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3.
 Le gène suppresseur de tumeur Trp53

3.4 
 Rôle de p53 dans le développement et dans les cellules souches

3.4.1 p53 et développement

Les premières souris ayant le gène Trp53 inactivé sur un (Trp53+/-) ou deux (Trp53-/-) allèles ont été obtenues en 1992 (Donehower et al., 1992). Cette première étude montrait que l'invalidation totale du gène Trp53 permet l’obtention d’animaux adultes viables, qui, à partir de l’âge de 6 mois, développent de façon spontanée une variété de tumeurs. Postérieurement, le groupe de A.R. Clarke rapportait que l'invalidation totale du gène Trp53 chez la souris induit des défauts de formation du tube neural seulement dans une certaine proportion des embryons (Armstrong et al., 1995). L'analyse approfondie de la période embryonnaire chez ces souris a montré l'importance d'un niveau adéquat de p53 dans les cellules au cours du développement (Choi & Donehower, 1999). D’autres études ont montré la participation de p53 à la différenciation des neurones (Eizenberg et al., 1996) et des lymphocytes B et T (Almog & Rotter, 1997 ; Jiang et al., 1996) et ses propriétés anti-tératogéniques, qui apportent une protection aux embryons (Nicol et al., 1995 ; Norimura et al., 1996).

Par ailleurs, les autres membres de la famille p53, p63 et p73, jouent un rôle crucial au cours du développement embryonnaire et leur inactivation entraine des défauts sévères, tels que des malformations des membres, des altérations épithéliales ou encore des défauts de neurogénèse (Yang et al., 1999 ; Yang et al., 2000). Il a été suggéré que la présence de p63 et p73 pourrait expliquer l’absence de phénotype dans une partie des embryons Trp53-/-. En effet, les trois membres de la famille p53 ont de nombreuses cibles transcriptionnelles en commun, ce qui pourrait compenser les effets de la déficience en p53 pendant le développement.

3.4.2 p53 et cellules souches embryonnaires

Le rôle de p53 dans les cellules souches embryonnaires a fait l’objet de nombreuses études. Bien que les niveaux de p53 dans ces cellules soient élevés, sa fonctionnalité est discutée (pour revue, voir Spike & Wahl, 2011). Toutefois, il a été rapporté que l’activation de p53 dans les cellules souches embryonnaires murines induit la différenciation par répression de l’expression de Nanog, un facteur de transcription essentiel pour l’autorenouvellement de ces cellules (Lin et al., 2005).

Par ailleurs, p53 joue un rôle dans la reprogrammation des cellules différenciées.Dans une étude pionnière, le groupe de Yamanaka a montré que des fibroblastes différenciés adultes pouvaient être reprogrammés vers un état pluripotent similaire à celui des cellules ES par expression forcée des facteurs de transcription Oct3/4, Sox2, Klf4 et Myc (Takahasi et Yamanaka, 2006). Quelques années après, cinq études indépendantes ont rapporté que l’inactivation de Trp53 améliore l’efficacité de reprogrammation cellulaire vers l’état souche pluripotent (Hong et al., 2009 ; Li et al., 2009 ; Kawamura et al., 2009 ; Utikal et al., 2009 ; Marion et al., 2009). L’action de p53 semble en partie liée au contrôle que cette protéine exerce sur le cycle cellulaire, l’apoptose et la sénescence. Ces travaux suggèrent que la protéine p53 a un rôle important dans le maintien de l’état différencié et que sa perte favoriserait l’acquisition de propriétés caractéristiques aux cellules souches.

3.4.3 p53 et cellules souches adultes

Différentes études sur des modèles murins ont permis de montrer que p53 régule négativement l’autorenouvellement des cellules souches adultes hématopoïétiques et neurales (pour revue, voir Spike & Wahl, 2011 ; Bonizzi et al., 2012). Dans le système hématopoïétique, p53 favorise l’état quiescent des cellules souches, tandis que la perte de p53 conduit à une augmentation de leur autorenouvellement et à l’expansion du pool de cellules souches (pour revue, voir Asai et al., 2011).

Bien qu’on dispose d’un nombre plus limité de données, p53 semble également impliquée dans la régulation de la dynamique du compartiment souche de certains tissus épithéliaux. L’ablation de Trp53 restaure la fonctionnalité des cellules souches épidermiques de souris déficientes en télomérase (Flores & Blasco, 2009). Par ailleurs, plusieurs études suggèrent que l’épithélium mammaire de souris déficientes en p53 présente une activité accrue des cellules souches (Cicalese et al., 2009 ; Huang et al., 2009). Medina et collaborateurs ont démontré que les greffons issus de fragments épithéliaux de glande mammaire déficiente en p53 peuvent être re-transplantés de façon quasi-illimitée (Parsa et al., 2008), tandis que le potentiel régénératif de l’épithélium mammaire normal décline après quelques greffes en série. D’autres études indiquent que la fréquence des cellules morphogénétiques est plus forte dans les glandes mammaires de souris Trp53-/- que dans les sauvages (Huang et al., 2009 ; Cicalese et al., 2009). Ces travaux ont mené à la conclusion

que p53 restreint la prolifération et l’autorenouvellement des cellules souches résidant dans l’épithélium mammaire.

Aucune de ces études n’a cependant déterminé si la perte de p53 affecte les cellules souches et progénitrices des compartiments basal et luminal de l’épithélium mammaire. La prolifération et la différenciation des cellules basales et luminales mammaires sont contrôlées par des mécanismes moléculaires différents. De plus, seules les cellules basales sont aptes à régénérer la glande après transplantation, soulignant l’intérêt d’analyser séparément les propriétés fonctionnelles des deux populations. Enfin, dans le cas de la mutation germinale de Trp53, la possibilité d’effets systémiques et/ou de régulations stromales sur la fonction des cellules souches ne pouvant pas être exclue, il est difficile de définir les altérations spécifiques à l’épithélium de ces souris déficientes.

3.4.4 Mécanismes possibles d’action de p53 sur la régulation du compartiment cellulaire souche

Récemment, plusieurs nouveaux mécanismes ont été proposés pour expliquer comment p53 pourrait affecter l’autorenouvellement des cellules souches et les orienter vers un processus de différenciation, contribuant ainsi à réguler la dynamique de ce compartiment dans différents tissus.

L’homéostasie du compartiment souche est contrôlée par la nature des divisions symétriques ou asymétriques des cellules souches y résidant. Lorsque deux cellules filles souches sont générées par division symétrique, le compartiment souche est amplifié tandis qu’une division asymétrique entraine son maintien. En l’absence de p53, une augmentation de la fréquence des divisions symétriques a été observée in vitro dans une sous-population de cellules épithéliales mammaires définie par son aptitude à retenir le marqueur membranaire PKH26 (Cicalese et al., 2009). Cette population enrichie en activité régénératrice reste à caractériser de façon précise. Par ailleurs, dans la lignée épithéliale mammaire MCF10A, le déterminant du destin cellulaire Numb permet l’activation de p53 en bloquant son ubiquitination par MDM2 (Colaluca et al., 2008), suggérant que la liaison p53-Numb pourrait être impliquée dans le processus initial contrôlant la nature de division des cellules souches.

Nous avons mentionné plus haut les travaux établissant un lien entre état souche et EMT, en particulier dans le tissu mammaire (Proia et al., 2011 ; Guo et al., 2012). Des études

récentes réalisées avec des lignées de cellules épithéliales mammaires indiquent que p53 jouerait un rôle dans la régulation de l’EMT en modulant l’expression de différents microARNs (miRNA), dont les membres de la famille miR-200c et miR-192 (Chang et al., 2011). Ces miRNAs inhibent l’expression de plusieurs effecteurs de l’EMT comme Zeb1 et Zeb2 en ciblant leur mRNA (pour revue, voir Brabletz & Brabletz, 2010).

Un autre mécanisme évoqué découle de la capacité de p53 à réguler l’expression de certains gènes de la voie Wnt. Par exemple, p53 est capable d’induire l’expression de la E3 ligase SIAH qui inhibe l’expression de la β-caténine entrainant ainsi une réduction de la signalisation Wnt (Fiucci et al., 2004 ; Iwai et al., 2004). Comme mentionné dans la Section 1.3.4 de cette Introduction, les facteurs Wnt jouent un rôle important dans la balance entre autorenouvellement et différenciation des cellules souches dans différents tissus.

Enfin, l’implication de p53 dans la reprogrammation des cellules différenciées en cellules souches pluripotentes suggère que sa perte ou son inactivation pourraient permettre l’induction d’une reprogrammation de cellules progénitrices ou différenciées en cellules souches dans les tissus adultes, participant ainsi à l’expansion du compartiment souche.