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4.1-Rappel bibliographique sur les nitrènes

4.1.1-Introduction

Les nitrènes, analogues azotés des carbènes, sont des espèces neutres déficientes en électron dont leur capacité à pouvoir s’insérer dans différentes liaisons (i.e. C=C, C-H) constitue aujourd’hui l’une des méthodes les plus efficaces pour l’introduction d’atomes d’azotes au sein de molécules organiques. Décrits pour la première fois en 1981 par Tiemann en tant qu’intermédiaires réactionnels intervenants dans le réarrangement de Lossen,96 ils ont été largement utilisés dans les années 50 et 60

pour la formation d’aziridine à partir de liaison C=C ou pour l’amination de liaison C-H (Schéma 123).

Schéma 123

D’un point de vue électronique, les nitrènes peuvent exister selon deux états dans lesquels deux des six électrons de valence vont se placer dans une des orbitales p dégénérées (état singulet) ou bien se séparer dans chacune des 2 orbitales p disponibles (état triplet)(Schéma 124).

Schéma 124

D’après les règles de Hund, un nitrène libre va ainsi préférentiellement se relaxer vers l’état « triplet » de plus basse énergie décrit comme ayant une très forte réactivité via la génération d’espèces radicalaires. Du fait de la formation de ces radicaux, les premières méthodes de synthèse décrites via la formation de nitrène libre ont souvent présenté une efficacité et une sélectivité moyenne avec la formation de produits secondaires non souhaités.97 Pour pallier à ces différents

problèmes, les équipes de Kwart et Khan ont initié à la fin des années 60 l’utilisation de métaux de transition en tant que catalyseurs pour le transfert de nitrènes.98 Un métal possédant un caractère à

la fois σ-accepteur et π-rétrodonneur est capable de conduire à un métallanitrène stabilisé dans l’état singulet. A partir de ces travaux, différentes méthodes de synthèse plus sélectives et plus efficaces ont ainsi pu voir le jour notamment pour la formation d’aziridine et l’amination de liaison C-H à partir de

96 F. Tiemann, Ber. Dtsch. Chem. Ges., 1891, 24, 4162-4167. 97 W. Lwowski, Nitrene, Interscience, New York, 1970. 98 H. Kwart, A. A. Kahn, J. Am. Chem. Soc., 1967, 89, 1950.

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cyclohexènes99 et de dérivés du styrène suivant des processus intermoléculaires100 ou

intramoléculaires101 (Schéma 125).

Schéma 125

4.1.2-Les précurseurs de nitrène

Durant ces 50 dernières années, la préparation de ces nitrènes a été décrite à partir de divers précurseurs tel que les azotures, les haloamines et les N-sulfonyloxycarbamates (Schéma 126).102

Schéma 126

Chacun de ces composés possèdent des avantages et des inconvénients ; par exemple l’utilisation de N-sulfonyloxycarbamate, stable et facile d’accès, nécessite l’ajout d’une base afin de générer le nitrène correspondant. Les azotures quant à eux sont des précurseurs de nitrène après l’élimination favorisée d’une molécule de diazote ; toutefois cette forte réactivité entraine une stabilité assez faible. L’utilisation d’haloamine permet de s’affranchir de l’ajout d’une base ou d’un oxydant supplémentaire. Cependant, bien que plusieurs méthodes de synthèses utilisant des complexes métalliques de cuivre ou de fer permettent de travailler en présence d’haloamine hydratée, l’utilisation d’haloamine déshydratée offre souvent de meilleurs rendements mais nécessite en revanche une étape de

99 a) H. Kwart, A. A. Kahn, J. Am. Chem. Soc., 1967, 89, 1951-1953. b) P. Müller, C. Baud, Y. Jacquier, Tetrahedron,

1996, 52, 1543-1548. c) D. Mansuy, J.-P. Mahy, A. Dureault, G. Bedi, P. Battioni, J. Chem. Soc. Chem.Commun., 1984, 1161-1163.

100 a) D. A. Evans, M. M. Faul, M. T. Bilodeau, J. Am. Chem. Soc., 1994, 116, 2742. b) R. S. Atkinson, M. J. Grimrhire, B. J. Kelly, Tetrahedron, 1989, 45, 2875-2886.

101 R. Breslow, S. H. Gellman, J. Am. Chem. Soc., 1983, 105, 6728-6729.

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déshydration préliminaire qui peut engendrer une dégradation du composé par explosion sous l’effet de la chaleur (ex : la chloramine T).

En dépit des inconvénients cités vide supra, les azotures continuent d’être au centre de méthodes de synthèse récentes, efficaces et innovantes pour le transfert de nitrènes catalysé par les métaux. Récemment l’équipe de Zhang a ainsi pu décrire la synthèse d’aziridine N-phosphorylée chirale via l’aziridination énantiosélective catalysée par un complexe de Co(II) de dérivés du styrène à partir d’azoture phosphorylé en tant que source de nitrène (Schéma 127).103

Schéma 127

Différentes aziridines phosphorylées chirales ont été obtenues avec de très bons rendements et une bonne énantiosélectivité. En plus de leur efficacité dans les réactions d’aziridination, il est à noter que les azotures phosphorylés et les dérivés aziridines correspondants possèdent aussi un intérêt pharmacologique du fait de la présence de liaison azote-phosphore, mais également grâce à la possibilité de cliver le groupement phosphoryle présent sur la fonction amine. L’utilisation d’azotures phosphorylés, facilement accessibles à partir des dérivés chlorés correspondant, connait actuellement un essor important.

Une approche différente consiste à utiliser les N-sulfonyloxycarbamates en tant que précurseur de nitrènes. Ces travaux ont récemment été mis en lumière par Lebel qui a développé la C-H amination en position benzylique de plusieurs dérivés aromatiques à partir de N-mesyloxycarbamates chiraux (Schéma 128).104 Lebel a employé des conditions similaires à celles mises en œuvre lors de la C-H

amination allylique d’alcènes qui, selon la configuration E/Z des substrats utilisés, est en compétition avec la formation des aziridines correspondantes.105 De bons rendements ainsi qu’une très bonne

diastéréosélectivité ont été observés.

Schéma 128

103 J. Tao, L. M. Jin, X. P. Zhang, Beilstein. J. Org. Chem., 2014, 10, 1282-1289. 104 H. Lebel, C. Trudel, C. Spitz, Chem. Commun., 2012, 48, 7799-7801.

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Récemment, l’équipe de Liu a quant à elle exploité les haloamines en tant que précurseurs de nitrène pour réaliser la C-H amination de composés aromatiques en position benzylique ou de dérivés α-oxygénés en utilisant la bromamine-T (Schéma 129).106

Schéma 129

Ces travaux ont ainsi mis en évidence la pertinence d’utiliser des complexes de fer non-hème en présence d’haloamine pour le transfert de nitrène. A noter que dans ce cas, le seul produit secondaire libéré dans le milieu réactionnel est le bromure de sodium, constituant ainsi une approche éco- compatible pour la C-H amination.