones les plus fréquemment touchées. L’analyse des agrégats spatiaux a surtout montré que d’une année sur l’autre, les aires de santé touchées sont très variables. La fréquence de

détection d’agrégats dans une même aire de santé est trop faible sur les sept années d’étude pour formuler ici des recommandations d’allocation des ressources dans des aires de santé spécifiques. Il paraît plus judicieux de cibler le renforcement des moyens dans les neuf districts identifiés comme les plus fréquemment touchés.

Vaccination réactive. En second lieu, pour réduire la morbidité, les stratégies de vaccination réactive doivent être améliorées. L’un des paramètres clés dans le contrôle des épidémies par la vaccination réactive est le temps. Deux études au Ghana et au Togo ont montré que chaque semaine de retard dans la vaccination réactive résultait en une diminution de 3 à 8 % du nombre de cas évitables (Kaninda et al., 2000; Woods et al., 2000). Pour réduire le temps de réaction, la première possibilité est de jouer sur le curseur de la détection : plus la détection intervient précocement dans la progression de l’épidémie, plus les autorités disposent de temps pour organiser la réponse. Cette question de la détection précoce a été évoquée au point précédent. La deuxième possibilité est de jouer sur le délai entre détection et vaccination effective. Ce délai comprend la commande des vaccins, leur acheminement dans les régions en épidémie, la campagne de vaccination et le développement de l’immunité. Les deux derniers éléments sont incompressibles. En revanche, une ou plusieurs semaines pourraient être gagnées sur les étapes de commande et de déploiement des vaccins, d’une part en anticipant dès le début de la saison de la méningite les quantités de doses de vaccin nécessaires, et d’autre part en pré-positionnant ces vaccins dans des lieux stratégiques.

Comme nous l’avons montré dans l’Article II, la précocité des épidémies joue un rôle important dans leur incidence cumulée finale : à l’échelle du pays, l’incidence annuelle est hautement corrélée à l’incidence précoce et au nombre d’aires ayant des cas précoces. Ainsi, dès le mois de décembre, l’ampleur qu’aura l’épidémie dans le pays peut être estimée assez précisément. Il serait donc envisageable de constituer dès janvier un stock de vaccins proportionnel à la taille estimée de l’épidémie nationale, à la fois en vérifiant les stocks éventuellement disponibles dans le pays et en commandant les doses manquantes auprès du GIC pour les stocker dans la capitale. Ainsi, même si la localisation géographique précise des épidémies est encore inconnue, le pays pourrait être prêt à y faire face avec une réponse vaccinale proportionnée. Cette anticipation ferait gagner du temps par rapport à une commande qui n’interviendrait qu’après la détection d’une épidémie localisée, et ainsi améliorerait le nombre de cas évités par la vaccination.

Concernant le pré-positionnement dans des lieux stratégiques, les modèles développés jusqu’ici, dans cette thèse ou par d’autres auteurs, ne permettent pas en l’état de recommander le pré-positionnement des vaccins avant le démarrage de la saison à une échelle administrative plus basse, au niveau de certains districts ou aires de santé. La présence de cas précoce dans une aire de santé est un risque (Article II) mais ne suffit pas à prédire l’ampleur de l’incidence saisonnière. Les incertitudes des modèles doivent encore être réduites pour limiter au maximum les erreurs de pré-positionnement. Par ailleurs, une telle stratégie nécessiterait que la chaîne de froid puisse être maintenue localement.

En plus de la réduction des délais de détection et de vaccination, l’amélioration des stratégies de vaccination réactive repose aussi sur le choix des zones à vacciner. Après le paramètre « temps », il est en effet possible de jouer sur le paramètre « espace ». Les recommandations actuelles prennent déjà en compte la dimension spatiale et les interactions entre districts voisins. Ainsi, lorsqu’un district dépasse le seuil épidémique, le seuil d’alerte devient le seuil épidémique pour tous ses voisins (OMS, 2000). Autrement dit, un district dont un voisin a dépassé le seuil épidémique, doit théoriquement être vacciné dès le dépassement du seuil d’alerte, sans attendre le seuil épidémique. Si l’échelle de détection évolue vers les aires de santé, doit-on alors vacciner seulement l’aire ? ses voisines également ? ou tout le district ? La problématique reste la même : utiliser au mieux des quantités de vaccins limitées en ciblant les zones qui en ont le plus besoin. Ces questions ne sont pas encore résolues ici mais méritent d’être rigoureusement évaluées du point de vue de leur coût et de leur impact, avant toute recommandation. Nous avons montré à chacune des étapes de ce travail que la corrélation spatiale entre aires de santé voisines était un facteur important pour décrire, expliquer et prédire les épidémies localisées. Il apparaît donc essentiel de prendre en compte cette caractéristique pour l’élaboration des futures stratégies vaccinales. L’approfondissement des analyses du chapitre 5, ainsi que d’autres études en cours (Maïnassara et al., manuscrit en préparation), devraient apporter des éléments de réponse.