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Rahaf Mohammed, la fugueuse saoudienne

Dans le document LE QUART D HEURE DE CÉLÉBRITÉ (Page 21-25)

6 janvier 2019 : une jeune fille se barricade dans un hôtel de transit à l’aéroport de Bangkok. Elle bloque la porte de sa chambre avec une chaise, un bureau, le mate-las du lit. Elle ferme les rideaux puis, de son smartphone, se crée un compte Twitter et commence à envoyer des appels à l’aide. Des dizaines de messages et de vidéos dans lesquels elle raconte sa vie et sa fugue.

À 18 ans, après une enfance et une adolescence de soumission permanente aux sévères lois wahhabites en Arabie saoudite, Rahaf Mohammed al-Qunun s’est enfuie quand elle a compris que ses parents allaient la marier de force à un homme qu’elle n’aime pas. Plus jamais elle ne se pliera à leur autorité. Plus jamais elle ne subira leur éducation tyrannique. Aucune liberté, sans cesse des humiliations. Ils l’ont même enfermée

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six mois dans une pièce pour la punir de s’être coupé les cheveux. Rahaf rêverait de pouvoir se coiffer comme elle veut, s’habiller comme elle veut, épouser qui elle veut, et elle rêverait d’avoir le droit de ne pas croire. Sa mère et ses frères la frappent quand elle refuse de prier.

Ils la frappent pour l’obliger à porter le hidjab et l’abaya, une « robe islamique » couvrant l’ensemble du corps.

Ils lui reprochent d’avoir abandonné la religion, un crime passible de la peine capitale. Un cousin a menacé de la massacrer. À plusieurs reprises, Rahaf a pensé au suicide et, aujourd’hui, elle en est sûre : ses proches la tueront si elle remet un orteil dans son pays.

Vingt-quatre  heures plus tôt, elle a profité d’un voyage en famille au Koweït pour s’échapper. Elle a attendu que tout le monde soit endormi puis, de nuit, bravant sa peur, elle a pris la route de l’aéroport. Elle avait déjà acheté son billet. À 7 heures du matin, munie d’un visa touristique, elle a embarqué sur un vol pour la Thaïlande, espérant rejoindre ensuite l’Australie pour y demander l’asile politique. Mais une fois à Bangkok, au moment du transfert, des responsables saoudiens lui ont confisqué son passeport. « Mademoiselle, vous n’avez pas le droit de voyager. » Il lui manquait l’autori-sation de son tuteur. En l’occurrence, son père, puis-sant gouverneur de la province de Haïl. Sa cavale s’est donc arrêtée là, et maintenant, la police thaïlandaise compte la renvoyer au Koweït, une fois réglées les for-malités de son expulsion. Mais Rahaf s’y oppose, et c’est pour cette raison que, barricadée dans sa chambre, elle multiplie les SOS.

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Son premier tweet est sibyllin. « Mon nom est Rahaf Mohammed, et je ne livrerai mon identité complète et l’entièreté de cette affaire que si ma famille, l’Arabie saoudite et l’ambassade du Koweït cessent de me pour-suivre. » Par la suite, plus explicite, elle évoque sa crainte d’être enlevée, emprisonnée, assassinée. « Men-teuse ! » rétorquent certains de ses compatriotes, fusti-geant sa démarche. On la traite d’inconsciente, et on lui promet les flammes de l’enfer. On l’accuse de porter atteinte à l’intégrité de sa nation, d’être vendue à l’Oc-cident ! Mais des autres coins de la planète, Rahaf reçoit quantité de messages de soutien. En une demi-journée, son profil Twitter atteint 50 000  abon-nés.

Dans une nouvelle vidéo, elle exige d’être entendue par le Haut-Commissariat des réfugiés de l’ONU. « Je ne quitterai pas ma chambre tant que je n’aurai pas rencontré le HCR. » Ensuite, c’est un appel solennel.

« Selon les accords de 1951 et le protocole de 1967, moi, Rahaf Mohammed, demande officiellement aux Nations unies de m’accorder le statut de réfugiée, afin de demander asile au pays qui me protégerait contre les violences familiales, voire la mort qui m’attend pour avoir laissé tomber l’islam. » Son père et l’un de ses frères déboulent à l’aéroport. Selon eux, Rahaf souffri-rait de troubles mentaux. Elle refuse de les voir. Sur tous les continents, des internautes se mobilisent, sous le hashtag #SaveRahaf. L’histoire s’ébruite au-delà des réseaux sociaux. La Saoudienne devient la fugueuse la plus célèbre du monde.

Finalement, face au tollé, les autorités thaïlandaises

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revoient leur position. « Nous sommes le pays du sou-rire. Elle ne peut pas être expulsée contre son gré. » Des représentants du HCR arrivent à Bangkok. Sous leur protection, et grâce à son nouveau statut de réfu-giée, Rahaf Mohammed al-Qunun quitte sa forteresse.

Quelques jours plus tard, elle s’envole pour le Canada, qui, par la voix du chef du gouvernement, a proposé de l’accueillir. De l’avion, elle poste sur Twitter une photo de son passeport à côté d’un verre de vin rouge. L’alcool est interdit en Arabie saoudite. Légende satisfaite : « Ça y est, je l’ai fait. » Casquette bleue sur la tête, elle débarque à Toronto, accueillie telle une héroïne par la ministre des Affaires étrangères.

Rahaf enchaîne alors les discours et les interviews.

« Nous, les Saoudiennes, nous sommes traitées comme des esclaves ! » Naître fille au royaume wahhabite est une condamnation. À cause du système de tutelle, les femmes sont considérées comme des mineures toute leur vie, inféodées à leur père, leur mari, leur frère ou bien leur fils quand elles sont veuves. Rahaf réclame l’abolition de ce système aliénant. Les quelques avan-cées des dernières années ne sont pour elle qu’une révolution de façade. Certes, les femmes ont mainte-nant le droit de conduire, de s’engager dans l’armée, de créer leur propre entreprise, mais il leur faut toujours l’imprimatur de leur tuteur pour faire des études ou aller au restaurant. Un homme peut cogner une femme.

S’il est son tuteur, il ne sera pas poursuivi. Un homme peut fouetter une femme. S’il est son tuteur, il ne sera pas poursuivi. De nombreuses Saoudiennes

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pissent par ailleurs en prison alors qu’elles ont purgé leur peine. Leurs tuteurs refusent de venir les chercher.

Les familles sont des prisons. Le pays en est une aussi.

Chaque année, des centaines de jeunes femmes, de jeunes filles, fuguent de chez elles, mais rares sont celles qui parviennent à quitter le territoire.

Rahaf, elle, a donc réussi, et espère que d’autres sui-vront son exemple. « Si la situation ne change pas, même si c’est très risqué, fuyez ! » Elle-même a pris des risques et doit sa liberté autant à son courage qu’à la mobilisation des internautes. Ses parents l’ont reniée.

Elle n’en a pas été surprise. « J’ai enfreint leurs lois. » Depuis, elle ne s’appelle plus « al-Qunun », mais seule-ment Rahaf Mohammed. Elle s’est échappée d’une double emprise, celle de sa famille et celle du régime saoudien. Pour elle, c’est une renaissance. Dorénavant, elle peut dire et penser ce qu’elle veut, sortir quand elle veut, se coiffer comme elle veut.

4.  Élisabeth Revol, rescapée

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