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Chapitre 3 : Discussion générale

2. Interprétation générale des résultats, implications et recherche future

2.2 Le ralentissement de l’EEG à l’éveil comme marqueur du déclin cognitif

Plusieurs indices laissent croire que les anomalies de l’EEG au repos résultent en fait de pathologies liées à l’âge ou à des changements dégénératifs précoces du cerveau plutôt qu’au processus de vieillissement comme tel. En effet, chez des sujets dont la cognition est saine et stable sur une période de 4,5 ans, la puissance relative thêta est corrélée positivement à la quantité de protéine tau contenue dans le liquide céphalorachidien, une mesure largement reconnue comme un marqueur de la MA (Stomrud et al., 2010). De plus, une puissance thêta plus élevée au temps de base chez des sujets sans atteintes cognitives objectives, mais présentant des plaintes cognitives subjectives, permet de prédire leur détérioration cognitive sur une période de 7 à 9 ans (Prichep et al., 2006), l’augmentation de la puissance delta apparaissant plutôt à des stades plus avancés (Prichep et al., 1994). Par ailleurs, de nombreuses études se sont intéressées à l’EEG à l’éveil dans le TCL (souvent associé au développement ultérieur d’une MA) et ces dernières montrent que des altérations de l’EEG, notamment une puissance relative thêta et une puissance absolue et relative alpha plus élevée au niveau

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postérieur, peuvent prédire la conversion des patients vers une démence (Jelic et al., 2000; Luckhaus et al., 2008). Certaines de ces anomalies semblent aussi être associées à un pronostic défavorable, entre autres une plus grande détérioration fonctionnelle et une mortalité plus élevée (Claus, Kwa, et al., 1998; Claus, Ongerboer de Visser, et al., 1998).

Nos résultats suggèrent que la présence d’anomalies au niveau de l’EEG à l’éveil peut non seulement être associée à la présence de troubles cognitifs, mais peut aussi prédire l’apparition d’un syndrome démentiel chez des patients avec un TCSPi. En ce sens, Iranzo et al. (2010) ont montré que les changements de l’EEG à l’éveil précédaient immédiatement l’apparition d’un TCL, qui touche habituellement 50 % des patients (Gagnon et al., 2009). À la lumière de ces résultats, cette mesure semble être un bon marqueur du déclin cognitif à court terme dans le TCSPi. D’ailleurs, les patrons de ralentissement observés apparaissent similaires à ceux rapportés dans la MP avec et sans démence et dans la DCL (Bonanni et al., 2008; Fonseca et al., 2009; Soikkeli et al., 1991). En outre, les rythmes cérébraux au repos ont été associés à maintes reprises au statut cognitif de patients souffrant de la MP. Plus précisément, les patients avec une MP et un TCL présentent une augmentation de la puissance relative thêta dans les régions postérieures (temporale postérieure, pariétale, occipitale) par rapport à des patients avec une MP sans TCL et des sujets contrôles (Fonseca et al., 2009), tandis que les patients cognitivement normaux sont semblables aux contrôles. Ces résultats sont similaires à ceux de notre première étude. De plus, les patients avec un TCL affichent généralement un patron de ralentissement intermédiaire entre ceux qui n’ont pas de troubles cognitifs et les patients avec une MPD. Ces derniers possèdent un EEG se caractérisant surtout par une augmentation globale des fréquences relatives lentes (delta et thêta) et une diminution

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des fréquences relatives rapides (alpha et bêta) (Caviness et al., 2007). Cette dernière étude a d’ailleurs trouvé des corrélations non spécifiques, un peu à l’image de notre propre étude, entre les bandes de fréquence lentes et les scores au MMSE (cognition globale), au Trail Making Test partie B (fonctions exécutives), à l’épreuve de l’horloge et au test de jugement des lignes de Benton (fonctions visuospatiales). Par ailleurs, deux études récentes montrent qu’une faible puissance relative alpha 1 (8-10 Hz) (Bousleiman et al., 2014) et une puissance relative thêta élevée (Benz et al., 2014) au niveau temporal est un indicateur d’un TCL concomitant dans la MP, ce qui apparaît encore une fois cohérent avec les résultats de notre première étude.

Quelques chercheurs ont aussi tenté de savoir si l’EEG à l’éveil pouvait prédire le développement d’une démence dans la MP et les stades précoces de la DCL. Une fréquence postérieure dominante plus faible que 8,5 Hz et une puissance relative thêta globale plus grande que 19 % a ainsi été associé à une plus grande incidence de démence chez des patients atteints de la MP après un suivi moyen de 3,3 ans. En ce qui a trait à la DCL, une FOD inférieure à 8 Hz et une variabilité de la FOD supérieure à 1,5 Hz ont permis de prédire l’évolution d’un TCL vers ce type de démence (Bonanni et al., 2015). Dans notre étude, la fréquence relative thêta au niveau temporal (cut-off : 18,7 %; sensibilité de 78 %; spécificité de 73 %) et occipital (cut-off : 15,3 %; sensibilité : 79 %; spécificité : 77 %) étaient les mesures les plus sensibles et spécifiques au développement d’une MND. Notons ici que les réseaux hippocampo-corticaux apparaissent jouer un rôle important dans la génération des oscillations thêta à l’éveil et l’hyperperfusion de l’hippocampe a d’ailleurs été reliée au développement ultérieur d’une MP ou d’une DCL dans le TCSPi (Dang-Vu et al., 2012;

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Klimesch, 1999). De plus, la MP et la DLB sont caractérisées par des atteintes cognitives au niveau visuoperceptuel et visuospatial. Ceci suggère que la fréquence thêta au niveau temporo-occipital chez des patients avec un TCSPi représente en fait une première signature d’une neurodégénérescence dans ces régions corticales et donc d’un déclin cognitif subséquent.

En somme, des altérations de l’EEG à l’éveil sont observées dans les stades précoces des syndromes démentiels et sont donc indicatives de la présence de troubles cognitifs en progression. De plus, certains de ces changements corrèlent avec la sévérité des déficits cognitifs, mais aussi avec des changements structuraux et métaboliques du cerveau (Grunwald, Hensel, Wolf, Weiss, & Gertz, 2007; Moretti, prestia, Binetti, Zanetti, & Frisoni, 2013). Il n’est donc pas surprenant de retrouver des altérations de l’EEG semblables chez des patients avec un TCSPi. Il est à noter que des corrélations entre les mesures de l’EEG et d’imagerie restent à être démontrées chez ces patients. Considérant le risque élevé de conversion dans le TCSPi, il est possible d’émettre l’hypothèse que le TCL associé au TCSPi constitue en fait un stade intermédiaire entre le TCSPi et une DCL ou une MPD (Boeve, 2010). En fait, des résultats préliminaires tirés d’une étude en cours au sein de notre laboratoire semblent appuyer cette idée. En effet, la présence de déficits cognitifs (au niveau de l’attention et des fonctions exécutives et de la mémoire épisodique verbale) prédit le développement d’une DLB près de 3,6 ans en moyenne avant le diagnostic (Génier Marchand, Montplaisir, Postuma, Rahayel, & Gagnon, 2015).

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