2. Piratage de sidérophores entre S. ambofaciens ATCC 23877 et Pseudomonas BBc6R8 2.2. Résumé des résultats 2.2.1. S. ambofaciens ATCC 23877 utilise les sidérophores de P. fluorescens BBc6R8 et empêche la production de pyoverdine Lors de la croissance de P. fluorescens BBc6R8 sur le milieu 26A, une pigmentation verte de la strie bactérienne est observée après 48h de croissance à 26,5°C. Cette pigmentation diffuse dans le milieu. La pigmentation devient fluorescente sous UV. P. fluorescens est connue pour produire, en condition de carence en fer, le sidérophore pyoverdine de type catécholate-hydroxamate, qui confère une couleur verte au milieu et est fluorescente sous UV. Lorsque du fer est ajouté dans le milieu 26A, cette pigmentation n’apparait pas. Le milieu 26A serait donc carencé en fer, c’est pourquoi il induirait ainsi la production de pyoverdine chez P. fluorescens BBc6R8. Au cours de l’interaction entre S. ambofaciens ATCC 23877 et P. fluorescens BBc6R8 sur ce même milieu, la pigmentation et la fluorescence sont beaucoup plus faibles. Pour mieux comprendre le phénotype observé en absence et en présence de S. ambofaciens ATCC 23877, un agent chélateur de fer, le 2,2'-dipyridyle, a été ajouté dans le milieu gélosé 26A afin de complètement carencé le milieu en fer. Les résultats obtenus ont été similaires. S. ambofaciens ATCC 23877 est connue pour synthétiser notamment les sidérophores desferrioxamine D, E et la coelicheline, tous les trois de la famille des tris-hydroxamates. C’est pourquoi, une des hypothèses de travail a été qu’en présence de S. ambofaciens, Pseudomonas profiterait des sidérophores produits par Streptomyces et ne synthétiserait alors pas la pyoverdine. Afin de tester cette hypothèse, la souche S. ambofaciens ATCC 23877a été préincubée 30h avant d’inoculer la souche BBc6R8, afin de lui laisser le temps de produire ses sidérophores. Dans ce cas-là, aucune pigmentation ni fluorescence n’est observée chez P. fluorescens BBc6R8. Ainsi, la présence du Streptomyces, notamment l’accumulation de ses sidérophores, empêcherait l’induction de la production de pyoverdine chez P. fluorescens BBc6R8. Afin de tester la capacité du Pseudomonas à utiliser les sidérophores de S. ambofaciens ATCC 23877, de la déféroxamine mésylate purifiée, la desferrioxamine B, a été ajoutée dans le milieu de culture. Les résultats ont montré une absence de fluorescence dans ces conditions de culture. Streptomyces coelicolor A3(2) produit les mêmes sidérophores que S. ambofaciens ATCC 23877 (Barona-Gómez et al. 2004; Lautru et al. 2005; Barona-Gomez et al. 2006). Des 53 cosmides mutés dans les gènes de biosynthèse de la desferrioxamine et de la coelicheline, respectivement desD et cchH, étaient disponibles au sein d’une librairie de cosmides de S. coelicolor mutés par insertion d’un transposon (Fernández-Martínez et al. 2011). C’est pourquoi, nous avons décidé d’interrompre ces gènes dans la souche S. coelicolor M512 (un dérivé de la souche A3(2) incapable de produire les antibiotiques pigmentés actinorhodine et undecylprodigiosine (Floriano and Bibb 1996)). Ces mutants ont ensuite été utilisés pour confirmer que la souche BBc6R8 utilise bien les desferrioxamines comme xénosidérophores mais aussi pour définir si elle est également en mesure d'utiliser la coelicheline. Les cocultures entre P. fluorescens BBc6R8 et les mutants de S. coelicolor cchH et desD ont révélé que Pseudomonas ne fluoresce pas en présence des simples mutants. Cependant, en présence de la souche S. coelicolor ΔdesΔcch, un double mutant déficient dans la biosynthèse de la desferrioxamine et coelicheline (Barona-Gomez et al. 2006), la production du pigment vert n’est pas affectée. Par conséquent, ces données montrent que P. fluorescens BBc6R8 a la capacité d'utiliser les ferrioxamines et la ferri-coelicheline et que dans ces conditions-là il ne produit alors plus la pyoverdine. 2.2.2. Impact de S. ambofaciens ATCC 23877 sur l’expression des gènes impliqués dans la synthèse des sidérophores de P. fluorescens BBc6R8 Afin d’analyser l’effet de S. ambofaciens ATCC 23877 sur l’expression des gènes impliqués dans la régulation et la synthèse de pyoverdine chez P. fluorescens BBc6R8, des analyses transcriptionnelles par PCR quantitative en temps réel ont été effectuées. Les acteurs moléculaires impliqués dans la production de pyoverdine, codés par l’opéron pvd, ont été mis en évidence, ils sont présentés sur la Figure 21. Différents acteurs interviennent dans la régulation de la synthèse, de l’import et de l’export de la pyoverdine. La protéine Fur joue un rôle central de par sa régulation génique à la fois négative et positive (Hantke 2001). Cette protéine se lie au cofacteur Fe2+ nécessaire à sa dimérisation. Lorsque le niveau de Fe2+ intracellulaire est élevé, Fur, lié à son corépresseur, se fixe au niveau d’une séquence cible, la boite Fur, située dans la région promotrice de ses gènes cibles et réprime ainsi leur transcription (Escolar et al. 1999). En absence de fer, la protéine Fur se retrouve majoritairement sous forme « apo » et ne peut plus se dimériser, elle perd donc sa capacité de fixation à l’ADN, permettant ainsi la transcription des gènes cibles. Dans le cadre de la production de la pyoverdine, la protéine Fur régule négativement l'expression du gène pvdS qui code un facteur sigma alternatif. Lorsque la concentration en fer intracellulaire est faible, la répression par Fur est levée, PvdS dirige alors l'expression de l’opéron de gènes pvd, opéron comprenant l’ensemble des gènes nécessaires à la synthèse de la pyoverdine. Fur régule également l’opéron fpvI-fpvR. FpvI est un facteur sigma alternatif quant à FpvR c’est un facteur anti-sigma membranaire. En conditions de carence en fer, la liaison de la ferripyoverdine à son récepteur de membrane externe FpvA déclenche 54 une cascade de signalisation, ce qui permet la dissociation du facteur sigma FpvI de son facteur anti-sigma FpvR et donc l’activation des gènes sous la dépendance de FpvI c’est-à-dire fpvA. FpvR contrôle également l'activité de pvd (Visca et al. 2002; Visca et al. 2007; Cornelis 2010) (Figure 21). Figure 21 : Modèle de regulation du système de synthèse de la pyoverdine et de l’import et export de ferripyoverdine chez P. aeruginosa (Visca et al. 2002; Cornelis 2010). Dans le cadre de la thèse, l’expression des gènes pvdD, pvdQ, pvdS, pvdO, pvdE a donc été analysée. L’expression d’un gène impliqué dans la synthèse de l’énantio-pyochéline, le second sidérophore de P. fluorescens BBc6R8, a également été étudiée. Ces analyses ont révélé que l'expression de ces gènes n'est pas induite ou que très faiblement en présence de S. ambofaciens ATCC 23877. En revanche, les gènes impliqués dans la synthèse des desferrioxamines et de la coelicheline chez S. ambofaciens ATCC 23877, desC et sam0552, sont exprimés sur ce même milieu. Des analyses préliminaires de spectrométrie par NanoDESI ont permis de confirmer la présence de ces sidérophores dans le milieu 26A (analyses réalisées en collaboration avec le laboratoire de Peter Dorrenstein en 55 Californie). Ces résultats confirment bien que S. ambofaciens ATCC 23877 produit ses sidérophores sur le milieu 26A et qu’en leur présence, il y a non induction (ou très faible induction) de l’expression des gènes impliqués dans la production des sidérophores, pyoverdine et énantio-pyochéline, chez P. fluorescens BBc6R8. 2.2.3. P. fluorescens BBc6R8 capte les sidérophores de S. ambofaciens via un récepteur TonB-dependant Afin de déterminer les acteurs moléculaires impliqués dans le cadre de cette interaction, un criblage d’une banque de 4400 mutants aléatoires de P. fluorescens BBc6R8 obtenus par insertion d’un transposon Tn5 a été effectué. Des cocultures entre chacun des mutants et S. ambofaciens ATCC 23877 ont été réalisées sur milieu 26A gélosé. Ceci a permis d’identifier deux mutants, les mutants P. fluorescens P28H6 et P18B10 produisent toujours de la pyoverdine en présence de S. ambofaciens ATCC 23877. Ces deux souches sont mutées dans un même gène codant un récepteur de ferrioxamine TonB-dépendant, le récepteur FoxA. Tous ces résultats suggèrent que le récepteur FoxA de la souche BBc6R8 permettrait de détecter à la fois les ferrioxamines et la ferri-coelicheline produites par S. ambofaciens ATCC 23877. Le récepteur FoxA est connu pour être un récepteur TonB dépendant capable de reconnaitre les complexes desferrioxamines-fer présents dans l’environnement. Des homologues sont présents chez Salmonella enterica serovar Typhimurium (Kingsley et al. 1999), Yersinia enterolica, (Báumler and Hantke 1992), Erwinia amylovora (Dellagi et al. 1999), P. aeruginosa PAO1 (Llamas et al. 2006), P. fluorescens Pf0-1 et P. protegens Pf-5 (Hartney et al. 2011). Le gène foxA est présent au sein d’un opéron comprenant les gènes foxI (codant un facteur sigma ECF), foxR (codant un anti-facteur sigma). Cet operon est regulé par la protéine Fur. Un modèle de régulation de l'absorption du fer par les ferrioxamines via l'intermédiaire de FoxA chez P. aeruginosa PAO1 est présenté en Figure 22. La liaison de ferrioxamine au récepteur de la membrane externe FoxA génère un signal qui est transmis à la protéine FoxR. Cette protéine fonctionne comme un facteur anti-sigma et inhibe la fonction du facteur sigma ECF FoxI en l'absence de ferrioxamine. Après induction, FoxI se lie au complexe de l’ARN polymérase et le dirige vers la région promotrice de ses gènes cibles, ceux requis pour le transport de ferrioxamine (Llamas et al. 2006; Hannauer et al. 2010). Chez P. fluorescens Pf0-1, P. protegens Pf-5 et P. aeruginosa PAO1, cet opéron est à côté du gène pepSY (codant une protéine transmembranaire). Les protéines PepSY sont des protéines transmembranaires retrouvées dans les canaux et les transporteurs, où elles interviennent sur la souplesse et la polarité nécessaire pour le transport à travers la membrane.L’analyse du génome de P. fluorescens BBc6R8 révèle la présence des gènes foxI, foxR et pepSY. 56 Figure 22 : Modèle de régulation de l’import de ferrioxamine chez P. aeruginosa par le récepteur TonB-dépendant FoxA (Hannauer et al. 2010). Afin d’analyser l’impact de S. ambofaciens ATCC 23877 sur l’expression du gène foxA , foxI (facteur sigma ECF), foxR (facteur anti-sigma), des analyses transcriptionnelles par PCR quantitative ont été effectuées. L’expression du gène pepSY localisé à côté du gène foxA a également été analysée. Les résultats ont révélé que l'expression de ces gènes est induite uniquement en présence de S. ambofaciens ATCC 23877. L'expression du gène fur codant le répresseur Fur a également été analysée. Fur détecte le taux intracellulaire de Fe2+ (Escolar et al. 1999). Lors de carence de fer, son rôle de répresseur est levé et les gènes sous son contrôle sont ensuite exprimés. Les résultats montrent que l’expression du gène fur est induite en absence et en présence de S. ambofaciens ATCC 23877. Son expression est constitutive. L’analyse des données génomiques de P. fluorescens BBc6R8 suggèrent que les gènes foxI, foxR, foxA et pepSY sont en opéron. Seul le gène foxI contiendrait une région de promotrice avec présence d’une box fur (AATGCGACTAATTATCATT). Cet opéron serait donc régulé par le répresseur Fur ainsi que par la présence de ferrioxamines dans le milieu via les facteurs sigma et anti-sigma FoxI et FoxR. 57 2.2.4. L’utilisation des desferrioxamines de S. ambofaciens ATCC 23877 est un phénomène répandu parmi d’autres P. fluorescens et P. aeruginosa Pour déterminer la spécificité des résultats observés des cocultures entre S. ambofaciens ATCC 23877 et une banque de 60 souches de Pseudomonas fluorescents ainsi que P. fluorescens pf0-1, P. protegens pf-5, P. fluorescens Sbw25 et P. aeruginosa PAO1 ont été effectuées. Les 60 souches ont été isolées à partir d’un sol brute forestier ainsi que de l’ectomycorhizoshère et de l’ectomycorhize du pin Douglas (Frey-Klett et al. 2005). En présence de S. ambofaciens ATCC 23877, aucune de ces souches ne produit de pyoverdine ni de ferrioxamine B purifiée dans le milieu sauf pour P. fluorescens Sbw25. Contrairement à la souche Sbw25, P. fluorescens pf0-1, P. protegens pf-5 et P. aeruginosa PAO1 sont connues pour posséder l’opéron fox (Llamas et al. 2006; Hartney et al. 2011). Ces données sont donc en corrélation avec les phénotypes observés. En effet, elles suggèrent que la souche Sbw25 ne possède pas FoxA, cette dernière ne pourrait donc pas utiliser les sidérophores de S. ambofaciens ATCC 23877. Ceci explique ainsi pourquoi elle produit de la pyoverdine en présence de S. ambofaciens ATCC 23877. Ces résultats suggèrent également que chez la souche Sbw25, il n’y a pas d’autres récepteurs capables de capter les sidérophores de S. ambofaciens ATCC 23877. Dans le document Vers la compréhension des dialogues microbiens dans les écosystèmes du sol : étude de l'intéraction entre Streptomyces et Pseudomonas (Page 60-65)