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Chapitre 2 – Les caractéristiques de l’entraide judiciaire en matière pénale

2.1. Le rôle des autorités centrales

Dans le cadre de l’entraide judiciaire, le terme autorité centrale réfère à « une entité administrative chargée par un État de centraliser les questions de coopération avec d’autres États »147. Les traités obligent habituellement les États à créer une unité de ce genre afin de faciliter leur application, tout en en centralisant le contrôle de la réception, entre autres, de l’analyse de la conformité, de la dévolution des demandes de coopération juridique internationale. La désignation de l’autorité centrale a résolu le problème de la pluralité de voies de contact dans chacun des pays coopérants. Ce problème donnait lieu à de très nombreuses difficultés de communication et des erreurs d’interprétation quant à la finalité des demandes d’entraide ralentissant la procédure148.

La création des entités centrales a également renforcé, même indirectement, le respect de certains droits fondamentaux prévus dans des traités et conventions internationales ainsi que dans la plupart des constitutions nationales. Ces garanties comprennent, par exemple, l’application régulière de la loi (due process of law), le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ainsi que l’application des principes généraux du droit. Dans ce sens, la formation du personnel pour la pratique d’actes spécifiques cherchait primordialement à mitiger d’éventuels vices formels dans l’élaboration, l’envoi et le traitement des demandes de coopération pouvant retarder la conclusion des actes de procédure. Ce qui implique, en

147 Ibid à la p 107.

148 Ricardo Andrade Saadi et Camila Colares Bezerra, « A autoridade central no exercício da cooperação jurídica

internacional » dans Manual de cooperação jurídica internacional e recuperação de ativos : cooperação em matéria penal, 2e

éd, Brasília, Secretaria Nacional de Justiça do Departamento de Recuperação de Ativos e Cooperação Jurídica Internacional (DRCI), 2012, 21 aux pp 25-26.

d’autres termes, le début des poursuites à l’encontre des auteurs des activités criminelles transfrontalières.

En ce sens, l’entraide judiciaire par le biais des autorités centrales de chaque nation est un élément décisif en termes de mesures visant la modernisation de la coopération juridique internationale. En fait, un dialogue continu peut « permette aux États requis et requérant de discuter de ce qui manque et des mesures à prendre pour corriger les lacunes »149. Ainsi, la mise en place d’une autorité centrale en tant qu’entité de liaison entre les pays coopérants fut, avec l’application du principe locus regit actum, la première réalisation de la phase actuelle de la coopération juridique internationale en matière pénale. En effet, ce domaine du droit s’est avéré de plus en plus complexe. De plus, l’essai de simplification des procédures et de diminution de la durée de traitement des actes d’instruction devait conduire à un nouveau moyen de transmission des demandes d’assistance par le biais de voies non exclusivement diplomatiques.

Un point important à cet égard réside dans le fait que la Convention de Palermo et d’autres traités multilatéraux admettent la coexistence de plusieurs autorités centrales dans chaque État, selon les spécificités propres à chacune de ces entités de liaison150. Actuellement, il existe deux modèles d’autorités centrales. Dans le premier cas, les fonctions sont exercées par un organisme faisant partie du pouvoir exécutif. Dans le deuxième cas, elles sont exercées par un organisme du Ministère public (parquet)151. L’adoption du premier modèle (pouvoir exécutif) peut être observée en Espagne, en Angleterre, en Suède, en Suisse et en Uruguay. Par contre, le deuxième peut été observé en Australie, en Colombie, en Équateur, aux États-Unis, au Mexique et au Portugal152.

149 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, supra note 18 aux pp 81-82. 150 Fornazari Junior, supra note 33 à la p 69.

151 Ibid. 152 Ibid.

Au Canada, dans chacune des provinces, ainsi qu’au niveau fédéral, le service d’entraide internationale (SEI)153 aide le ministre de la Justice en tant qu’autorité centrale responsable de la coordination et du maintien du système de gestion des demandes154. Une fois que les autorités compétentes sont convaincues que la personne cible a été accusée d’une infraction relevant de la compétence de l’État et que cette infraction serait un acte criminel si elle avait été commise au Canada155, la gestion des entraides judiciaires est mise en œuvre. Plusieurs facteurs se révèlent pertinents, tels que le niveau d’urgence, la date d’audience ou d’autre délai, la gravité de l’infraction, le fait que l’infraction est en cours, le fait qu’il y a des risques de perte de preuves, entre autres156.

À titre d’exemple, la loi canadienne sur l’entraide juridique en matière criminelle prévoit le cas d’une demande présentée par écrit au ministre par un État ou une entité en vue de l’exécution d’une ordonnance de blocage ou de saisie de biens situés au Canada. En réaction, le ministre peut autoriser le procureur général du Canada ou d’une province à prendre les mesures d’exécution de l’ordonnance157. Le procureur fédéral ou provincial compétent, à son tour, « peut homologuer sur dépôt une copie certifiée conforme de l’ordonnance au greffe de la cour supérieure de juridiction criminelle de la province où les biens qui font l’objet de l’ordonnance sont situés »158. Après son homologation, cette ordonnance vaut jugement de ce tribunal. Il est exécutoire partout au Canada comme si elle était un mandat délivré en vertu du Code criminel. Cette ordonnance vaut dans les cas des saisies et blocages des biens, de même qu’en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances159.

Le Brésil adopte les deux modèles d’autorités centrales (pouvoir exécutif et parquet) et, afin d’accélérer et d’améliorer la qualité des résultats de la coopération fournie et reçue, les deux

153 Ce service a été créé en 1988 au sein de la Direction du droit pénal du ministère de la Justice.

154 FATF, Anti-money laundering and counter-terrorist financing measures - Canada, Fourth Round Mutual Evaluation

Report, Financial Action Task Force (FATF), 2016, en ligne : <http://www.fatf- gafi.org/media/fatf/documents/reports/mer4/MER-Canada-2016.pdf>.

155 Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, LRC 1985, c 30, (4e supp), art 9.3 (3). 156 FATF, supra note 154.

157 Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, supra note 155, art 9.3 (1). 158 Ibid, art 9.3 (2).

autorités centrales sont chargées de la gestion de l’envoi et la réception des demandes d’entraide judiciaire, notamment en identifiant si ces demandes sont en conformité avec le droit interne et la législation internationale, cela avec l’objectif de proposer des adaptations nécessaires160. Les autorités centrales brésiliennes surveillent également l’exécution de ces demandes, qu’il s’agisse de commissions rogatoires ou des entraides judiciaires161.

Le Ministère de la Justice, par l’intermédiaire du Département de recouvrement des avoirs et de la coopération juridique internationale, est l’autorité centrale chargée des demandes d’entraide judiciaire en matière pénale dans la plupart des accords internationaux en vigueur. Néanmoins, dans le cadre des accords bilatéraux pour l’entraide judiciaire en matière pénale la fonction d’autorité centrale est exercée par le Bureau du Procureur général. Celui-ci exerce ces fonctions dans le cadre des accords signés entre le Brésil et le Canada162 et entre le Brésil et les États membres de la Communauté des pays de langue portugaise163. Il coordonne également la représentation du Ministère public fédéral (parquet) dans divers réseaux de coopération juridique et dans des organisations internationales164.

Dans les faits, les unités administratives autorisées à donner suite à une demande d’entraide judiciaire pénale rendent le traitement de ces demandes plus direct et efficace165. Cela dépend de la qualification, de l’expérience et du niveau de formation de leur personnel. Pour contrôler et superviser la conformité des demandes avec de nombreux instruments utilisés par différents pays, l’autorité centrale désignée doit être capable de « [c]onserver une trace de tous les accords, traités, protocoles d’entente, services de liaison de la police et régimes juridiques, de

160 Ministério Público Federal, « Procuradoria Geral da República » (http://www.mpf.mp.br/pgr/noticias-pgr/pgr-passa-a-ser-

autoridade-central-para-cooperacao-internacional-com-paises-de-lingua-portuguesa).

161 Ibid.

162 GAFISUD-FATF, Anti-Money Laundering and Combating the Financing of Terrorism - Federative Republic of Brazil,

Mutual Evaluation Report, Financial Task Force on Money Laundering in South America (GAFISUD) and Financial Action Task Force (FATF), 2010, en ligne : < http://www.fatf- gafi.org/media/fatf/documents/reports/mer/MER%20Brazil%20full.pdf>.

163 Angola, Cap Vert, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mozambique, São Tomé-et-Príncipe et Timor-Leste. 164 Ministério Público Federal, supra note 160.

165 Dans le présent travail, le terme « efficace » est utilisé pour décrire ce « qui produit l’effet qu’on en attend » de sorte que

les résultats des demandes d’entraide pénale soient interprétés de façon uniforme afin de définir si l’objectif recherché a été positif et utile à l’enquête criminelle ou à la procédure pénale qui les ont déclenchées.

l’évolution des législations nationales et internationales et des divers services d’exécution et d’enquête qui sont à l’origine des demandes »166.

Il n’y a pas de règles codifiées dans les traités ou dans les conventions internationales concernant la façon dont les autorités centrales doivent être administrées ou dotées en personnel. Néanmoins, certaines activités dont l’autorité centrale doit être en mesure de mener se démarquent. Il s’agit, notamment, de la formation des praticiens sur les tâches à accomplir et les compétences à acquérir pour être efficaces, de l’exigence d’une réponse uniforme aux demandes reçues et émises, du regroupement des informations relatives aux activités de coopération juridique internationale menées en matière pénale167. Ces actions relatives aux demandes d’entraide judiciaire ont, entre autres, le but de:

• Centraliser toutes les demandes d’extradition et d’entraide judiciaire reçues et émises; • Examiner toutes les demandes de vérification de conformité et les attribuer à un juriste pour action;

• Correspondre avec les États requérants en ce qui concerne la conformité ou la nécessité de compléter une demande, […];

• Examiner les projets de demandes pour vérifier leur conformité et fournir des renseignements sur la façon de les améliorer;

• Assurer une permanence pour pouvoir répondre rapidement aux demandes urgentes; • Répondre aux questions et préparer des notes d’information, des modèles et des exemples pour les pays qui souhaitent présenter des demandes;

[…]

• Assurer le bon fonctionnement des outils disponibles en ligne pour que les États qui envisagent de présenter une demande puissent les utiliser168.

Ainsi, le rôle joué par les autorités centrales vise notamment à favoriser169 la liaison entre les États concernés et éviter que le traitement de la demande d’entraide judiciaire soit entravé par

166 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, supra note 18 à la p 29. 167 Ibid aux pp 30-31.

168 Ibid aux pp 33-34.

169 « Establishing a liaison with foreign practitioners early in the case can help assess potential difficulties, build a strategy,

obtain preliminary information and informal assistance, confirm requirements for MLA requests, and create goodwill in the international cooperation process. Making connections with law enforcement attachés or liaison magistrates posted to embassies is a good way to ensure contact with the authorities in foreign jurisdictions. In larger cases, face-to-face meetings with counterparts have proved essential to successful international cooperation. Direct contact helps demonstrate political will

des problèmes logistiques. Il peut s’agir des délais ou le manque d’informations importantes ou même les doutes quant à l’authenticité et à la conformité de la demande émise à l’étranger. Cela dit, la communication entre les autorités centrales, avant, pendant et après la demande, est une démarche qui influence fortement l’obtention de bons résultats dans le contexte de la mise en œuvre des demandes d’entraide judiciaire actuelles et futures, tout en minimisant les contraintes liées au temps et en facilitant la rédaction de la demande170.

Il n’y a aucun obstacle juridique qui empêche les autorités centrales d’assister les États dans le cadre des mécanismes sous-jacents disponibles, tels que les moyens informels de coopération internationale. En fait, la nature transnationale de certaines pratiques criminelles suscite la mise en pratique de ces moyens alternatifs d’assistance. Nous faisons allusion, en particulier, à celles qui concernent les cas de corruption171 facilités ou commis à l’aide de comptes bancaires étrangères pour gérer des fonds occultes et blanchir le processus de la corruption172. Il convient, par ailleurs, de préciser que certaines demandes de coopération imposent une entraide judiciaire tandis que d’autres peuvent être accordées de façon informelle.

and facilitate discussions of obstacles, strategies, and needed assistance. Some authorities have opted to convene a case conference or workshop that involves representatives from each of the foreign authorities having a potential interest in the case ». (Jean-Pierre Brun, Larissa Gray, Clive Scott et Kevin M. Stephenson, Asset Recovery Handbook A Guide for Practitioners, Washington DC, World Bank Publications, 2011 à la p 25 (https://star.worldbank.org/star/sites/star/files/asset_recovery_handbook_0.pdf).

170 Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, supra note 18 aux pp 80, 87.

171 « Corruption cases are also increasingly complex, involving a range of criminal activities from drug and human trafficking

to money laundering and terrorist financing » (Seehanat Prayoonrat, « The use of financial intelligence units for mutual legal assistance in the prosecution of corruption » dans Denying Safe Haven to the Corrupt and the Process of Corruption : Enhancing Asia-Pacific Cooperation on Mutual Legal Assistance, Extradition, and Return of the Process of Corruption – Capacity Building Program, 4th Master Training Seminar of the ADB/OECD Anti-Corruption Initiative for Asia and the Pacific, présentée à Kuala Lumpur, Organisation for Economic Co-operation and Development and Asian Development Bank, 2006, 18 à la p 18, en ligne : Denying Safe Haven to the Corrupt and the Process of Corruption : Enhancing Asia-Pacific Cooperation on Mutual Legal Assistance, Extradition, and Return of the Process of Corruption – Capacity Building Program <https://www.oecd.org/site/adboecdanti-corruptioninitiative/37574816.pdf>).

172 Seehanat Prayoonrat, « The use of financial intelligence units for mutual legal assistance in the prosecution of corruption »

dans Denying Safe Haven to the Corrupt and the Process of Corruption : Enhancing Asia-Pacific Cooperation on Mutual Legal Assistance, Extradition, and Return of the Process of Corruption – Capacity Building Program, coll 4th Master Training Seminar of the ADB/OECD Anti-Corruption Iniciative for Asia and the Pacific, présentée à Kuala Lumpur, Organisation for Economic Co-operation and Development and Asian Development Bank, 2006, 18 à la p 18, en ligne : Denying Safe Haven to the Corrupt and the Process of Corruption : Enhancing Asia-Pacific Cooperation on Mutual Legal Assistance, Extradition, and Return of the Process of Corruption – Capacity Building Program <https://www.oecd.org/site/adboecdanti-corruptioninitiative/37574816.pdf>.

2.2. L’octroi et le refus d’une demande d’entraide judiciaire en matière