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Se raconter entre mémoire et altérité

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La critique « Isabelle Grelle », en répondant à la question sur la place qu’occupe les autres dans l’autofiction di que :

« […]Et le début du monstre ressemble à une autobiographie classique.

Peu à peu, il commence à faire éclater ses phrases, à y mettre des trous et des cicatrices on le sent sortir de soi dans un éclatement vers l’autre. Il part de lui-même […]. Il ya un engagement intime, oui, mais l’autofiction n’est pas un retour sur soi […] c’est s’inventer

dans le regard de l’autre ».14

En vulgarisant les propos de Serge Doubrovsky, la critique Isabelle Grelle compare l’autofiction à un monstre, qui pour se construire, il déploie sur les autres. L’autofiction est une reconstitution des évènements et des réalités vécues selon Doubvrosky elle est une fiction d’évènements et des faits strictement réels, qu’on partage avec autrui, et qui en font partie. De ce fait la fiction devient ici l’outil affiché d’une quête identitaire. Or, se souvenir de ses propres faits engendre avec les souvenirs d’autrui. Une action se fait inévitablement soit dans un espace bien déterminé, soit avec des personnes précises dans des contextes bien particuliers. Donc se rappeler de cette action c’est se rappeler de ces éléments.

L’autofiction est une tentative de reconstruire son soi au moyen des matériaux que lui offre le regard de l’autre. C’est une réinvention fictive de soi qu’exige la réinvention fictive de son entourage, de ses connaissances et de son monde.

De ce point de vue l’autofiction c’est l’envers de l’alterfiction, ces deux derniers sont les deux faces de la même médaille et que l’une n’a pas de sens sans l’autre, et que l’une enfante l’autre.

14 -Yasmina Khadra, Les sirènes de Bagdad, Paris, Julliard, 2006, quatrième de couverture.

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1-La sphère spatiale :

Chaque endroit éveille chez nous des souvenirs gravés par l’intensité des émotions qui l’accompagnent ainsi que par la manière dont nous avons pu ou non lui donner du sens.

Dans « Cousine k »,Khadra peint un univers clos « le manoir et ses occupant » et Douar Yatim ; l’espace semble être une notion très importante .Il permet à l’action de progresser et de se métamorphoser. Toute les représentations de cette notion est donc révélatrices, elles ne sont pas arbitraires.

Le lieu dans le texte est l’initiation à une description de l’environnement où se déplacent et agissent les personnages .D’abord « Douar Yatim » est un nom révélateur de sens « Yatim » veut dire « Orphelin » en langue française ; cette désignation engendre le délaisse, l’isolement , l’indifférence d’autrui et le manque affectif . Ces adjectifs qualifient par excellence l’état d’âme du protagoniste.

Notre roman s’inscrit dans un espace prédominant « Douar Yatim ».Ce dernier avec son atmosphère macabre est le lieu support du récit, où le personnage anonyme a vécu son enfance et découvre son père assassiné d’une manière brutale.

Ainsi cet acte cruel le poussera à sortir un jour de son aphasie pour avorter sa mélancolie , et qui le transforme d’un enfant innocent, sensible à un être replié, désespéré, jaloux et violant .Son étrangeté se manifeste dans son émerveillement au cimetière :

« les dépouilles seules me fascinaient. Que la tombe se refermât et déjà je languissais du suivant ».15

Ce passage évoque chez le lecteur un sentiment de pitié et décrit la solitude du protagoniste emprisonné dans sa coquille au point d’envier le défunt entouré de sa famille et ses amis qui le pleuraient contrairement à lui le « vivant » abandonné.

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.Ce Douar lui ajoute plus de silence et frigidité à sa vie déjà nulle. C’est un endroit glacial où personne ne songe à l’autre, il déclare :

« A Douar Yatim tout malheur se silhouettant à l’horizon n’est que le précurseur de sa smala. Ni le soleil ni le sang n’ont réussi à assagir un sol ingrat. Qu’il neige ou qu’il grêle, la pierraille triomphe au fil des ans tandis que dans le regard recru des fellahs le fiel se nourrit du dépit ».16

Il déteste le Douar jusqu’à décrire sa terre d’ingratitude, le désespoir envahit cet endroit et le silence domine l’atmosphère. De même pour le manoir où il croyait trouver calme et sérénité derrière sa fenêtre ce dernier était le royaume de sa mère où il se sentait intrus :

« Je ne vivais pas, non ; je hantais notre maison tel un esprit frappeur

domestiqué ne suscitant ni effroi ni intérêt »17

Ici le protagoniste nous livre un vide meurtrier car il était contraint d’évoluer dans un tel espace où il ne sentait que les sentiments de l’indifférence, d’infériorité, et privation affective.

Sa chambre était un exil, de sa fenêtre il surveille le village ; on dirait qu’il prend distance entre soi et autrui. pour voir le monde, pour exprimer son malaise il s’éclipse de la sorte pour créer un monde propre à lui où personne ne peut l’agacer, où il se sent le maitre à bord, ce sentiment s’aperçoit clairement dans ce passage :

« J’ignore ce que l’on entend par « passer de l’autre coté du

miroir ».Pourtant, s’il ya une formule à laquelle j’adhère totalement pour rendre compte du sentiment que j’avais lorsque je me retrouvais seul, c’est bien celle-là.

16-Ibid.page 29.

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J’avais l’impression de me mouvoir derrière une glace sans tain ; je pouvais voir sans que personne ne soupçonne ma présence ». 18

En évoquant ce douar le passé remonte à la surface les souvenirs de déceptions successives le martyrisaient (l’indifférence de sa mère, le refus de sa cousine, le départ de Son frère Amine …), et sans le vouloir, tous ces évènements qui s’y déroulèrent, le poussèrent dans le cycle de la violence.

Douar Yatim (créée par Khadra et réinventé par le personnage-narrateur dans le roman), peut se manifester en premier lieu comme la construction imaginaire d’un lieu de mémoire qui peut être libérer de la conscience d’une entité dont le passé canonne la mémoire qui peut assiéger ou libérer la mémoire.

C’est à travers l’évocation de ce morne Douar et la réinvention de ses détails que le personnage déracine le passé. Ainsi la quête de Khadra comme celle du personnage anonyme par la création de Douar Yatim consiste à libérer et actualiser un récit démembré et refoulé. En effet la raison pour laquelle il soit un lieu de mémoire est de secouer la mémoire qui semble être en veille, de faire revivre le passé entre réalité et affabulation, nous explique Pière NORA, dans son volume 1 des « Lieu de mémoire ».C’est un lieu hybride et mixte :

« intimement [noué] de vie et de mort, de temps et d’éternité dans une spirale du

collectif et de l’individuel, du prosaïque et du sacré de l’immuable et du mobile.[…] car il est vrai que la raison d’être fondamentale d’un lieu de mémoire est d’arrêter le temps, de bloquer le travail de l’oubli, de fixer un état de choses, d’immortaliser la mort, de matérialiser l’immatériel pour[…]enfermer le maximum de signe »19

Le récit donne à travers Douar Yatim, des indices qui le transforment en un lieu d’une mémoire intimement personnelle, pour le héros.

18 -Ibid. Page15.

19 - Pierre Nora, »Entre mémoire et histoire, la problématique des lieux »,d « les lieux de mémoire »vol.1,sous la direction de Pierre Nora, Paris, Gallimard, coll « Bibliothèque illustré des

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Douar Yatim entant qu’espace clos, fermé, intime où se tissent l’imaginaire et la réalité et où surgit un déplacement dans les souvenirs et transposition vers le passé, qui exprime la confusion dans laquelle se trouvent la conscience et l’égarement du personnage dans la mémoire.

Entre passé et présent Douar Yatim témoigne de l’évolution des rapports du personnage avec son passé et de l’élaboration d’une mémoire personnelle. Selon la manière dont le héros arrive à administrer son lourd fardeau, la plongée dans la mémoire apparaitra soit comme douloureuse, la hantise du passé entraînant un sentiment d’emprisonnement et une impression de paralysie et d’asphyxie, ou bien comme assumée et apaisée, la remémorisation du passé permettant une libération de la mémoire.

Le Douar est certainement la réminiscence du passé en personne, puisque l’apaisement du personnage anonyme se traduit par une liberté de circuler dans ce Douar en se souvenant des lieux où il se promenait avec sa cousine, ainsi que par la renaissance d’un rêve inaccessible à la fois charmant et machiavélique.

L’ensevelissement ou la libération de la conscience du héros par Douar Yatim est un processus de récupération des souvenirs amers, et malgré cette amertume, la réminiscence semble être le sel mis sur une plaie male soignée qui se rouvre à chaque évocation d’un souvenir douloureux.

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2-La sphère familiale :

Avant d’entamer cette sphère il nous semble nécessaire de faire un aperçu sur quelques notions que nous avons utilisé pour faire notre démarche telle que la mémoire collective et la mémoire individuelle.

Selon Lalande : « La mémoire est une fonction psychique consistant dans la

reproduction d’un état de conscience passé avec ce caractère qu’il est reconnu pour tel par le sujet. ». C’est pour ça elle est une reconstitution du passé dans le

présent en déterminant l’espace et le temps et qui exige l’émotion affective.

L’idée commune au sujet de la mémoire est qu’elle est d’une de nature « individuelle » parce que chacun a ses souvenirs, mais l’idée qui la contredit ; la mémoire est de nature « sociale », parce qu’il ya des souvenirs communs entre les individus appartenant au même groupe et même société ; originairement les souvenirs étaient collectifs et communs parmi les personnes, de sorte que le passé du groupe, ainsi nous ne le conservons pas dans notre mémoire individuelle, mais nous le conservons dans la mémoire collective.

Maurice Halbwachs adopte l’hypothèse qui adhère : « Quand je me souviens souvent c’est l’autre qui me pousse à le faire, car sa mémoire aide ma mémoire et ma mémoire dépend de sa mémoire […] ».

Paul Ricœur va dans ce sens en mettant l’accent sur la relation intime qui renoue l’individu à autrui :

« L’autre n’est pas seulement la contre partie du Même, mais appartient à la constitution intime de son sens. »20

La mémoire collective est la mémoire d’une somme d’individu d’une communauté ou d’un peuple appartenant à un même groupe bien que n’ayant pas vécus nécessairement des évènements en commun ; ces individus développent une mémoire collective par la simple appartenance à un groupe. Dans un processus inverse cette mémoire collective liée au groupe va permettre à l’individu de se

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forger sa propre identité. Elle est un travail de trie et d’homogénéisation et de représentation du passé. L’étude de la mémoire collective a été initiée par le sociologue Maurice Halbwachs l’auteur de l’ouvrage intitulé « Les cadres sociaux

de la mémoire », publié en 1925, il développe l’idée que : « la mémoire individuelle est forcément conditionnée par les cadres sociaux […], ma mémoire et les autres,

c’est ainsi ma mémoire au sein d’une société et d’une culture[…] ».21

Halbwachs dans son ouvrage « La mémoire collective » confirme qu’un acte de mémoire n’est qu’un acte social, même s’il est seul car il est en train des interactions avec les autres qu’ils soient ou non présent s ou imaginaires, il est un être social.

La remémorisation est façonnée donc par des interactions social ; la façon dont elle se perd est extrêmement tributaire des interactions social lors de l’encodage quand on mémorise, puis quand on restitue l’information qui sera faite très différemment dans des contextes variables, elle ne se restitue pas de la même manière.

A partir de cette perspective nous constatons que lors de mémorisation nous mémorisons pas dans un certain contexte et surtout quand nous restituons ,quand nous cherchons dans notre mémoire ; nous nous sommes plus seules, nous sommes quelques part en représentation, et la mémoire que nous allons évoqué est liée à autrui.

L’idée est déjà extrêmement importante parce qu’elle relie l’individu à son environnement et elle met sur la voie une conception dynamique à la mémoire. Dans ce cas la mémoire collective est une représentation constructive de l’identité d’un groupe et partagée par l’ensemble de ses membres. Simplifiant ; un souvenir c’est quelque chose que nous apprenons en fait des informations sensorielles mais la conservation ne consiste pas à stocker le souvenir entant que « livre » mais nous allons dispersé toutes les pages du livre dans l’ensemble de notre cerveau , et quand nous essayons de nous rappeler quelque chose , nous cherchons pas un livre, mais

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nous reconstituons le livre ,si le même souvenir est vécu par deux individus et quand ils veulent se rappeler de ce souvenir , l’un va récupérer les dix premier chapitres et l’autre les derniers à titre d’exemple, comme il y aura des chapitres en commun.

Entre les jeunes personnes que nous étions et les personnes adultes que nous sommes, il ya beaucoup de points communs ; il ya certainement des valeurs que nous avions dés le jeune âge qui persistent jusqu’à nos jours. C’est ce que Paul Ricœur l’appelle « La memete » , nous sommes certainement partis les mêmes, parce qu’à l’adolescence nous avions déjà les valeurs , pas forcément toutes mais se sont nos valeurs et nous les avons conservées ; mais aujourd’hui nous nous sommes pas les mêmes , nous avons changé –c’est l’ipséité- initiée par Paul Ricœur, notre identité est la même mais elle est différente ; et c’est là où réside la complexité de la mémoire , c’est réussir à décrire les mécanismes qui fond qu’individuellement nous sommes les mêmes et nous sommes différents, tout ça dans un contexte social, parce que ça sera plus simple de porter la tension sur l’individu.

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2-1la représentation de l’image paternelle par « l’auteur-personnage-narrateur » :

On vit d’une manière quotidienne des situations stressantes, des situations angoissantes ; et on a tous un seuil d’acceptation de ces situation, c’est à ce moment là que les mécanismes de défense entrent en jeu utilisés par notre conscient pour nous protéger .Ces mécanismes apparaissent dés l’enfance ; au début ils sont archaïques puis viendront d’autres plus élaborés au fur et à mesure que le psychisme se développe, que les expériences émotionnelles se fond.

Ces mécanismes ressort selon les situations et les conflits, d’une manière inconsciente sous forme de reflex. Le principe de refoulement est en fait qu’on va tasser à l’intérieur toutes nos pulsions, nos pensées, nos conflits intérieur dont on a honte et qu’on n’a pas la force de gérer maintenant.

La représentation de l’image paternelle est très violente voire choquante, le père trouvé assassiné d’une manière terrible par son fils cadet âgé de cinq ans il décrit ce drame avec une froideur inexplicable :

« Mon père est mort la veille du Grand-Jour. J’avais cinq ans. C’est moi qui l’ai découvert accroché à une esse dans l’étable, nu de la tête aux pieds, les yeux crevés, son sexe dans la bouche ».22

Aucune émotion n’est manifestée lors de la description de l’assassinat de son père , c’est ce qu’on appelle « L’isolation de l’affect » terme propre à la psychanalyse qui désigne un mécanisme de défense qui va séparer l’évènement traumatique de l’affect et des sentiments qui sont associés , ce mécanisme a une fonction adaptative autrement dit les gents qui ont subit un traumatisme vont décrire le fait traumatisant mais juste avec des détails descriptifs sans dévoiler les sentiments d’affect ; alors que c’est un évènement traumatisant qui devrait être particulièrement submergé d’émotions .

Ensuite il va jusqu’à nier la présence de son père dans sa vie qui est équivaut à son absence, pourtant l’enfant à cette âge là commence à construire ses souvenirs,

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une indifférence totale à un être qui devrait être cher, il déclare qu’il ne donnera pas le pardon à son âme :

« Je ne me souviens pas de mon père. Je n’ai jamais souffert de son absence. Je n’ai pas pardonné. »23

La narration assure une grande partie de nos identités, bien qu’elle soit irreprésentable, il est néanmoins possible que la souffrance révèle ce qu’il ya d’irreprésentable à être soi-même et nous fasse comprendre que l’action inhérente à la narration est conditionnée en permanence par une force affective qui lui donne forme. Nous montrons « qui nous sommes » en agissant et en parlant, ce faisant, chacun de nous révèle activement son identité ; le « je » de l’auteur est toujours impliqué.

La même horrible scène se répète en lisant la quatrième de couverture du roman de Yasmina Khadra, « Les sirènes de Bagdad », on a l’impression de la revivre et tout de suite on fait le lien :

« Le coup parti, le sort en fut jeté. Mon père tomba à la renverse, son misérable

tricot sur la figure le ventre décharné, fripé, grisâtre comme celui du poisson crevé…et je vis, tandis que l’honneur de la famille se répandait par terre, je vis ce qu’il ne me fallait surtout pas voir ce qu’un fils digne, respectable, ce qu’un Bédouin authentique ne dois jamais voir-cette chose ramollie, repoussante, avilissante, ce territoire interdit, tu, sacrilège : le pénis de mon père…le rouleau !Après cela il n’ya rien , un vide infini, une chute interminable, le néant »24

Le traumatisme subi à l’enfance nous touche plus que qu’on est adulte parce qu’un enfant est extrêmement beaucoup plus vulnérable face à l’environnement parce qu’il n’a pas toutes les armes nécessaires pour faire face au situation de stress. Mai quand on grandi on garde les traces de nos blessures d’enfance, elles sont imprégnées en nous.

23 -Ibid. P.20.

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La redondance de cette représentation paternelle si nous songeons à une relation intime avec l’enfance de khadra, le père est un acteur privilégié, il est omniprésent dans son esprit ainsi ses œuvres.

Freud dit que « la représentation qui pose problème dans le cadre du refoulement est nullement détruite », à l’inverse même si elle est en fuit très profondément n’empêche qu’elle se faite entendre quelque part d’une façon inattendue.

Les souvenirs douloureux évoqués par khadra , ses difficultés, ces traumatismes, qu’il les a vécus enfant et leurs conséquences vivent en lui adulte sous différentes formes même s’il ne reste que des résidus , de peine de ce dont il a pu souffrir enfant .Khadra avec ses yeux minuscules et lui donnent un air malicieux et intelligent fixant son intervieweur, lorsqu’il lui a évoquée son père ,déclare que : « la nostalgie est une escale dans ce qui n’est plus. Elle est triste parfois parce qu’elle nous renvoie à ce qui a bercé notre âme et qui a disparu, nous livrons à des lendemains incertains». Khadra, abandonné par son père, d’abord en lui jetant avec les orphelins à l’école des cadets, puis lorsqu’il prend différentes épouses ruinant ainsi une mère qui n’avais que trente ans et ses sept enfants, habitant le quartier le plus misérable d’Oran. Khadra le petit enfant qui semble n’attendre

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