Outre leurs propriétés structurales, les porines partagent plusieurs propriétés biochimiques et fonctionnelles communes. Elles sont impliquées dans un large spectre de rôles physiologiques et sont essentielles au bon fonctionnement et à la survie cellulaire.
a. Diffusion générale
Le rôle majeur des porines générales non spécifiques est d’assurer le passage actif ou passif de petits substrats, solutés et nutriments inférieurs à 600 Da à travers la membrane externe. A travers le tonneau β d’une porine, le trajet des anions diffère de celui des cations en fonction
de ses charges internes154,155. En fonction des conditions environnementales, les porines sont
capables de faire évoluer leur sélectivité afin d’adapter la réponse bactérienne face aux stress
b. Activité immunologique
Les porines sont capables de contrecarrer l’activité immunologique eucaryote et procaryote en soutenant la pathogénicité et l’infection bactérienne. Quelques exemples sont exposés ci- dessous :
- La porine OprF de P. fluorescens facilite l’invasion cellulaire158 en favorisant
l’adhésion bactérienne aux surfaces biologiques158,159.
- Les porines de Neisseria gonorrhoeae génèrent une activité pro-inflammatoire
lorsqu’elles sont reconnues par les récepteurs TLR de l’hôte29–31.
- Une porine particulière de N. gonorrhoeae, la porine PorB, soutient l'occupation
microbienne en fusionnant les bactéries avec les membranes de l’hôte160,161.
c. Signalisation transmembranaire
La signalisation médiée par un ligand à travers une membrane biologique se produit généralement lorsque le ligand se lie à un récepteur membranaire spécifique, le faisant
changer de conformation ou d’oligomérisation162. Cependant, Housden et al. ont décrit un
autre mécanisme de signalisation transmembranaire impliquant les porines OmpF et OmpC d’E. coli, par lesquelles des toxines enzymatiques (les colicines) sont transloquées pour
délivrer des signaux épitopiques au périplasme bactérien163.
d. Survie bactérienne
De part leurs propriétés diffusives variées, certaines porines se trouvent plus adaptées que d’autres pour la survie dans des conditions extrêmes. Non seulement le type, mais aussi le nombre de porines exprimées va varier selon l’environnement dans lequel se développe les bactéries. Entre autres, les porines OmpC et OmpF d’E. coli sont finement régulées en
fonction du stress oxydatif et des fluctuations d’osmolarité et de pH135, la porine PhoE est
exprimée lorsque les bactéries d’E. coli sont en situation de carence en phosphate164, et la
porine MOMP du pathogène Campylobacter jejuni se retrouve surexprimée à haute
température (42°C) ou à pH élevé (pH 8,5)165. Ainsi, plus qu’une collection de pores, c’est
e. Résistance aux antibiotiques
Afin de résister aux antibiotiques, les bactéries exploitent trois stratégies169 :
- La modification de la cible de l’antibiotique, résultant d’une inaptitude de ce dernier à la reconnaître.
- La dégradation de l’antibiotique grâce à une machinerie enzymatique spécifique, permettant de réduire ou d’abroger son efficacité.
- La réduction de la perméabilité cellulaire aux antibiotiques grâce aux LPS, aux
pompes à efflux et aux porines166–168. Ces trois acteurs agissent selon des
mécanismes différents. Les LPS ont vocation à rigidifier la membrane ce qui réduit la diffusion passive ; les pompes à efflux permettent l’extrusion des antibiotiques du cytoplasme vers le périplasme et/ou le milieu extérieur ; et les porines réduisent l’influx d’antibiotiques par altération du profil membranaire – c’est à dire modification des porines et de leurs propriétés diffusives, ou réduction de leur expression.
A titre d’exemple, la première identification d’un isolat multi-résistant d’Enterobacter
aerogenes en 1988 a permis d’établir les bases moléculaires du mécanisme de mutations
spécifiques des porines. Le remplacement d’un résidu glycine par un aspartate dans la longue
boucle L3, dans une séquence hautement conservée parmi les porines entérobactériennes170,
induit des modifications majeures de la fonction des pores, telles que la diminution de la conductance, l’augmentation de la sélectivité des cations et l’augmentation du potentiel de seuil de fermeture du canal – autrement dit le potentiel de membrane minimal auquel les porines commencent à se fermer. Ces modifications sont corrélées à une résistance élevée aux
β-lactames171.
En 2004, des études ont démontré une régulation rapide de l’expression de la porine majoritaire d’E. aerogenes lorsque la bactérie était soumise à de l’imipénème. En effet, la prise de cet antibiotique s’est rapidement accompagnée de la disparition de la porine en charge de son influx dans la souche résistante aux β-lactamines. Lorsque le traitement fût
arrêté, la protéine réapparue et la souche bactérienne redevint sensible172.
Plusieurs travaux réalisés sur Klebsiella pneumoniae, qui exprime deux porines principales OmpK35 et OmpK36, ont signalé l’altération des profils de ces dernières accentuant la résistance bactérienne face aux antibiotiques. En effet, la perte d’une des deux porines, accompagnée de la production de β-lactamase, cause une résistance élevée à la céphamycine,
d’autant plus résistant aux antibiotiques174. De manière surprenante, chez certains isolats
cliniques dépourvus des deux porines majoritaires, les bactéries de K. pneumoniae se développe malgré tout grâce à l’expression à un niveau bas d’une troisième porine OmpK37,
normalement au repos175.
f. Fonction non diffusive des porines
Il s’avère que les porines jouent également un rôle essentiel à n’importe quelle étape de la formation de biofilms. Par exemple, les porines de P. aeruginosa participent à la formation de micro-colonies, étape préliminaire à l’établissement des biofilms. La porine OpdF est impliquée dans le transport de molécules de signalisation et dans l’adaptation bactérienne face
au changement d’osmolarité au sein de la micro-colonie176, tandis que la porine OprF assure
le développement du biofilm en condition anaérobique177. Par ailleurs, les études de Cattelan
et al. en 2016 ont dévoilé que la porine OmpQ de Bodetella bronchiseptica est requise pour la
formation d’un biofilm mature178.
Nous comprenons vite que les porines sont primordiales au bon fonctionnement et à la survie des bactéries qui se développent en biofilms. C’est pourquoi, ces protéines membranaires représentent des cibles phares pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.
4- Providencia stuartii