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CHAPITRE I : LE FRUIT DÉFENDU

1.6 Résultats quantitatifs

Comme le montre le tableau 1, le dépouillement des sources a permis de réunir un total de 674 publicités différentes. Ce nombre est composé de 360 publicités diffusées dans les années 1920 et de 314 provenant des années 1950. Les publicités de Molson et Dow représentent 77,3 % (521 publicités) de l’échantillon pour les deux décennies, soit 263 pour Molson et 259 pour Dow. On compte 95 publicités pour Black Horse et 58 pour Frontenac. Ces chiffres représentent bien l’importance de chaque brasserie sur le marché québécois. Dans le cas de la brasserie Molson par exemple, on estime qu’elle contrôle environ 32 % du marché de la bière au Québec en 1929, alors que la brasserie Dow, le plus grand joueur de la National Breweries Limited, est effectivement sa plus grande rivale96.

Le grand nombre de publicités de bière recueilli dans les journaux et la revue reflète directement la lutte qu’a provoquée la naissance de la National Breweries Limited

en 1909 et son influence grandissante dans la première moitié du XXe siècle. D’ailleurs,

Molson a dû augmenter son budget publicitaire durant les années 1920 pour tenir tête à la

concurrence, celui-ci s’élevant alors, pour la première fois, à plus de 25 000 $ par

année97. Malgré tout, comme l’explique l’historien Gilles Laporte, même si les deux plus

grandes compagnies de bière au Québec se font concurrence, surtout par l’intermédiaire de la publicité qui demeure somme toute respectueuse, l’industrie de la bière dans la

première moitié du XXe siècle ressemble plus à un cartel où les différents joueurs

entretiennent des relations cordiales pour se répartir les parts de marchés98.

Par ailleurs, sur les 674 publicités retenues pour cette étude, 594 sont écrites en français, alors que 80 seulement sont en anglais. Cette disproportion vient du fait qu’une vaste majorité des publicités anglaises sont identiques à celles en français puisque ces dernières sont des traductions et que seules les publicités anglophones présentant une forme et un contenu différents des publicités francophones ont été retenues pour l’analyse (Tableau 2). En fait, il est intéressant de noter que les agences publicitaires québécoises, comme Cockfield and Brown, créent les publicités en anglais pour les faire traduire par des firmes francophones qui sont beaucoup moins développées, surtout dans les années

192099. Rappelons que la première agence publicitaire francophone a été fondée en 1908

par François-Émile Fontaine à Montréal, mais que pour des raisons économiques, cette agence tout comme celles qui ont suivi, conduit ses affaires majoritairement en anglais,

ce qui explique également son nom : « la Canadian Advertising Agency Ltd »100. Il faut

97 Ibid.

98 Laporte, Molson et le Québec…, p. 132-133.

99Côté et Daigle, Publicité de masse et masse publicitaire…, p. 17-18.

100 Jean Marie Allard, La Pub. 30 ans de publicité au Québec, Montréal, Éditions Libre expression, 1989,

dire qu’avant la évolution tranquille, la réussite dans le monde des affaires est

intimement liée à la capacité de fonctionner en anglais101.

Tableau 2 : Nombre de publicités par source

La Presse Le Petit Journal La Patrie Mtl Star Mtl Herald The Gazette La Revue Moderne Total 1920 131 71 45 11 (47)* (95)* 50 — 52 360 1950 64 104 65 0 0 19 (42)* 62 314 Total 195 175 110 11 50 19 114 674

*Les chiffres entre parenthèses représentent le nombre total de publicités anglaises trouvées dans la source, alors que les chiffres en caractère gras représentent les publicités anglaises retenues pour l’analyse. Les publicités traduites ne sont donc pas comptabilisées dans le nombre total. Par exemple, sur 47 publicités trouvées dans The Montreal Star, seulement 11 ne se retrouvent pas dans le corpus des publicités francophones.

En réalité, deux raisons peuvent expliquer l’utilisation des mêmes publicités dans les deux langues. D’une part, la traduction permet d’économiser du temps et de l’argent en ne créant qu’une seule campagne publicitaire pour les deux groupes linguistiques. D’autre part, il est également possible d’affirmer que la culture de la bière transcende la langue. Comme le montre Peter DeLottinville dans son étude de la taverne Joe Beef, la

culture de l’alcool rassemble les hommes plutôt qu’elles ne les divisent102. Que la

publicité soit en français ou en anglais, les pratiques et les occasions de socialiser tout en buvant de la bière sont les mêmes pour tous. Mentionnons également que le dépouillement des sources anglophones pour la décennie 1950 s’est révélé quelque peu étonnant puisqu’il n’y a aucune publicité de bière dans le Montreal Herald ou le

101 Ibid.

Montreal Daily Star (Tableau 2). La cause de cette absence totale est un choix personnel

de la part des éditeurs qui ont décidé de délaisser les publicités de l’alcool dans les années

1940103. Il ne faut donc pas interpréter cette absence comme un désintérêt pour l’alcool

de la part des Canadiens anglais. C’est pourquoi le journal la Gazette a été ajouté dans les sources à dépouiller pour les années 1950 seulement.

Le chapitre 2 est consacré à l’analyse des publicités diffusées durant les années 1920. Il vise à faire ressortir les thèmes dominants dans les messages publicitaires et les approches utilisées par les publicitaires pour commercialiser la bière. Le chapitre 3 analyse pour sa part les publicités parues durant les années 1950 en faisant ressortir les ressemblances et les différences par rapport aux années 1920. Alors que certains thèmes apparaissent dans les deux décennies, plusieurs différences notables sont aussi présentes, c’est pourquoi les chapitres ont été organisés selon un axe chronologique plutôt que thématique.

103Côté et Daigle, Publicité de masse et masse publicitaire…, p. 118; Sébastien Couvrette, Un discours

CHAPITRE II