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RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS : L’ORDRE HIÉRARCHIQUE, GUIDE PARTIEL DES INITIATIVES

CHAPITRE 3 : AUTONOMIE DANS L’EXERCICE DE LA TÂCHE

3.5 RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS : L’ORDRE HIÉRARCHIQUE, GUIDE PARTIEL DES INITIATIVES

Ce que l’on observe, c’est qu’en dépit du fait que le travail des contrôleurs soit encadré par une obligation de moyen formelle, il est également orienté par une obligation de résultat, informelle, tendancielle où les contrôles s’exercent de façon beaucoup plus indirecte qu’on pourrait le présager. Bien que le cadre soit indissociable de leur survie à l’intérieur de l’organisation et donc indirectement de l’atteinte de leurs objectifs personnels, les contrôleurs admettent l’importance relative des règles dans la structuration de leurs rapports avec leurs informateurs. Dû entre autre à l’insuffisance de moyens et à l’absence de clarté et de précision dans l’énoncé des objectifs, une certaine adaptation serait de mise afin de maintenir la relation et ainsi s’acquitter de leur mandat avec efficience. Les contrôleurs rencontrés mentionnent

ainsi s’accorder une certaine latitude dans l’exercice du travail administratif requis pour le suivi de la relation dû entre autre à la lourdeur des processus administratifs et au manque de ressources matérielles. Ils avouent s’accorder une certaine flexibilité quant au délai de rédaction, au moment et à la nécessité de codifier la relation. L’octroie de faveurs et l’emploie de moyens personnalisés utiles à l’établissement et à l’entretien d’un lien de confiance seraient également de mise. Une des principales observations faites en lien avec l’autonomie que s’accordent les contrôleurs est cette dissonance entre le rôle explicite réservé à l’informateur et celui qui est implicitement entretenu par le contrôleur quant à sa participation à la criminalité. Afin d’atteindre les résultats, les contrôleurs tolèrent une interprétation différente des règles par l’informateur. Ils avancent même que les règles serviraient d’avantage de protection pour eux-mêmes ainsi que pour l’organisation. Leur énoncé servant d’avantage à dégager leur responsabilité face aux initiatives de celui à qui ils sont destinées tout en lui laissant porter le risque associé à l’interprétation individuelle qu’ils en font.

Comme l’ont observés d’autres chercheurs avant nous (Billingsley, 2005; Dunnighan & Norris, 1998; Settle, 1995; Shane, 2016; Skolnick, 1966; South, Nigel, 2001; Turcotte, 2008a, 2008b), ce qui constitue et organise le travail et le processus de sélection auquel inévitablement les contrôleurs font appel et dont découleront les tâches réellement accomplies, laissent place à une autonomie certaine. Bien que les participants reconnaissent l’importance de la structure formelle dans l’existence même de la relation et la nécessité d’un cadre dans lequel leurs stratégies doivent s’établir, nous constatons que les règles de droit et les prescriptions hiérarchiques ne guident que marginalement l’ordre social dans la relation entre l’organisation et ses contrôleurs. On observe une incontestable liberté d’action dans l’exécution de la tâche. Les véritables formalités du jeu se situent d’avantage dans la compréhension respective des non dits ou dans l’interprétation des zones d’ambiguïtés laissées dans l’énoncé des règles. Même si l’on reconnaît l’importance du cadre, le schème de valeurs des contrôleurs sert d’avantage à établir les balises et les actions des individus que les procédures organisationnelles.

« Moi je pense qu’il n’y en a pas vraiment de charte, c’est vraiment comme personne …il y a mes valeurs à moi, mais il y a les valeurs de l’organisation et de la société aussi…comment ce

sera perçu. Moi, si mon boss me dit de faire quelque chose et que pour moi le drapeau rouge se lève, je ne lui dirai peut-être même pas, mais cette enquête là, elle n’aura pas lieu » (C5

D’ailleurs, dans l’exercice de la fonction policière en général, bien que l’administration soit plutôt réticente à l’admettre, soumettant que les activités soient juridiquement et administrativement encadrées, il suffit d'évoquer le discernement avec lequel on incite les policiers à aborder différentes situations pour faire prendre conscience que cette autonomie dans l’exercice de la tâche existe réellement. Elle ne signifie pas nécessairement que les comportements ne soient pas encadrés ou qu’ils soient déviants, mais constitue d’avantage une caractéristique intrinsèque du travail policier (Ericson 1981; Jobard et Maillard 2015; Manning 1997; Monjardet 1996; Settle 1995). Dans le domaine de l’enquête plus particulièrement, comme plusieurs études sur la question l’ont observé, bien que le travail soit perçue comme étant encadrée par de multiples codes et règlements, dirigée par la hiérarchie et contrôlée par la justice, les acteurs s'accordent un haut niveau de discrétion dans la sélection de la tâche, dans l’interprétation des objectifs ou dans les moyens pour y parvenir (Ericson, 1981; Peter K. Manning, 1980; Peter Kirby Manning, J. Redlinger, & Williams, 2005). Cette réalité est d’autant plus observable dans un secteur de la police secret ou les objectifs sont souvent vastes et diffus, les moyens pour y parvenir multiples et les résultats peu quantifiables, comme c’est le cas dans la gestion des informateurs de police.

Ces ajustements visent principalement à rallier la dissonance entre objectifs organisationnels et moyens d’y parvenir et ainsi pallier à l’ambiguïté laissée dans l’énoncé des règles formelles. Klockars (1980), fait référence au « Dirty Harry problem » pour décrire ce dilemme moral rencontré lorsqu’une fin fondamentalement bonne, ce qui est le cas de la plupart des situations auxquelles sont confrontées les policiers contrôleurs, peut ou doit se résoudre par des moyens éthiquement, politiquement ou légalement questionnables. Si le dilemme se résout par le bon jugement et le discernement du policier, il l’expose aussi à avoir à faire face aux risques inhérents à ces différentes options (Dunnighan et Norris 1998; Monjardet 1996; Williamson et Bagshaw, 2001). Le dilemme n’est pas tant d'accepter ou de refuser de prendre ce risque, il

est souvent de déterminer le niveau acceptable, sachant que la probabilité qu’il se transforme en faute n'est jamais totalement nulle. Cette autonomie observée dans l’exercice de la tâche place donc le contrôleur en position préférentielle par rapport à son organisation envers qui il contrôle une incertitude majeure, soit la qualité du lien qu’il est en mesure d’établir avec son environnement. Nous verrons comment, en fonction des stratégies que celui-ci privilégie, l’organisation réussit à maintenir une position avantageuse dans le rapport avec ses informateurs.

CHAPITRE 4 : STRATÉGIES ET NÉGOCIATION DU POUVOIR DANS LA