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Nous l’avons vu, Bételgeuse est la supergéante rouge la plus étudiée de par sa proximité (197± 45 pc, Harper et al. 2008)qui lui confère un des plus grands diamètres apparents du ciel (∼ 42 mas, voir Chap. 2). Cette caractéristique rend observable de nombreux détails de son environnement circumstellaire (CSE) ce qui explique le fait qu’elle a été si souvent la cible d’observations qui ont soulevé autant de nouvelles questions. Il n’existe toujours pas de scénario cohérent permettant d’expliquer son importante perte de masse de la photosphère au milieu interstellaire.

Jusqu’à présent nous avons exploré la photosphère (Chap. 2) et l’environnement proche de l’étoile (Chap. 3) en ultraviolet et proche infrarouge. Le but principal de ces observations était de caractériser le processus déclenchant la perte de masse. Au cours de ce chapitre, nous allons explorer le CSE plus lointain jusqu’à la frontière avec le mi- lieu interstellaire (MIS), c’est-à-dire la zone d’expansion du gaz et de condensation de la poussière.

4.1.1 La formation de la poussière

La question de la condensation de la poussière dans l’environnement des étoiles su- pergéantes rouges (RSG, Red SuperGiant) est complexe. Verhoelst et al. (2009) ont mené une étude approfondie du vent émis par un échantillon de 27 RSG à partir de spectres ISO-SWS. Ils en ont conclu que des similarités de composition entre les étoiles RSG et ce qui est observé autour des étoiles de la Branche Asymptotique des Géantes (AGB, Asymptotic Giant Branch) existent (importante abondance d’oxydes métalliques, faible présence de silicates). Cependant ils ont également déterminé d’importantes diffé- rences : la pente des SED (Spectral Energy Distribution) ne peut être expliquée que par une source continue d’opacité, seules des bandes moléculaires de molécules diatomiques sont observées et l’environnement de certaines étoiles de l’échantillon semblent contenir des hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH, Polycyclic Aromatic Hydrocarbon). Ces molécules sont également observées autour des étoiles AGB (Smolders et al. 2010). Autour des RSG, elles seraient issues de l’activité chromosphérique des étoiles.

Ainsi comme nous l’avons vu au Chap. 1Sect. 1.1, l’analogie selon laquelle les RSG pourraient être perçues comme des variantes plus massive des étoiles AGB souffre de nombreuses lacunes : l’absence de pulsation, la température effective plus élevée et la pré- sence d’une chromosphère créent d’importantes différences qui modifient les mécanismes de la perte de masse. L’environnement des étoiles AGB est, quant à lui, conditionné par leurs pulses qui créent des zones de choc et favorisent le flux de matière.

Suite aux observations de la MOLsphère de Bételgeuse (Tsuji 2000; Perrin et al. 2004a), Verhoelst et al. (2006) ont réinterprété les données ISO-SWS en incluant une photosphère, une couche moléculaire et une couche de poussière dans leur modèle. Ils ont démontré qu’une source d’opacité supplémentaire était nécessaire pour rendre compte des observations et que celle-ci n’était sans doute pas moléculaire ou chromosphérique et ont suggéré la présence d’alumine (Al2O3) amorphe. Ces grains constitueraient des noyaux de condensation pour la formation d’autres espèces de poussière et joueraient donc un rôle crucial dans l’évolution de la composition du vent stellaire de l’étoile. SiO a également été suggéré par Perrin et al. (2007) pour rendre compte d’observations

VLTI/MIDI de la MOLsphere de l’étoile. CependantTeyssier et al. (2012) ne détectent pas ses raies dans les observations d’Herschel. De manière encore plus surprenante, si seules quelques molécules (CO, H2O et OH) ont été détectées dans l’environnement proche de Bételgeuse, ce sont quinze espèces moléculaires qui sont identifiées dans le vent de VY CMa(Cherchneff 2013).

Selon ces auteurs, la séquence de condensation de la poussière dans les environne- ments d’étoiles évoluées demeure ainsi peu comprise. En particulier, pour les RSG, deux types d’étoiles existent : dans le cas de VY CMa, l’environnement est riche en molécules, le vent stellaire est massif et la poussière joue probablement un rôle dans son déclenche- ment. Pour Bételgeuse, l’environnement est plus pauvre, plus inhomogène et la source de la perte de masse est inconnue, l’alumine proche de la photosphère étant trop trans- parente pour initier le mouvement de matière. Dans les deux cas, les mécanismes de formation de la poussière et la région où ils ont lieu restent obscurs.

L’imagerie à la limite de diffraction de l’environnement de Bételgeuse effectuée grâce à l’instrument VLT/VISIR en infrarouge thermique (voir Kervella et al. 2011 et Fig. 1.5) représente un important pas en avant dans la localisation cette zone. Des struc- tures irrégulières ont été observées dans huit filtres de l’instrument. En particulier une couche quasi-circulaire est observable à 0,75” de l’étoile (soit ∼ 35 R?). Étant donné

ses caractéristiques photométriques, cette structure peut être perçue comme un possible lieu de condensation de la poussière. Il aurait été intéressant d’exécuter à nouveau ces observations pour guetter une éventuelle évolution de l’environnement circumstellaire à ces longueurs d’onde. La demande de temps avait été acceptée (ID Prog. 090.D-0662, PI : Kervella) mais suite à un problème lors de la mise à niveau de l’instrument, celles-ci n’ont pas pu avoir lieu. L’appel à demande de temps pour la période 95 de l’ESO (obser- vations entre avril et septembre 2015) a été émis il y a quelques semaines en août 2014, c’est la première fois depuis la période 90 (octobre 2012 à mars 2013) que l’instrument VISIR est à nouveau proposé. Nul doute que cette fenêtre à haute résolution angulaire vers l’environnement circumstellaire des étoiles évoluées en infrarouge thermique sera rapidement exploitée à nouveau.

4.1.2 L’enveloppe gazeuse

Richards et al. (2013) ont observé la même région autour de l’étoile avec e-MERLIN à une longueur d’onde de 5 cm. Dans ce domaine spectral, les données sont dominées par un disque de 310 mas de diamètre (Fig. 4.1). Cependant des structures sont observables au Sud-Ouest de l’étoile : deux points chauds de 4000-5000 K à 5 R? et un arc de matière

à 10-15 R? dont la température de brillance avoisine les 150 K. Le quart Sud-Ouest de

l’étoile semble être une région privilégiée de sa perte de masse sur la période 2009-2012 (voir Kervella et al. 2009, 2011 et Chap. 3). Il est aussi intéressant de remarquer que le pôle de l’étoile suggéré par Uitenbroek et al. (1998) est orienté dans cette direction. Seules des observations régulières à différentes longueurs d’onde pourraient permettre de déterminer si cette similarité de direction est une coïncidence ou non.

Avec les observations CARMA deO’Gorman et al. (2012), ce sont à nouveau des in- homogénéités qui sont observées (Fig.1.5). Dans la raie de12CO J=2-1, deux structures avec des vitesses différentes dans la ligne de visée ont été repérées (Bernat et al. 1979). Les observations CARMA ont permis de les caractériser et de les positionner à 4” et 17”

Figure 4.1 – Observations e-MERLIN de 2012 (Richards et al. 2013). L’image est optimisée pour être sensible aux structures circumstellaires, la taille du faisceau est de 180 mas avec σrms = 0,027 mJy.beam−1. Les contours représentent les flux à (-1, 1, 2, 4, 8, 16)×0,027 mJy.beam−1. Le cercle jaune continu correspond à la photosphère infrarouge estimée à 45 mas de diamètre. Le cercle pointillé correspond au disque de 310 mas de diamètre à 5 GHz (Lim et al. 1998). L’insert en bas à droite montre l’arc au Sud-Ouest après soustraction de la contribution de l’étoile. L’échelle est identique.

de l’étoile. S’agit-il de restes d’un précédent épisode de perte de masse ?

À la frontière avec le milieu interstellaire, les observations deDecin et al. (2012) ont imagé l’arc de choc de Bételgeuse avec des détails sans précédent à l’aide des instru- ments PACS et SPIRE de l’Observatoire Spatial Herschel. Cet arc de choc avait déjà été observé avec IRAS (Noriega-Crespo et al. 1997) et AKARI (Ueta et al. 2008). Les observations de Herschel de 70 à 500 µm permettent de mettre en évidence une structure composée de multiple sous-arcs dont la température s’échelonne entre 40 et 140 K. Ces observations pourraient s’expliquer par une perte de masse épisodique et par le champ magnétique présent dans le MIS. L’ensemble arc de choc et étoile est en mouvement vers une barre rectiligne dont la température est similaire et qui pourrait être le bord d’un nuage interstellaire. Mackey et al. (2012) ont proposé qu’il pourrait s’agit de l’ancien arc de choc de l’étoile lorsqu’elle était encore une supergéante bleue mais la barre ne présente absolument aucune courbure. Une contrepartie de l’arc de choc en hydrogène neutre (raie à 21 cm) a aussi été observée par Le Bertre et al. (2012).

Les preuves d’une perte de masse épisodique de la supergéante rouge semblent s’ac- cumuler. Cependant, la question de la condensation de la poussière reste en suspens. Il est également difficile de déterminer si les extensions des structures vers le Sud-Ouest et l’Ouest sont une simple coïncidence car les observations dans différents domaines de lon- gueur d’onde et à différentes échelles sont parfois séparées de plusieurs années (et nous avons vu au Chap. 3 que l’environnement proche de l’étoile est variable à l’échelle de quelques mois). De plus, l’information dynamique est absente des observations optiques. De nouvelles observations ciblant des longueurs d’onde d’intérêt sont nécessaires pour

Figure 4.2 – Image composite trichrome des observations Herschel/PACS. Le Nord est en haut, l’Est à gauche. Le bleu correspond à l’image à 70 µm, le vert à 100 µm et le rouge à 160 µm. La flèche noire indique le mouvement de l’étoile à travers le MIS.(Decin et al. 2012)

apporter des réponses.

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