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CHAPITRE I : INTRODUCTION GENERALE SUR LA THEORIE DE

1. De Premack et Woodruff à aujourd’hui

1.1 Des résultats négatifs

Au début des études sur la capacité de la théorie de l’esprit chez les primates non humains, aucune évidence expérimentale n’a été révélée, malgré les nombreuses recherches, en particulier sur les grands singes. Les chercheurs ont pensé donc que les singes sont incapables d’inférer des états mentaux à autrui (Tomasello & Call 1997). Les pionniers, Premack et Woodruff (1978), ont tenté de déterminer si les chimpanzés possèdent une théorie de l’esprit ou ses prérequis en étudiant la compréhension des buts d’un humain par un chimpanzé adulte nommé Sara (cf. chapitre 1 paragraphe 1.1). Bien que les premières conclusions de ces auteurs étaient positives, elles ont été remises en question par de nombreux chercheurs et ces premiers résultats restent donc très controversés.

Vingt ans après l’article de Premack et Woodruff (1978), il n’y avait toujours aucune évidence d’une théorie de l’esprit chez les primates non humains. Cependant, la majorité des chercheurs ayant étudié cette question ont affirmé que les chimpanzés, et probablement les autres grands singes, sont capables de certains composants de la théorie de l’esprit, mais pas les autres singes. Pour soutenir ces propos, l’évidence la plus souvent mentionnée provient des études sur l’imitation, la reconnaissance de soi, les relations sociales, la tromperie, l’empathie et le perspective-taking. Heyes (1998) désapprouve ces arguments sur les capacités cognitives des primates non humains. Selon elle, l’imitation et la reconnaissance de soi impliquent des processus non mentaux. Les singes sont capables de tromperie et de relations sociales, mais ces capacités impliquent également des processus non mentaux. Les capacités de ces comportements ne sont pas des indicateurs valables de la théorie de l’esprit

selon elle. L’empathie et le perspective-taking sont des processus plus complexes. Cependant, aucune des études ne met en évidence une réelle compétence des primates non humains à maîtriser le concept de « voir » (Heyes 1998). Les critiques sur l’affirmation que les primates non humains sont capables de théorie de l’esprit font appel au principe de parcimonie, suggérant qu’un grand nombre de comportements complexes des primates peut être expliqué simplement par des processus d’apprentissages plus simples et plus basiques (Heyes 1998; Povinelli, Vonk 2003).

De plus, durant les années 1990, les chercheurs ont obtenu des résultats négatifs sur la compréhension de la perception visuelle chez les chimpanzés (Povinelli & Eddy 1996). Dans cette étude, les chimpanzés réclament de la nourriture aussi bien aux humains face à eux à visage découvert, qu’aux humains face à eux avec un panier sur la tête. Les auteurs expliquent qu’il peut y avoir un biais d’apprentissage et que les primates ont appris à pointer quand un expérimentateur leur fait face. Néanmoins, des résultats également négatifs ont été trouvés sur la compréhension des fausses croyances chez les chimpanzés (Call & Tomasello 1999). Dans les années 2000, il a été mis en évidence que les chimpanzés sont capables de suivre le regard des autres congénères (Tomasello et al. 1998, 2003). Cependant, ce comportement peut correspondre à un comportement réflexe où l’individu regarde dans la direction de l’autre sans comprendre l’objet de son attention. Les chercheurs ont ensuite étudié si les chimpanzés sont capables de se déplacer pour obtenir un meilleur angle de vue sur la cible regardée par un expérimentateur humain et cachée par une barrière visuelle (Tomasello et al. 1999). Ils en sont capables. Dans une autre étude, les chimpanzés regardent même à nouveau l’expérimentateur lorsqu’ils suivent la direction du regard et qu’ils ne trouvent pas l’objet de l’attention (Call et al. 1998). Néanmoins, toutes ces découvertes ne prouvent pas que les chimpanzés comprennent ce que l’autre voit, et donc qu’ils en ont une interprétation mentale. Un consensus universel émerge alors de ces différentes études (Heyes 1998; Povinelli & Vonk 2003) : les capacités de la théorie de l’esprit sont uniques à notre espèce, Homo sapiens.

Les chimpanzés et les autres primates non humains ne sont pas capables de comprendre les états psychologiques de leurs congénères. En d’autres termes, les primates non humains ne pourraient pas prédire l’action des autres individus de leur espèce (Kaminski et al. 2008). Ils sont capables de prédire les réactions d’autrui dans de nombreuses situations, mais ces prédictions sont basées sur leurs expériences passées. C’est donc un processus d’apprentissage qui est mis en jeu. Les primates ne semblent pas comprendre les buts, les perceptions, les connaissances et les croyances qui guident les actions d’autrui.

Cependant, toutes les données ne vont pas dans le sens de ces conclusions. En effet, les études sur la tromperie intentionnelle mettent en évidence que cette capacité semble nécessiter plus qu’une simple compréhension superficielle du comportement d’autrui (Byrne & Whiten 1992).

De plus, certains chercheurs associent ces résultats négatifs au contexte expérimental de ces recherches (Hare et al. 2000; Hare 2001; Tomasello et al. 2003). Les études précédentes proposeraient des contextes non écologiquement valides pour les chimpanzés, qui utilisent le genre de communication coopérative autour d’une source de nourriture proposée par les paradigmes expérimentaux. En effet, ces expériences demandent aux singes de suivre un indice pour trouver un morceau de nourriture. Cette situation n’est pas adaptée aux comportements naturels des primates. Dans leur habitat naturel, les chimpanzés n’indiquent jamais à un autre individu la localisation d’une source de nourriture qu’eux-mêmes pourraient avoir. Ils sont en compétition pour la nourriture et ne la partagent que dans des circonstances particulières.