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Chapitre 3. Un modèle d’intégration généralisable : survival of the fittest

3.3. Résumé du raisonnement général

Le raisonnement général du mémoire peut être résumé en les huit points synthèses ci-dessous classés selon les trois sous-questions présentées dans l’introduction :

(1) Quelles sont les raisons qui justifient la recherche d’outils conceptuels pour le philosophe de l’interdisciplinarité en philosophie de la biologie ?

(a) Philosophie des sciences et Philosophie de l’interdisciplinarité

La philosophie des sciences possède deux fonctions : la description et la critique des sciences (générales et particulières) comme objet. Les appels pour le développe- ment d’une philosophie de l’interdisciplinarité, dans une perspective de philosophie des sciences, sont nombreux (e.g. Schmidt (2008) et Mäki (2016)). En effet, ce mode de production de connaissance alternatif joue un rôle de plus en plus central dans la re- cherche scientifique contemporaine. Ainsi, la philosophie de l’interdisciplinarité est une forme de philosophie des sciences visant à décrire et critiquer l’interdisciplinarité comme objet.

(b) Interdisciplinarité et intégration

L’interdisciplinarité comme mode de production de connaissances alternatif en science apparaît sous plusieurs formes et est définie de plusieurs façons.

Deux formes principales d’interdisciplinarité peuvent être identifiées. L’interdisciplina- rité instrumentale vise à répondre à des besoins précis, soit des disciples ou champs de recherche, soit du marché ou de la nation. L’interdisciplinarité critique vise à interro- ger la structure du savoir et de l’éducation dans une perspective de transformation des savoirs disciplinaires.

Deux extrêmes définitionnels peuvent être identifiés quant à la signification du terme in- terdisciplinarité. Les définitions pluralistes (e.g. Schmidt (2008)), vont concevoir celle-ci comme multidimensionnelle. En effet, en fonction de la nature du référent (e.g. objets, théories, méthodes ou problèmes), le sens du terme interdisciplinarité variera. Les défi- nitions monistes (e.g. Mäki (2016)) vont concevoir celle-ci de façon abstraite. En effet, toutes mises en relation pertinentes entre des disciplines (ou leurs parties) vont être considérées comme des instances d’interdisciplinarité.

Une définition type, telle que retrouvée dans les manuels d’apprentissages (e.g. Repko et Szostak (2016)), définit plutôt le terme interdisciplinarité à l’interstice de ces deux extrêmes définitionnels. Suivant celle-ci, grossièrement, le terme réfère au processus d’intégration des perspectives [insight] disciplinaires dans l’étude d’une question ne pouvant être répondue par les ressources d’une seule discipline. Ce faisant, la notion d’intégration joue le rôle de condition nécessaire et suffisante pour l’interdisciplinarité (affirmation largement partagée dans la littérature sur l’interdisciplinarité).

(c) Talon d’Achille de l’interdisciplinarité (Quoi ? et Comment ?)

Une problématique majeure avec la notion d’intégration se situe dans son imprécision quant à ce qui est intégré (quoi ? ) et le processus par lequel cela est intégré (com- ment ? ). Ce problème est rapporté sous la formule caricaturale, mais utile comme étant le « talon d’Achille de l’interdisciplinarité » (Repko 2007, p. 7). Bien que celle-ci soit bien connue des théoriciens de l’interdisciplinarité et explicitement abordée, certaines définitions trouvées dans les manuels (e.g. Repko et Szostak (2016)) portant sur l’in- terdisciplinarité restent sujettes à cette problématique quoique de façon moins évidente.

Sur la première question, la caractérisation de ce qui est intégré comme perspective [insight] disciplinaire ne fait que repousser le problème puisque la définition de la notion est elle-même imprécise (i.e. son extension n’est pas définie).

Sur la deuxième question, certaines techniques proposées (e.g. la technique de l’extension

Repko et Szostak (2016, p. 282-283)) pour permettre l’intégration sont elles-mêmes problématiques ne permettant pas de préciser, in fine, comment l’intégration non pro- blématique est réalisée (i.e. rempli seulement l’aspect descriptif de la question).

(d) Intégration et philosophie de la biologie

Trois raisons motivent la recherche d’outils conceptuels en philosophie de la biologie pour répondre aux problématiques définitionnelles de l’intégration en philosophie de l’interdisciplinarité : la similarité entre les objets d’études ; la présence de modèles variés et sophistiqués conceptualisant l’intégration ; et la présence de nombreux cas d’étude diversifiés.

Sur la similarité entre les objets, la biologie et la recherche interdisciplinaire ont pour caractéristiques communes un pluralisme épistémologique et la considération du monde comme complexe. Ce faisant, les outils conceptuels développés en philosophie de la biologie et de l’interdisciplinarité peuvent être considérés comme devant accommoder des phénomènes ayant des caractéristiques similaires. En d’autres termes, la similarité entre les objets d’étude de ces deux branches laisse croire à une similarité dans les capacité analytiques des outils conceptuels de celles-ci. Ainsi, il apparaît justifiable d’utiliser les modèles développés en philosophie de la biologie en philosophie de l’interdisciplinarité.

Sur la présence de modèles variés et sophistiqués, l’histoire de la philosophie de la biologie révèle un nombre important de modèles d’intégration et distribués uniformément dans le temps. Ce faisant, il apparaît que ce bassin de propositions contient des modèles diversifiés et sophistiqués. Ainsi, il apparaît justifiable d’utiliser les modèles développés en philosophie de la biologie en philosophie de l’interdisciplinarité.

Sur le nombre et la diversité des cas d’étude, l’histoire de la philosophie de la biologie révèle une grande variation entre ceux-ci, notamment sur leurs objets d’étude, leur portée et temporalité et les champs de recherche qu’ils impliquent. En effet, ces cas varient sur leur domaine d’application ; les niveaux d’organisations et échelles temporelles couverts ; et les champs de recherche mobilisés. Ce faisant, le bassin d’étude de cas est à la fois large

et diversifié. Ainsi, il apparaît justifiable d’utiliser les modèles développés en philosophie de la biologie en philosophie de l’interdisciplinarité.

(2) Quel est l’éventail des outils conceptuels que la philosophie de la biologie pourrait offrir au philosophe de l’interdisciplinarité ?

(a) Familles de modèles d’intégration en philosophie de la biologie

Au moins trois familles de modèles d’intégration peuvent être identifiées en philosophie de la biologie : les modèles néomécanistes ; les modèles par unité coordonnée ; et les modèles interchamps.

Les premiers s’inscrivant dans la lignée de travaux de Machamer et al. (2000) sont ca- ractérisés par l’accent mis sur l’étude des mécanismes par les sciences. Ce cadre permet d’offrir les réponses suivantes aux deux questions problématiques entourant l’intégra- tion (quoi ? et comment ? ) : ce qui est intégré sont les explications mécanistiques de deux (ou plus) champs de recherche par la co-construction de schèmes (ou esquisses) mécanistiques. Trois types d’intégrations sont distinguées : intraniveaux, interniveaux et intertemporelle (séquentielle ou continue).

Les seconds, plus marginaux, s’inscrivant dans la lignée de travaux de Neurath repris par

Potochnik (2011) sont caractérisés par l’accent mis sur l’interdépendance épistémique des sciences à la lumière de la complexité causale du monde. Ce cadre permet d’offrir les réponses suivantes aux deux questions problématiques entourant l’intégration (quoi ? et comment ? ) : ce qui est intégré sont les explications « causales » de deux (ou plus) champs de recherche (ou programmes de recherche) par la collaboration dans la création de représentation scientifique (e.g. un modèle). Trois types d’intégrations (collaborations) sont distinguées : le tri des interactions causales, le dépassement des différences entre les champs de recherche et le développement de représentations intégrées.

Les derniers s’inscrivant dans la lignée de travaux de Darden et Maull (1977) sont caractérisés par l’accent mis sur les champs de recherche et leurs interconnexions. Ce cadre permet d’offrir les réponses suivantes aux deux questions problématiques entou- rant l’intégration (quoi ? et comment ? ) : ce qui est intégré sont les éléments conceptuels (e.g. methodi, data, explanantia) de deux (ou plus) champs de recherche par la combinai- son de ces éléments dans l’étude d’une question. Trois types principaux d’intégrations

sont distinguées : l’intégration méthodologique, l’intégration des data et l’intégration explicative.

(3) Si de tels outils existent, y en a-t-il qui sont supérieurs aux autres considérant les besoins conceptuels du philosophe de l’interdisciplinarité ?

(a) Sélection d’un modèle de l’intégration généralisable à la philosophie de l’interdisciplina- rité

Les critères d’adéquation pour un modèle de l’intégration en philosophie de l’interdisci- plinarité peuvent être construits théoriquement sous la forme de deux desiderata.

Le premier consiste en la capacité à analyser l’ensemble des cas théoriquement possible d’interdisciplinarité. En ce sens, ce modèle ne doit pas contraindre a priori la combi- naison entre deux (ou plus) disciplines (desideratum 1).

Le second consiste en la capacité à analyser l’ensemble des cas théoriquement possibles de relations d’interdisciplinarité. En ce sens, ce modèle ne doit pas contraindre a priori la combinaison de relations conceptuelles entre deux (ou plus) disciplines(desideratum 2).

(b) Adéquabilité des différentes familles de modèles

L’analyse des différents modèles d’intégration (néomécanistes, unité coordonnée et in- terchamps) quant à leur capacité à satisfaire les desiderata a révélé qu’un des modèles était plus apte que les autres.

Les modèles néomécanistes, en étant centrés sur les mécanismes, limitent a priori, à la fois, les combinaisons possibles de disciplines (i.e. échouent à satisfaire le premier de- sideratum) et de relations conceptuelles pouvant être établies entre des disciplines (i.e. échouent à satisfaire le deuxième desideratum) analysables à l’aide de ceux-ci. Donc, ceux-ci échouent à satisfaire les critères d’adéquation d’un modèle général de l’intégra- tion en philosophie de l’interdisciplinarité.

Les modèles par unité coordonnée, en étant centrés sur les patrons causaux, ne limitent pas a priori les combinaisons possibles de disciplines (i.e. satisfont le premier desidera- tum) analysables dû à leur conception large de la causalité. Par contre, ceux-ci limitent a priori les combinaisons possibles de relations conceptuelles pouvant être établies entre

des disciplines (i.e. échouent à satisfaire le deuxième desideratum) analysables à l’aide de ceux-ci.

Les modèles interchamps, en étant centrés sur les champs de recherche, ne limitent pas a priori les combinaisons possibles de disciplines (i.e. satisfont le premier desideratum) et de relations conceptuelles pouvant être établies entre des disciplines (satisfont le premier desideratum) analysables à l’aide de ceux-ci. Et même si cela était le cas, ceux-ci sont conceptuellement flexibles ce qui laisse croire que des amendements peuvent aisément être proposés pour améliorer leur capacité à satisfaire les desiderata 1 et 2. De plus, même en postulant que ces amendements soient impossibles, cette famille de modèles est plus apte que les deux autres pour y répondre. Donc, celle-ci apparait comme plus aptes à être exportés en philosophie de l’interdisciplinarité.

(c) Les critiques d’un modèle rival et réponses

Deux critiques sont formulées à l’encontre des modèles interchamps par Nathan (2015). La première concerne la capacité de ces modèles à offrir une justification normative pour l’intégration. En effet, tout modèle d’intégration devrait, selon celui-ci, offrir, à la fois, une description adéquate de l’intégration et une justification pour celle-ci (desideratum 3).

La seconde concerne la capacité de ces modèles à spécifier les minima de l’intégration. En effet, tout modèle d’intégration devrait, selon celui-ci, pouvoir spécifier, à la fois, les minima et les maxima de l’intégration (desideratum 4).

Nathan (2015) exemplifie ce à quoi devrait ressembler un modèle adéquat, selon ces critères, en introduisant le modèle d’intégration par pertinence explicative. La perti- nence explicative réduit tout type d’intégration à l’intégration explicative, i.e. au par- tage d’explananda et d’explanantia et, ce faisant, il lui est possible de répondre à ces deux desiderata.

Or, il est possible de montrer que, même en acceptant les critiques de Nathan (2015) et son postulat de réductibilité des types d’intégration, ces critiques sont injustifiées dans le cas des interprétations récentes des modèles interchamps (i.e. le modèle proposé par

O’Malley et Soyer (2012)). En effet, concernant la première critique, pour les trois types d’intégration (methodi, data, explanantia), l’affirmation d’absence de justification normative pour l’intégration est fausse. De même, cette démonstration a pour effet de

retourner la première critique de Nathan (2015) contre sa propre proposition, celle-ci ne pouvant offrir une description adéquate de l’intégration méthodologique et des data. De plus, concernant la seconde critique, pour les trois types d’intégration (methodi, data, explanantia), l’affirmation d’incapacité à spécifier les minima de l’intégration est fausse. De même, la capacité à spécifier les maxima peut être explicitement montrée.

Ce faisant, le modèle d’intégration O’Malley et Soyer (2012) est apte à satisfaire les desiderata 3 et 4 de Nathan (2015) et évite ainsi ses critiques.

Ainsi, à la question principale du présent mémoire, i.e. la philosophie de la biologie peut-elle servir de source dans l’élaboration d’une boîte à outils conceptuels destinée au philosophe de l’interdisciplinarité sur la question de l’intégration ?, suivant le raisonnement général rapporté ci-haut, il apparaît raisonnable de répondre par l’affirmative.