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Rôle prépondérant du frottement fluide quadratique

4.4 Résultats expérimentaux : performances et cinématique du nageur

4.5.4 Rôle prépondérant du frottement fluide quadratique

Les simulations numériques ont montré que l’Eq. 4.30 permet de décrire cor- rectement la réponse des nageurs au forçage qui leur est imposé. Nous pouvons maintenant utiliser ce modèle ainsi que les simulations numériques pour mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la déformation des filaments. Nous rappelons l’expression de l’équation adimensionnée :

(1 + ˜m) ¨˜y + ˜y′′′′+m˜£2 ˜U ˙˜y′+ ˜U2y˜′′¤ + ˜α¯¯ ˙y + ˜˜ U ˜y′ ¯

¯( ˙˜y + ˜U ˜y′) = 0.

Les deux premiers termes sont les ingrédients classiques d’une équation de poutre : l’inertie de la poutre (augmentée par la présence du fluide environnant), équilibrée par une force de rappel élastique. L’action du fluide ajoute deux autres contributions : un terme de dissipation quadratique (dernier terme) et un terme de "drapeau" (entre crochets) qui est lié à la présence d’un écoulement global à la vitesse U . Au dessus d’une vitesse critique, ce terme déstabilise la poutre ; le fluide transmet alors de l’énergie au solide, qui se met à battre de façon ordonnée (en développant des ondes propagatives) où plus chaotique pour des vitesses impor- tantes (voir la discussion du Chapitre 2). Si l’on estime l’ordre de grandeur de ces deux termes fluides adimensionnés dans la gamme de paramètres de l’expérience

˜

m ≈ 0.96, U ∈ [0.2 − 4],˜ et α ∈ [50 − 150],˜ (4.48) on trouve que le terme de dissipation est 10 à 30 fois plus grand que le terme de drapeau. Il constitue donc la contribution fluide principale dans le modèle dyna- mique.

En simulant numériquement tour a tour chaque terme de l’Eq. 4.30, on peut constater que ce frottement est également responsable de la propagation d’ondes le long de la poutre, qui est une spécificité de la nage anguilliforme. Ceci est par- ticulièrement intéressant car la question de comment propager un signal dans un milieu élastique fini n’est pas triviale. Comme évoqué dans la Section 2.1.3 du Cha- pitre 2, les réflections multiples aux bornes du domaine entraînent, en effet, nor- malement la formation d’ondes stationnaires. C’est bien ce qui est observé dans la simulation numérique de la Figure 4.14(a), qui correspond à l’implémentation uniquement des deux premiers termes d’inertie et d’élasticité. Lorsque nous ajou- tons le terme de drapeau, la cinématique obtenue s’écarte légèrement d’une onde

(a)

(b)

(c)

FIGURE 4.14: Mouvement de la poutre obtenu par simulation numérique lors- qu’on implémente progressivement l’Eq. 4.30 : (a) avec seulement les deux pre- miers termes décrivant une poutre élastique classique, (b) en ajoutant les termes de "drapeau" entre crochets, (c) en ajoutant le terme quadratique fluide.

stationnaire (voir la Figure 4.14(b)) avec un "élargissement" des noeuds, mais on n’observe pas de propagation nette. Les vitesses de propulsion atteintes par les nageurs ne sont pas suffisantes pour que l’écoulement qui en résulte déstabilise la poutre et déclenche la propagation.

Nous avons réalisé une analyse de stabilité linéaire du système (c’est à dire de l’Eq. 4.30 sans le terme de frottement quadratique) pour obtenir un ordre de gran- deur de la vitesse à partir de laquelle la poutre se mettrait à battre. Pour cela, on pose la solution sous la forme harmonique ˜y( ˜x, ˜t) = ˜Y ( ˜x)eβ˜t, où la forme ˜Y ( ˜x)

est à nouveau discrétisée spatialement ; l’équation dynamique du système libre se réécrit alors sous forme matricielle, aboutissant ainsi à un problème aux valeurs propres pourβ que l’on résout numériquement. Les résultats obtenus montrent

que, pour un rapport de masse ˜m ≈ 1, les premiers modes propres du système

libre se déstabilisent pour une valeur critique ˜Uc≈10, qui est donc supérieure à la gamme de vitesse de l’écoulement ˜U ∈ [0.2 − 4]. Cette valeur seuil est cohérente

FIGURE4.15: Exemple de décollement dû au départ accéléré d’une plaque immer- gée (figure tirée de Lian & Huang (1989)). Cette vorticité émise porte une énergie cinétique qui ne peut pas être récupérée par le solide.

la stabilité d’un drapeau de taille finie dans un écoulement. Il est probable que le frottement quadratique, que nous avons omis dans cette analyse linéaire, affecte les propriétés de stabilité du système (Doaré & Michelin (2011); Peake (2001)). Toutefois, au vu des profils obtenus par simulation (Figure 4.14(c)), on s’attend plutôt à ce qu’il le stabilise et augmente la valeur de la vitesse critique. Dans notre gamme de paramètres, les forces de drapeau ont donc un effet mineur sur les mé- canismes de propagation. Cette affirmation est aussi appuyée par le fait qu’expé- rimentalement, on voit également une onde se propager dans le filament lorsque celui-ci est bloqué derrière les barrières, c’est à dire pour U = 0 ; et la cinématique "sur-place" est très similaire à celle observée lorsqu’il se déplace librement le long du bac d’eau.

Le fait d’inclure la force fluide quadratique permet par contre de propager une onde, comme le montre la simulation de la Figure 4.14(c). Le frottement fluide ex- trait assez d’énergie du système élastique pour minimiser l’amplitude de l’onde retour (l’onde qui remonte le long du nageur après réflexion au bout libre), et empêcher l’établissement d’ondes stationnaires. Cette action dissipative du fluide environnant est ainsi décisive, dans la mesure où elle permet aux ondulations du nageur d’évoluer vers la forme d’ondes progressives. Nous abordons ce point plus en détail dans la Section 4.8, sur un système plus simple constitué d’une plaque élastique de taille finie excitée à l’une de ses extremités.

Ce terme quadratique est lié au décollement de couche limite dans l’écoule- ment transverse et reflète une énergie cinétique perdue dans le fluide à travers l’émission de vorticité (Tritton (1988), voir aussi la Figure 4.15). Cet effet n’est pas pris en compte dans la théorie potentielle de Lighthill. Dans ses travaux (Lighthill (1960, 1970)), celui-ci avait néanmoins considéré cette possibilité de développe- ment de couches limites. Il suggère alors que le raisonnement énergétique menant

à l’expression de la force de propulsion (voir Section 4.2.2) reste valable, mais que la valeur de la quantité de mouvement et de l’énergie cinétique communiquée au fluide sont modifiées par cette vorticité émise à chaque battement du corps. Il pointe toutefois le fait qu’il est difficile d’estimer de façon précise les changements induits. Le mécanisme reste donc globalement le même, mais une énergie ciné- tique supplémentaire est communiquée au fluide par les cotés (en plus de celle éjectée par la queue du poisson dans le sillage). La dissipation contribue au bilan énergétique de l’Eq. 4.13 à travers une dépense additionelle d’énergie qui réduit la part utilisable pour produire la force propulsive. En première approximation, l’expression de la force 〈T 〉 peut être considérée la même que dans l’Eq. 4.8, mais avec un facteur correctif qui dépend du coefficient de traînée transverse Cd. Cette correction sera prise en compte dans la section suivante au moment d’estimer la vitesse de nage résultant d’une cinématique donnée. On s’attend cependant à ce que la dissipation fluide affecte les performances du nageur surtout à travers l’at- ténuation continue de l’amplitude des déformations le long de son corps.

4.6 Discussion