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Rôle de la dynamique conformationelle dans la transduction du signal

Chapitre I : Introduction

I. Les récepteurs couplés aux protéines G : enjeux en biologie structurale

I.4. Rôle de la dynamique conformationelle dans la transduction du signal

pharmacologiques. L’observation de deux populations de récepteur de basse et haute affinité pour un même ligand (en fonction de l’état de couplage à un partenaire de signalisation intracellulaire) a d’abord conduit à formuler le « modèle du complexe ternaire » (figure 5a) (68). Le ligand orthostérique (L) est en équilibre de liaison avec le récepteur (R) découplé (état de basse affinité) ou couplé (état de haute affinité) à la protéine G (G) ; ces deux états étant également en équilibre entre eux. Ce modèle a ensuite été enrichi par l’ajout d’un équilibre conformationnel entre deux formes inactivée (R) et activée (R*) du RCPG (« modèle ternaire étendu ») (figure 5b) (69). Cet équilibre peut être déplacé par le ligand, ce qui aboutit à la stimulation ou l’inhibition de l’activité de signalisation du récepteur. La possibilité de formation de complexes inactifs avec la protéine G a alors été intégrée dans le « modèle ternaire cubique » (figure 5c) (70).

Figure 5. (a) Modèle du complexe ternaire (68), (b) modèle ternaire étendu (69) et (c) modèle ternaire

cubique (70) d’activation des RCPG. L désigne le ligand orthostérique, R le récepteur et G la protéine G. Pour (b) et (c), R et R* désignent respectivement le récepteur inactivé et activé. (d) Schéma du « paysage » énergétique de β2AR en interaction avec différents partenaires adapté de (32).

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Les études plus récentes ont ensuite montré que les RCPG sont des protéines extrêmement flexibles qui explorent en réalité un nombre important de conformations, au-delà des états inactivé et activé proposés par le modèle ternaire étendu et dont les propriétés structurales sont décrites dans la partie précédente (17, 55). L’objectif est donc de caractériser le « paysage énergétique » particulièrement complexe des RCPG (figure 5d) et la façon dont il est modifié lors de l’interaction avec leurs différents partenaires (32). Dans ce paysage, les structures obtenues par cristallographie et cryo-microscopie électronique correspondent à des puits de plus ou moins basses énergies (i.e. plus ou moins peuplés). Ces conformations sont en équilibre entre elles et la cinétique d’échange entre ces états dépend des barrières énergétiques qui les séparent. La résonance magnétique nucléaire (RMN) a largement contribué à l’étude de la dynamique des RCPG (17, 32, 71). La masse moléculaire de ces récepteurs est relativement élevée et limite les expériences de RMN en solution que l’on peut appliquer. D’autant que ces études sont faites avec des récepteurs en micelles de détergent ou en nanodisques. A ce jour, aucune structure de RCPG n’a ainsi été obtenue par RMN en solution (15). Certaines méthodes (discutées dans la partie II de ce chapitre) permettent néanmoins d’étudier leurs échanges conformationnels et les interactions des RCPG avec leurs ligands (71). Des isotopes observables en RMN (19F, 13C ou 15N) peuvent être introduits spécifiquement le long de la séquence d’un récepteur. Ce marquage peut être réalisé lors de l’expression et ne modifie pas l’activité de la protéine (par exemple avec l’incorporation de 13Cε-méthionines) ou chimiquement (par exemple par réaction de trifluoroethanethiol 19F sur des cystéines libres). Ces isotopes sont utilisés comme rapporteurs de leur environnement chimique local. Cela permet entre autres de mettre en évidence l’existence de différentes conformations, ainsi que leur populations respectives et d’estimer les vitesses d’échange entre ces états (71). De plus, des modifications structurales de très faible amplitude peuvent être détectées (72). On peut ainsi étudier de larges changements conformationnels comme ceux de l’hélice 6 mais aussi des modifications plus subtiles comme celles à proximité du site orthostérique (32).

L’étude de la dynamique conformationelle des RCPG a également bénéficié de techniques autres que la RMN (17, 32). La spectroscopie de fluorescence a notamment fourni un certain nombre d’informations sur les RCPG et leurs partenaires de signalisation. Par exemple, des expériences de transfert d'énergie par résonance Förster (FRET en anglais) (73) et sa variante LRET (« lanthanide resonance energy transfer ») (74) ont permis de suivre des changements de distance entre deux sondes greffées sur un récepteur et/ou sa protéine G. Des expériences de BRET (« bioluminescence resonance energy transfer ») ont également été utilisées pour suivre

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la dynamique de protéines G et d’arrestines (17). La résonance paramagnétique électronique (RPE) et notamment les expériences de double résonance électron-électron (DEER en anglais) (75, 76) ont également permis la détermination de distributions de distance entre deux sondes paramagnétiques fixées sur un récepteur. L’avantage de ces techniques est leur sensibilité ainsi que la possibilité de les appliquer à des analytes de masse moléculaire relativement importante comme un complexe RCPG – protéine G. En revanche, elles sont assez peu sensibles à des changements structuraux de faible amplitude.

Les techniques « structurales » peuvent également procurer des informations dynamiques (47). Bien que l’application aux RCPG soit actuellement limitée, cela ouvre des perspectives prometteuses. La microscopie électronique a par exemple permis de mettre en évidence de larges mouvements de domaines au sein des protéines G (57, 77), qui sont impliqués dans l’échange du GDP par le GTP. Ces expériences peuvent aboutir à la détermination structurale des conformères observés (78-80) bien que cette multiplicité conformationelle ne facilite pas l’obtention de structures à haute résolution. L’utilisation d’accélérateurs linéaires d’électrons pour générer des faisceaux de rayons X extrêmement intenses (XFEL pour X-ray free electron laser) offre également de nouvelles opportunités pour la cristallographie résolue dans le temps (47). Pour des systèmes où il est possible de déclencher des changements conformationnels au sein d’un cristal, ces expériences peuvent fournir des cinématiques extrêmement précises de ces modifications structurales. Cela a pu être appliqué à la bactériorhodopsine (81), une protéine à sept hélices α transmembranaires qui n’est pas couplée aux protéines G.

Ici aussi, le β2AR a été le récepteur le plus étudié et fait office de référence (32, 71). Des expériences ont permis de sonder la dynamique du site de liaison de la protéine G (76, 82-86) (en particulier avec des rapporteurs de la conformation de l’hélice 6) et d’autres au niveau de la région reliant le site orthostérique et celui de la protéine G (87-89). Ces travaux ont révélé une multitude de conformations impliquées dans la signalisation via les protéines G (figure 5d) avec des états inactivés (notés E1 et E1’), un (ou des) état(s) intermédiaire(s) (E2) et des états activés (E3 et E3’). Ce paysage énergétique est modifié lors de l’interaction avec les différents partenaires. Ainsi, un agoniste favorise la signalisation via les protéines G en stabilisant l’état intermédiaire E2. L’état pleinement activé E3 n’est lui stabilisé qu’en présence à la fois de l’agoniste et de la protéine G. Un point particulièrement important est que l’on observe un couplage « faible » entre le site orthostérique et celui de la protéine G. En effet, la seule présence d’un agoniste stabilise une conformation intermédiaire distincte de celle de l’état pleinement activé. Aussi, la transition entre ces états d’activation n’est pas systématiquement

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accompagnée de changements conformationnels dans la région reliant le site orthostérique et celui de la protéine G. Selon la position considérée dans cette région, des vitesses d’échange conformationnel différentes ont également été observées (71).

La figure 6a, illustre les résultats issus de l’une de ces études avec des spectres RMN de 13Cε- méthionines à différentes positions du récepteur β2AR (voir figure 6b) (87). Pour chaque méthionine, un pic rapporte une conformation en échange « lent » avec les autres conformations (i.e. avec un temps caractéristique supérieur à ~10 ms). La position du pic dépend de l’environnement chimique de la méthionine considérée dans cette conformation. M822.53 (proche du site orthostérique) rapporte deux conformations inactivées en l’absence de ligand. En présence d’agoniste, ces conformations disparaissent au profit d’une conformation intermédiaire. L’environnement chimique de M822.53 dans cette conformation intermédiaire est très similaire à celui dans la conformation activée obtenue en présence d’agoniste et d’un mimétique de la protéine G. Au contraire, l’environnement chimique de M2155.54 (plus proche du site de la protéine G) est distinct entre ces états intermédiaire et activé. Aussi, M2155.54 ne rapporte qu’une conformation pour l’état inactivé (du moins pour ce qui est d’un échange lent). Enfin, l’analyse de l’intensité des différents signaux obtenus dans cette étude suggère une certaine hétérogénéité structurale des états inactifs et intermédiaires avec de multiples sous- états en échange sur une échelle de temps « intermédiaire » (i.e. autour de 1 ms). Au contraire, l’état activé serait plus homogène.

La dynamique d’autres RCPG a également été examinée dont β1AR (72, 90), le récepteur au leucotriène BLT2 (91), celui à l’adénosine A2AAR (92-95), et le récepteur μ opioïde MOP (96, 97) qui ont été étudiés par RMN en solution. Ces travaux indiquent que les propriétés dynamiques de β2AR sont conservées chez les autres RCPG. En effet, les autres récepteurs étudiés sont également présents sous de multiples conformations en équilibre entre elles, certaines étant des états intermédiaires dans le processus d’activation. Le couplage faible entre le site orthostérique et celui de la protéine G serait aussi un élément conservé. Certaines structures cristallographiques obtenues en l’absence de protéine G ou de mimétique vont également dans ce sens. En effet, ces structures partagent des caractéristiques des états inactivé et activé décrits dans la partie précédente (32). Par exemple, des structures de A2AAR lié à des agonistes (98, 99) montrent le récepteur avec une organisation de la région de couplage correspondant à l’état activé mais avec une position de l’hélice 6 distincte de celle observée dans cet état. L’étude de la dynamique de récepteurs autres que β2AR a néanmoins révélé des

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Figure 6. (a) Spectres 1H-13C HSQC de β

2AR marqué par des 13Cε-méthionines adaptés de (87). Le

premier spectre correspond au récepteur seul, le deuxième a été enregistré en présence de l’agoniste BI- 167107 et le troisième en présence de cet agoniste et du nanobody 80, mimétique de la protéine Gs. (b)

Position des méthionines de (a) (en orange) et des cystéines marquées de (c) (en jaune) sur la structure activée de β2AR (en vert, PDB 3SN6 (62)) où le ligand est représenté en violet. La structure inactivée

est présentée pour référence (en gris, PDB 2RH1 (61)). (c) Spectres de cystéines sur les hélices 6 et 7 de β2AR après marquage par modification chimique au 19F adaptés de (71, 85). Les spectres ont été

enregistrés en l’absence de ligand, en présence d’isoprotérénol (agoniste non-biaisé) ou d’isoétharine (agoniste biaisé vers la voie des arrestines). Les spectres expérimentaux sont en bleu foncé et ont été déconvolués par les spectres bleu clair et rouge. On peut noter que dans cette expérience, les états inactifs E1 et E1’ schématisés dans la figure 5d ne sont pas dissociables.

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paysages énergétiques divers. On observe en effet des différences de nombres d’états, de populations respectives ainsi que de vitesses d’échange.

Cette dynamique conformationelle ne se limite pas à la formation du complexe RCPG – protéine G. En effet, le couplage entre le site orthostérique et celui de la protéine G se prolongerait au travers du complexe de signalisation jusqu’au site de liaison du GDP / GTP sur la protéine G (17). En plus d’initier l’activation du β2AR, ses ligands orthostériques régulent ainsi l’échange de GDP par du GTP par des modifications d’affinité pour la protéine G (73). Ceci est en relation avec l’observation de deux états activés de β2AR au sein du complexe avec la protéine G (notés E3 et E3’ sur la figure 5d). Les protéines G possèdent elles-mêmes une dynamique conformationelle propre impliquée dans le processus de signalisation (17, 100-102). Enfin, la description du paysage énergétique des RCPG est aussi enrichie par des expériences qui ont portées sur la signalisation indépendante des protéines G. Par exemple, la figure 6c présente des spectres de sondes 19F rapportant l’environnement chimique des extrémités intracellulaires des hélices 6 et 7 (85) (voir figure 6b). Cette étude s’est intéressée à l’effet de différents ligands orthostériques et a révélé des différences entre agonistes non-biaisé et biaisé. L’isoprotérénol (non-biaisé) induit la stabilisation de conformations des hélices 6 et 7 différentes de celles de l’état inactivé. Ces conformations stabilisées correspondent à un état intermédiaire. Avec l’isoprotérénol, on obtient des populations équivalentes pour les deux conformations observées. Avec l’isoétharine, qui stimule préférentiellement la signalisation via les arrestines, on observe un effet équivalent pour l’hélice 6 mais l’hélice 7 est entièrement stabilisée dans sa conformation « intermédiaire ». Ce travail ainsi qu’une étude du récepteur μ opioïde MOP (96) suggèrent qu’un équilibre entre de multiples conformations de la partie intracellulaire des RCPG est responsable de l’initiation des différentes voies de signalisation possibles. Des recherches sont aussi menées pour mieux comprendre l’effet de la phosphorylation par les GRK et l’interaction avec les arrestines (17, 103).