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3 Hypothèses et propositions concernant la prise en charge

3.2 Rôle des structures de soins et du thérapeute

3.2.1 Nécessité d’un cadre thérapeutique

Comme dans tous les suivis en pédopsychiatrie, le cadre thérapeutique est primordial . Il passe par différents éléments : régularité du lieu et de l’horaire des séances, mise en place d’un « rituel » en début et en fin de séance, succession de plusieurs phases dans la séance selon le même ordre, etc…

3.2.1.1 Un espace neutre

Le cadre thérapeutique doit permettre d’établir un espace neutre. Cela peut être une gageure lorsque des conflits perdurent entre les différentes branches de la famille. L’équilibre entre l’absence de positionnement dans les conflits et le fait de garantir à tous un espace de parole est en effet bien fragile…

Comme l’indique Catherine Jousselme, cela est particulièrement ardu si « un des deux parents

comprend l’espace thérapeutique comme « contre lui » »… (71).

Le thérapeute doit aussi parfois savoir résister à la « tentation » de s’identifier trop fortement à l’un des deux parents (71), notamment en répondant de manière trop empressée aux attentes implicites ou explicites de « soutien » de celui-ci.

Pour Françoise Moggio (109), un espace thérapeutique neutre doit permettre « que se dégage un

espace de pensée propre (…) car suffisamment disjoint des conflits parentaux », afin de permettre à

l’enfant de consolider « son narcissisme et son processus de subjectivation ».

L’espace thérapeutique peut ainsi permettre à l’enfant « d’exprimer sa vie psychique en quelque

sorte « contre » l’attitude du parent » et de ne plus avoir la sensation de « ne pas exister comme sujet et [d’être assigné] à la place de spectateur de leur haine [celle des parents] sans fin. » (109)

La neutralité du thérapeute passe également par les différentes invites qu’il peut faire aux différents membres de la famille en les sollicitant pour participer aux entretiens.

Selon nous, l’une des principales difficultés lors des suivis d’enfants issus de nouvelles constellations familiales au CMP découle du caractère parfois flottant du cadre et de la position du

179 thérapeute, qui est avant tout celui de l’enfant, mais se retrouve aussi, durant les temps de consultation avec les parents, en position de thérapeute familial.

3.2.1.2 Un cadre qui « fait fonction » ?

Dans certaines situations, lorsqu’un enfant ou un adolescent manque de cadre, de limites, l’espace thérapeutique, et de manière plus large l’institution, peuvent venir soutenir les parents dans cette fonction en « faisant cadre ». Pour Sylvie Quesemend-Zucca, l’institution soutient alors quelque chose qui relève de la fonction paternelle, mais sans pouvoir toutefois s’y substituer (126).

Le cadre thérapeutique permet ainsi de redonner à l’enfant ou l’adolescent qui en manque un sentiment de sécurité, de continuité, dont nous allons voir qu’il est essentiel.

Pour Patrick de Neuter (118), « Le psychothérapeute et le psychanalyste peuvent (…)

« incarner » [une] fonction [d’introduction au langage et à ses lois] dans la mesure notamment où ils mettent en place une situation où le sujet est amené à trouver des mots pour dire ce qui n’a pu être symbolisé par le passé ».

Jean-Paul Hiltenbrand (59) va plus loin encore, en affirmant que le fait d’introduire un manque, et donc de contribuer à l’accès au registre symbolique peut être induit par le langage lui-même :

« Le manque peut être institué par le seul effet du langage et de la parole sans l’intervention

d’aucune figure d’autorité qui imposerait une forme de privation et que, plus avant, ce manque peut valoir comme équivalent de la castration. Il n’est donc pas nécessaire de rêver à un retour au modèle autoritaire passé, une clinique ordonnée du signifiant nous en dispense. »

Même en l’absence de figure soutenant la fonction paternelle dans la réalité, cette fonction pourrait donc être rendue opérante par l’espace thérapeutique lui-même.

L’institution peut également avoir un rôle de tiers, et venir soutenir une autre facette de la fonction paternelle. L’espace thérapeutique peut remplir ce rôle de tiers d’une part de par sa neutralité ; il peut d’autre part contribuer à médiatiser la relation entre un parent et son enfant, notamment lorsque le caractère fusionnel de la relation est renforcé après la séparation.

3.2.2 Les représentations du thérapeute

3.2.2.1 Sécurité et continuité

La séparation constitue un épisode source d’inévitables discontinuités, ne serait-ce qu’en ce qui concerne les relations que l’enfant établit avec l’un et l’autre de ses parents.

Dans leur ouvrage sur la parentalité, Didier Houzel et ses collaborateurs (61) insistent particulièrement sur l’importance de tenir compte de cela, sans s’arrêter dans l’analyse au fait que les discontinuités soient ou non présentes, mais en repérant leur traduction au niveau de la réalité psychique de l’enfant.

180 Il est alors important de pouvoir aider l’enfant à élaborer au mieux les ruptures qu’il a connues, de manière à ce qu’il puisse construire une continuité psychique interne (« sentiment continu d’exister » décrit par Winnicott (155)).

Pour cela, les soignants doivent pouvoir eux-mêmes construire une représentation stable de la situation de l’enfant et de sa famille (dans le temps et d’un intervenant à l’autre). (61)

Les soignants doivent également être capables de garantir à l’enfant et à sa famille une prévisibilité à long terme dans les prises en charges (61), qui peut dans certaines situations contraster positivement avec l’insécurité ressentie par l’enfant du fait de l’instabilité et de l’imprévisibilité des remaniements familiaux.

Nous verrons dans la partie suivante de quelle manière concrète peut s’organiser le suivi et quels supports peuvent être utilisés dans la pratique.

3.2.2.2 La nécessité pour le thérapeute de travailler sur ses propres représentations

Un soignant, lorsqu’il reçoit un enfant et sa famille, a forcément à l’esprit des références à propos de ce que « doit être » une famille, de la manière dont elle s’organise et dont se répartissent les tâches entre ses différents membres. Ces représentations sont issues d’un métissage entre des références théoriques, l’expérience clinique progressivement emmagasinée, et, souvent, le fonctionnement des organisations familiales dans lesquelles le thérapeute a lui-même été amené à évoluer…

Or, nous l’avons vu, l’organisation de la famille a considérablement évolué, de manière très condensée dans le temps. Les thérapeutes qui sont amenés à prendre en charge les enfants issus de nouvelles constellations familiales n’ont donc pas forcément d’expérience personnelle de ce type de famille, et n’ont pas nécessairement à l’esprit de références cliniques ou théoriques suffisamment solides les concernant. Le risque serait donc de vouloir plaquer sur l’organisation de ces familles des références qui ne leur sont pas adaptées, ainsi que l’explique Daniel Sibertin-Blanc (135) :

« L’attention du clinicien, dans ce champ familial dispersé, risque alors de se focaliser sur des

détails significatifs en l’amenant à construire une représentation tronquée des relations qui s’y déploient, de les recomposer en quelque sorte à sa guise selon des schémas normatifs qui réduisent, récusent et discréditent ce qu’elles donnent à voir d’elles-mêmes »

Gérard Schmit et ses collaborateurs (133) parlent d’ailleurs d’une crise non pas de la famille, mais de la modélisation qui en est faite. Ils affirment également qu’il ne s’agit pas de « juger du bien-fondé

des différents types d’organisation familiale » mais d’ « observer, de décrire, de reconnaître les effets des multiples modalités de la parentalité, de l’enfance et du lien familial. »

La prise en charge d’enfants et d’adolescents issus de nouvelles constellations familiales implique donc forcément pour les soignants d’être amenés à travailler sur leurs propres représentations en assouplissant celles-ci, comme l’indique Daniel Sibertin-Blanc (135):

« Ces situations obligent les professionnels d’abord à travailler sur eux-mêmes et sur leurs

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appropriées sans idées reçues, et donc sans risque d’attitudes réparatrices et contraignantes pour les enfants ou moralisatrices pour les parents»

Ainsi donc, il est important de prendre en compte les changements de la structuration même de la famille, en se gardant de porter un jugement et d’adopter une position qui viserait à considérer les enfants comme les victimes des discontinuités liées aux déboires conjugaux de leurs parents.

Le clinicien se doit d’aborder les nouvelles constellations familiales tel un ethnologue des temps modernes, de manière ouverte, en se laissant la possibilité d’être étonné, surpris, et d’apprendre de ces familles, qui pourtant se montrent avides du savoir supposé, des repères et des conseils du thérapeute.

Plutôt que de se focaliser sur les manques présumés, le soignant doit systématiquement s’efforcer de travailler avec les ressources en présence et être en mesure de mettre en place des leviers susceptibles de mobiliser celles-ci.

Le cadre thérapeutique peut ainsi permettre de « réintroduire la généalogie de manière positive » (51), et nous verrons dans la partie suivante à quel point l’utilisation d’outils de médiation peut être utile.

L’idée de co-construction, de cocréation de l’espace thérapeutique doit donc s’appliquer tout particulièrement en ce qui concerne les nouvelles constellations familiales. En thérapie familiale, c'est le terme de « résonance » qui est utilisé pour désigner cette capacité du thérapeute à « vibrer » avec la famille et à se servir de sa propre sensibilité comme d’un outil thérapeutique (20).

Un écueil peut cependant guetter notre « ethnologue des temps modernes », et c'est l’un des points mis en avant par Didier Houzel (61) et son équipe, qui ont relevé le risque d’apparition d’un phénomène de « contagiosité psychique » lors de certains suivis.

Dans cette situation, les processus qui concourent à la désorganisation familiale peuvent ainsi s’étendre aux équipes impliquées dans la prise en charge. Les professionnels tendent alors à reproduire de manière inconsciente avec l’enfant et sa famille les mêmes dysfonctionnements que ceux qui sont à l’œuvre au sein de cette famille, notamment par la répétition de discontinuités ou de clivages.

Toute la difficulté de la position de soignant prenant en charge les nouvelles constellations familiales réside donc dans le difficile équilibre entre possibilité de se laisser « traverser », imprégner par les modalités et le style relationnels de la famille, en y associant la capacité de maintenir le cadre évoqué dans la partie précédente, ce que précise Florence Calicis, systémicienne (20) :

« Il doit s’utiliser et trouver une juste distance, ni trop proche (risque de « transfusion

émotionnelle », de collage, impossibilité de se refléter mutuellement du différent), ni trop loin (pas assez de résonance, pas de rencontre possible et donc pas d’occasion de coévolution). »

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