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Partie 2 : Les effets de la mort sur la communauté et le rôle que celle-ci va tenir dans la

5) Le rôle de l’individu :

L’individu ne semble pas avoir une grande marge de manœuvre, il est pris dans un étau d’abord communautaire puis familial. Cependant ses actions vont avoir un impact très fort sur son devenir post mortem et sur celui de ses ascendants et descendants. L’Homme ne peut pratiquement pas exprimé sa souffrance par des attitudes personnelles, il faut qu’il exprime sa douleur en usant des codes et des conventions que lui fournit sa société et son groupe social, ainsi : « de purs réflexes leur paraissent caractériser les sauvages : c’est la civilisation (ils disent : le cérémonial) qui nous dicte nos sentiments et nous empêche de nous écarter « comme nous y serions portés » d'un homme mort « qui ne fait plus de mouvement et inspire l'horreur » ; « elle nous apprend à modérer ou à exciter nos sentiments », et fixe « des degrés et des limites à ces sentiments et à leur expression ». » (Marcel Granet, 1953, p 238).

Le rôle de l’individu est donc de s’accorder au rythme de la procession qui lui impose la société. Par son attitude, son comportement, ses actions dans la vie quotidienne, l’homme va pouvoir aider ses défunts. Sa dévotion va se manifester dans les différents rites qu’il va accomplir pour aider un défunt à atteindre l’immortalité en tant qu’ancêtre. Dans les conceptions bouddhistes et taoïstes, l’homme dans sa vie va acquérir des mérites en fonction du type d’existence qu’il mène. Les tribunaux infernaux de l’au-delà vont avoir la charge de les comptabiliser : « Les mérites des vivants sont imputables aux morts. » (N. Vandier Nicolas 1961, p 236), avec le temps l’idée de rétribution des actes va s’imposer. Durant sa vie l’Homme va pouvoir assurer son passage dans le monde des morts, mais son comportement va également influencer la destinée de ses ancêtres.

En Chine, la mort n’est pas un autre monde lointain et séparé de celui des vivants : « la mort y apparaît conceptualisée sous la forme d’un espace, voire d’un territoire, qui, tout en se trouvant violemment confronté à la rupture avec le monde d’ici-bas, s’y trouve rattaché par une perméabilité pour ainsi dire ruisselante141. ». L’Homme va alors avoir plusieurs

opportunités de se familiariser avec la mort, puisque celle-ci n’est pas hors de sa portée. En effet, la mort est conceptualisée sous la forme d’un territoire précis, qui se trouve en contact avec le monde des vivants par plusieurs passages, lieux, endroits.

L’homme peut donc « tout en préparant son propre destin posthume, favorise la progression de ses défunts dans le monde outre-tombe. » Sandrine Chinivesse, 2001, p 72). Petit à petit va s’imposer l’idée que l’Homme n’a pas simplement la responsabilité de faire survivre uniquement ses ancêtres mais également les fantômes : « This vast sea-change in relations with the dead, entailing the revolutionary notion that the living may have new and specific obligations not only to ancestors but also to ghosts - dead persons outside their own lineage142. ».

Les pratiques religieuses vont avoir d’un côté pour but de supporter et d’aider l’ancêtre dans sa vie dans l’au-delà, d’autres pratiques vont viser à la conservation des énergies vitales dans le corps humain. Il s’agira de purifier son corps et d’en extraire la souillure : « Le souffle est le fondement et le support majeur de la vie, son accumulation mène à la vie, sa disparation à la mort143. ». Pour devenir immortel il faut un corps pur, léger, tout le

monde peut accéder à l’immortalité dans la vie. Pour cela, il faut mener une vie très saine et suivre les prescriptions et recommandations des grands maîtres taoïstes. En revanche, une personne qui meurt à échouer à garder ses énergies vitales en elle. Mais, dans la mort elle peut aussi devenir immortelle : « L'homme juste dépouille son corps de la corruption, il feint la mort pour se délivrer de son enveloppe corporelle, devient un immortel de rang inférieur dans les paradis d'immortalité ou un fonctionnaire dans le monde des morts144. ».

Une fois mort, l’individu va rejoindre la masse des ancêtres. Mais, avant de devenir de bienveillants ancêtres ils gardent des traces de ressentiments, ils cherchent la vengeance : « une simple négligence géomantique concernant une tombe peut entraîner le courroux de l’ancêtre qui y réside145. ». Les morts vont chercher à étancher leur haine par tous

les moyens. La bureaucratie infernale va avoir pour rôle de recevoir les plaintes des morts et d’émettre des sanctions envers ceux qui ont été négligents. Ce sont les plaintes des morts qui vont par la suite entraîner de nombreuses conséquences néfastes pour les vivants. En effet, « les affaires d’outre-tombe ne sont pas en effet limitées à des contentieux entre les morts,

142 CAMPANY Robert F., op cit, p : 19

143 DESPEUX Catherine, « Culture de soi et pratiques d'immortalités dans la Chine antique des royaumes

combattants aux Han », in Religion et société société en Chine ancienne et médiévale, op cit, p 243

144 PERACOLI Michelle, SEVENS T'ser , op cit, p :368

mais elles passent fréquemment les frontières du monde d’ici-bas. Les défunts se plaisent particulièrement à traîner devant les tribunaux divins leurs descendants qui doivent affronter […] les tourments de la justice des revenants146. ».

Ces sanctions attribuées par les tribunaux divins auront des conséquences directes sur la vie des vivants, maladies, pertes de richesses, déchéance sociale, l’emprisonnement peut être le résultat d’une condamnation de l’au-delà147. Les tribunaux sont composés de mort qui

en fonction de leurs actions ont obtenu un poste dans l’administration infernale. Si le manquement est particulièrement grave, la mort du descendant peut être exigée. Ainsi, les calamités qui s’abattent sur les vivants sont généralement interprétés comme le mécontentement des morts. Cela permet d’expliquer les injustices, même une personne vertueuse peut subir un châtiment de l’au-delà.

En effet, même si elle n’a rien à se reprocher, un de ses ancêtres ou un membre de sa famille a pu causer du tort à autrui qui se venge alors et la punition tombe sur la personne considérée comme vertueuse. Cela permet également d’expliquer les inégalités, une personne riche mais moralement condamnable peut connaître une vie parfaite, sans heurts ni difficultés car elle bénéficie des bienfaits accumulés par ses ancêtres. Les morts « semblent se livrer avec passion à ces passe-temps procéduriers. Par l’intermédiaire d’actions dûment menées, ils peuvent demander réparation et assouvir en toute légalité leur vengeance vis-à-vis des morts (ou des vivants) leur ayant causé tort148. ».

Pour réguler la situation il convient de faire appel à des spécialistes qui une en échange d’une rétribution financière se chargeront d’identifier la source du problème et de donner des instructions à la famille pour qu’elle puisse réparer les torts causés. D’où l’importance d’avoir un comportement irréprochable pour ne pas se causer préjudice à soi ou aux autres. Les actions d’un seul individu peuvent perturber l’ensemble de son lignage : « L’individu demeure bien sûr l’acteur principal de son destin, ici-bas et dans l’au-delà. » (Christine Mollier, 2001, p 90).

L’homme va pouvoir à travers sa vie, ses actions, son respect des lois, de la morale faire en sorte de se garantir une place d’immortel dans l’au-delà, il va également contribuer au confort de l’ensemble de sa lignée ; en permettant à ses ancêtres de poursuivre leurs existences dans l’au-delà mais également en les faisant bénéficier de mérites qui favoriseront leur évolution au sein des différents mondes infernaux. La mort est à l’image de la société, elle permet des évolutions, des mutations : « Le monde céleste est comme le monde terrestre, il y a des mutations, des mouvements de personnel. La charge divine est est octroyée par le

146 MOLLIER Christine, op cit, p : 88 147 MOLLIER Christine, op cit, p : 88 148 MOLLIER Christine, op cit, p :89

ciel comme un poste. » (Jean Lévi, 1989, p 203). Le défunt va donc chercher à s’élever dans cette hiérarchie infernale, cela va lui prendre du temps et nécessite d’avoir un comportement exemplaire. Le fait que la mort soit perçue comme un reflet de la société chinoise donne l’espoir que le destin n’est pas immuable. En effet, les âmes po, les Gui peuvent progressivement devenir des dieux, ou des ancêtres à partir du moment où leurs actions sont justes, mais surtout si les vivants les prennent en charge et s’occupent d’eux.

L’individu a donc la responsabilité de son destin post mortem et aussi celle de ses ancêtres. L’interconnexion et l’interrelation qui existent entre les membres d’une communauté et entre le monde des morts et celui des vivants va entraîner de lourdes responsabilités entre les vivants et les morts. De là va découler de nombreux rites et rituels, l’intervention de spécialistes, et la nécessité de se munir de nombreuses protections.