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Partie III : La posture du conseiller en insertion

2.3 Le rôle de la Mission Locale et de la formation

L'Emploi d'Avenir étant une mesure encore relativement jeune, il est difficile d'appuyer mes propos de chiffres. Je peux tout de même d'ores et déjà dire que le taux de rupture de ces contrats avoisine les 20%. Pour les jeunes que j'accompagne, la question des conditions de travail est celle qui revient systématiquement. Que penser de tout cela ?

Nous avons vu que le dispositif que nous avons mis en place, pour répondre aux contraintes de la tâche qui m'était prescrite, a posé de nouveaux problèmes. Pris dans ma posture de conseiller j'y ai d'abord vu la responsabilité de l'entreprise et nous avons vu, c'est vrai, que celle-ci y a joué un

rôle majeur. Cependant, dans quelle mesure l'intervention du conseiller (pour résoudre les « problèmes sociaux »), puis du formateur (pour développer les compétences du jeune), ne déresponsabilise pas l'employeur vis à vis de ces sujets ? La formation est une obligation contractuelle de l'employeur, et le travail a une visée sociale forte. Je ne pense pas que la « faute » doive être rejetée sur l'une ou l'autre des parties, même si la multiplication des appuis spécialisés, par des partenaires différents, brouille sans doute un peu le débat plus qu'il ne l'éclaircit. Car il s'agit bien d'un débat. Chacun portant une parole d'expert sur un point précis et tous entrant en contradiction les uns avec les autres, nulle surprise que l'entreprise, prise dans ses propres débats immédiats, rejette le tout.

Il est sûrement question d'établir une certaine confiance avec l'organisation en jeu dans un premier temps et celle-ci peut souffrir de la multiplication des partenaires successifs impliqués. Mais plus important encore, le renvoi à une série de spécialistes, dont le champ d'action est bien délimité, implique, selon moi, une distanciation de plus en plus grande avec le réel sujet et le réel enjeu qu'est le travail. Pourtant, il semble qu'il s'agisse là de la pierre angulaire, du sujet autour duquel l'activité de tous s'articule. Aussi, nous pourrions dire que le travail, et par là, son organisation, ne concerne pas que l'employeur, mais tout le monde.

Car nous avons vu, en deuxième partie, que la question de l'organisation de la tâche permettait, non seulement au jeune d'apprendre, mais à l'entreprise d'apprendre aussi et, par là, de construire au fur et à mesure les conditions nécessaires à sa survie. En ce sens, aider l'entreprise à s'organiser c'est donc aider au maintien des emplois. La survie de l'entreprise dépend aussi de la santé et du développement de ses salariés, il convient donc d'accompagner l'entreprise pour qu'elle ne considère plus le jeune uniquement comme un outil productif, mais qu'elle l'aide à se construire en « bon professionnel ».

Car, en effet, qu'attend-t-on d'une personne se présentant pour décrocher un contrat ? Doit- elle présenter le visage que l'employeur attend de lui ? Ou doit-il démontrer qu'il est en capacité de tenir son poste ? La logique voudrait que l'employeur attende « un bon professionnel ». D'ailleurs, tous les cabinets de recrutements parlent de cette recherche du « mouton à 5 pattes ». La recherche du professionnel compétent, disponible, capable de s'adapter immédiatement à la situation spécifique de l'entreprise et sans encadrement préalable n'est pas une chose rare. Mais nous comprenons aussi qu'ici, la notion de « bon professionnel » n'est pas la même pour un employeur et pour les gens du métier. Car, en effet, le professionnel compétent, capable de présenter une vraie opinion sur son travail, de proposer des façons de faire, peut, potentiellement, remettre en cause ce

que le gestionnaire lui impose de faire dans le cadre de la relation contractuelle. La sociologie note même un courant visant à déstabiliser les salariés « trop » compétents, à casser les collectifs de travail, dans le but de garder le contrôle sur eux.

La méthode VAE confronte ainsi une certaine vision de l'employabilité, utilisée par les conseillers, à l'idée de professionnalisation. En ce sens, les éléments nécessaires à l'insertion du jeune ne sont plus les mêmes. Plutôt que de considérer qu'un jeune doit savoir se présenter d'une certaine façon pour signer un contrat, j'ai choisi de considérer qu'un jeune saurait se présenter naturellement s'il était capable de se remettre en question en tant que professionnel et s'il avait suffisamment de recul sur sa pratique. Capable de comprendre et d'exprimer les connaissances dont il dispose et capable de se positionner comme professionnel, il serait nécessairement plus à l'aise dans sa recherche d'emploi.

Quoiqu'il en soit, si l'on replace ces questions dans une logique d'insertion, le rôle du conseiller s'en voit modifié.

Favoriser l'employabilité : deux méthodes d'insertion

Sur le tableau ci-dessus, on voit la différence induite par deux méthodes relevant de l'insertion. La première est celle qui est le plus souvent utilisée par les professionnels de mon institution (et par Pôle Emploi). Elle vise le travail sur la personne en insertion. On cherche, d'une certaine façon, à l'aider à se conformer à ce qui lui sera demandé. Si la priorité affichée est de susciter la signature de contrats de travail, alors il faudra capter un maximum d'offres et faire en sorte que les demandeurs qui y répondent présentent les critères attendus par l'employeur. On

Capacité à présenter les « bons » codes lors de l'entretien d'embauche Obtention d'une qualification

adaptée à l'emploi visé

Offre d'emploi récoltée « telle quelle »

Capacité à comprendre les enjeux de son travail

Capacité à expliciter ses compétences Poste retravaillé avec l'entreprise en fonction de la personne recrutée

développe de fait l'employabilité des jeunes telle que nous l'avons définie plus avant.

Mais en préparant les jeunes à réfléchir sur leurs situations de travail, en les aidant à se positionner en tant que professionnelles, j'ai découvert que le développement de leur capacité à agir (et donc à tenir leur poste sur la durée) devait en passer par un travail sur l'organisation accueillante. Aussi, si aider les jeunes à construire leur expérience passe par le regard que l'entreprise porte sur celle-ci, alors le rôle du conseiller n'est plus simplement de contrôler si les engagements pris en terme de formation sont tenus, mais aussi d'aider l'organisation à modifier sa focale vers l'acquisition de connaissances par le jeune. Cela en passe nécessairement par un travail sur les représentations des entreprises et donc par un accompagnement de cette dernière. Il ne s'agit plus seulement de travailler sur les représentations du jeune mais il faut aussi, et c'est essentiel, travailler sur les représentations de l'entreprise.

Car nous l'avons vu, pour que le dispositif mis en place fonctionne, il fallait que l'entreprise dans son ensemble essaie d'apprendre, pas uniquement le jeune. Et là se trouve une idée fondamentalement différente de l'insertion. Insérer n'est plus aider le jeune à se conformer à une réalité sociale par ailleurs particulièrement fluctuante. Mais insérer c'est aussi essayer de créer les conditions d'intégration en agissant sur le monde extérieur aussi. Ne plus considérer l'entreprise comme un ennemi et comme une barrière, mais comme le réel qui résiste au jeune et sur lequel nous pouvons, nous, conseillers, avoir un certain impact.

Par conséquent, si mon rôle, en tant que conseiller « entreprise » appartient encore au champ de l'insertion, alors il doit être d'accompagner, non seulement les jeunes, mais aussi les entreprises à modifier leur pratiques d'intégration. C'est donc une autre vision de l'entreprise qui est en jeu, elle n'est plus seulement considérée comme un élément du monde environnant, mais comme un levier sur lequel et avec lequel il convient d'agir.