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Note au lecteur : Par souci d’honnêteté et afin d’avoir l’opinion réelle des personnes interrogées et non des réponses « politiquement correctes », l’anonymat a été garanti. En effet, le but n’est pas d’attribuer des propos à certains mais bien d’avoir leur vision sur les différentes questions posées. De plus, les liens qui unissent les fonds privés, publics et les entrepreneurs étant étroits, il était préférable que chacun puisse s’exprimer librement. Le lecteur pourra, néanmoins, trouver en annexe la liste et la présentation des personnes interrogées. Ce chapitre ne portera que sur le recueil et la retranscription des avis et opinions des personnes interrogées. Le chapitre suivant nuancera certains propos avec la vision de l’auteur.

Question 1 : Le processus de sélection des fonds d’investissements

privés et publics du numérique diffèrent-ils ?

Pour cette première question, nous allons d’abord nous intéresser à la manière dont les fonds sont contactés par les jeunes sociétés, ensuite à la façon dont la candidature d’une startup est analysée et enfin un regard sera porté sur la prise de décision finale d’investir.

La plupart des fonds privés et publics sont contactés par différents biais : via mails, lors de conférences ou via leur réseau. Cependant, plusieurs différences sont à noter. En effet, les fonds publics ont généralement des relais dans différentes villes ou régions d’un pays alors que les fonds privés n’ont souvent qu’un seul point de contact. Par ailleurs, alors qu’aucun fonds privé interrogé n’utilise de formulaires pour être contacté par les startups, plusieurs fonds publics utilisent cette méthode pour réaliser un premier screening.

Une différence qui peut paraître anodine mais qui apparait comme capitale pour un investisseur privé, selon lui « le fait de ne pas utiliser de formulaire, permet de voir si les entrepreneurs se sont posés les bonnes questions, connaissent bien leur marché et savent comment s’adresser à un investisseur, qui, dans ce cas-ci, est leur client potentiel ». De plus, le fait de ne pas permettre d’être contacté via un formulaire constituerait également un premier test quant à la capacité de l’entrepreneur à surmonter certains obstacles. « Recevoir un mail sur notre boite mail personnelle, via une introduction ou via une adresse mail générique de notre fonds, permet déjà de juger de la qualité de la startup », selon ce même investisseur.

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En outre, tous les fonds profitent des réseaux d’accélérateurs et d’incubateurs dans les différents pays. Une différence cependant : alors que les fonds publics « attendraient » les startups, tout en étant présents lors d’événements, les fonds privés feraient preuve de plus de proactivité afin de « dénicher » les meilleures d’entre elles. Le nombre de dossiers reçus par « tête d’habitant » était d’ailleurs plus important chez les fonds privés interrogés39.

Au regard du délai entre la réception du dossier et la présentation d’une term sheet40, et ensuite entre cette première proposition et le contrat final, aucune différence notable n’a été remarquée entre les deux types de fonds, le temps est généralement compris entre deux et quatre mois.

Le processus de sélection entre les fonds privés et publics suit les mêmes lignes directrices, à savoir que les dossiers sont pris en charge par des analystes ou des investment managers.

Ensuite, un ou plusieurs rendez-vous sont organisés avec ces derniers ou des partners avant qu’une première term sheet soit proposée dans l’hypothèse d’une poursuite d’un dossier. Généralement, les VCs composent des équipes en binôme afin de réaliser les analyses des sociétés. La différence majeure réside dans la manière dont sont pris les premiers contacts. En effet, les fonds privés ont tous confié se rendre, au moins une fois, dans les bureaux des startups pour mieux comprendre la vie de la société ; cela, afin d’observer les interactions humaines au sein de celle-ci et, dès lors, de mieux appréhender certaines problématiques liées au business. D’ailleurs, selon un investisseur, « uniquement au hall d’entrée de son siège, on peut comprendre si la société est orientée vers les résultats et est innovante ». Hormis ce point, les fonds tant publics que privés réalisent plusieurs rendez-vous avec la startup avant de prendre une décision d’investissement et appuient leur choix par des vérifications auprès des clients.

En ce qui concerne les points d’attention ou de refus, les fonds d’investissements tant privés que publics, en early stage, investissent d’abord dans l’équipe, le produit ou la technologie. Ils regardent, par ailleurs, le potentiel de marché ainsi que la stratégie d’expansion ou encore la « traction » de la startup. Plusieurs dirigeants de fonds publics ont insisté sur la plus-value de l’originalité du business model.

Les raisons de refus évoquées se ressemblent. Cependant, les fonds privés ont mentionné comme première raison de non-investissement un manque d’entente personnelle avec les

39Vu la taille de l’échantillon des fonds interrogés, nous ne pouvons faire une affirmation scientifique ou statistique forte.

40La term sheet ou lettre d’intention est un document qui synthétise les différentes clauses qui seront reprises dans le pacte d’actionnaires final. Il a généralement peu de valeur juridique si ce n’est qu’il marque un accord entre le fonds et la startup d’aboutir rapidement à un accord d’investissement et de ne plus poursuivre des discussions avec d’autres fonds d’investissement.

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entrepreneurs, ceci pouvant s’expliquer par un temps plus long passé avec les start-ups ainsi que par une analyse moins « administrative » des dossiers. Globalement, les points de vigilance cités par les investisseurs sont dans la lignée de ce qui peut être lu et entendu, dans les conférences, sur les sites internet, etc qui traitent du digital.

Au regard de la due diligence effectuée par les acteurs privés ou publics, les différences ne sont pas marquées. Cependant, un investisseur public a reconnu que les fonds publics n’allaient pas autant dans les détails que les investisseurs privés, ce qui fut d’ailleurs confirmé par plusieurs sources. Dans la majorité des cas, la due diligence technique est soit réalisée par des personnes du staff, par un centre de recherche, un expert privé ou des personnes du réseau des investisseurs. Il n’y a pas de différence majeure hormis le fait que les fonds privés solliciteraient plus souvent les sociétés déjà investies afin de réaliser l’assessment technologique. La due diligence qui concerne le background personnel des fondateurs et employés est quant à lui réalisé de manière similaire avec des reference calls. Cependant, les investisseurs privés semblent y accorder une importance particulière. Au regard des autres points d’attention, les contrats commerciaux ou d’emploi des salariés tout comme la santé financière, et le cas échéant, la protection intellectuelle sont analysés.

A la lecture de la littérature, il est apparu que les autorités publiques accordaient une grande attention au soutien de l’économie et en particulier aux emplois créés ou maintenus sur leur territoire. Le digital apporterait une autre dimension pour les investisseurs tant privés que publics. Etonnamment, la création d’emplois a rarement été évoquée comme un critère déterminant tant par les uns que par les autres ; le caractère scalable du numérique pouvant être la principale explication. Même si les start-ups connaissent une forte croissance et que cela engendre généralement une augmentation du nombre d’emplois, ce sont rarement les startups digitales qui engagent le plus de personnel.

D’ailleurs, certains fonds publics n’exigeraient pas un siège d’exploitation ou social dans leur pays/région et peuvent donc investir à l’étranger pour peu que la startup concernée ait un partenariat technique ou commercial avec le pays ou la région ciblée. Néanmoins, les investissements hors-territoire restent exceptionnels, selon les fonds publics ; le développement de l’écosystème numérique de la région concernée restant prépondérant.

Enfin, le taux de dossiers financés par rapport au nombre de dossiers reçus était plus important auprès des fonds d’investissement publics. Alors que les fonds privés affirment avoir moins

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d’un pourcent d’acceptation, les fonds publics seraient quant à eux à un taux de trois à six pourcents.

En plus du soutien économique, une autre explication peut être avancée. En effet, la composition des comités d’investissement, instance de décision finale, est relativement différente. Dans les fonds publics, les comités ne sont pas uniquement composés de spécialistes du numérique mais plutôt de personnes venant de « l’innovation » en général, incluant donc le

biotech, cleantech ou life sciences voire même des représentants des ministères. Les membres des comités d’investissement des fonds privés rencontrés, quant à eux, étaient tous des spécialistes du numérique et étaient composés uniquement des partners liés au fonds. Par ailleurs, les comités d’investissement des fonds privés rencontrent toujours physiquement (ou au moins par échange téléphonique) les entrepreneurs.

En résumé, il ressort des interviews réalisées que le processus d’investissement entre le Privé et le Public diffère sur certains points. Tout d’abord, vis-à-vis du premier contact pris, ensuite selon la sévérité de la due diligence et la manière de la réaliser. Les critères liés à la localisation ainsi que la composition du comité d’investissement pourraient partiellement expliquer certaines de ces divergences. En outre, les autres points analysés ne ressortent pas comme fortement dissemblables.

Question 2 : Les fonds publics ou privés connaissent-ils des divergences

quant à l’aide apportée aux startups ?

L’aide apportée à une startup investie est souvent cruciale pour son évolution. En effet, si la sélection peut laisser place à une certaine flexibilité, le soutien fréquent et régulier est primordial pour sa croissance. Alors que la littérature scientifique montre de grandes divergences entre les investisseurs publics et privés, seules quelques différences ont pu être relevées lors des interviews.

La principale aide qui est apportée aux startups concerne le recrutement ; tant les fonds publics que privés s’accordent sur ce point. Tandis que les investisseurs publics mettent en avant leur réseau étendu et leurs capacités de matchmaking, les investisseurs privés interrogés soulignent avoir de l’expérience en matière de recrutement puisqu’eux-mêmes y ont été confrontés au cours de leur carrière. Par conséquent, ils pourraient aider les startups tant pour la rédaction d’une offre que pour la sélection d’un candidat.

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L’autre domaine dans lequel les investisseurs peuvent aider les startups est le développement commercial. Tant les fonds privés que publics insistent sur des réseaux étendus composés de décisionnaires dans des grandes entreprises. Par contre, les investisseurs privés se considèrent comme les premiers vendeurs des sociétés participées, ce qui n’a pas été le cas des investisseurs publics.

En ce qui concerne le conseil d’administration des sociétés, tous les fonds d’investissements publics n’exigent pas d’y avoir un siège, même si la plupart le demande pour avoir un rôle minimum d’observateur ; les fonds d’investissements privés, quant à eux, sont toujours administrateurs. Cependant, tous soulevaient le fait que le conseil d’administration n’était qu’une part minimale de l’aide apportée aux startups. Le travail au quotidien, les appels et mails informels constituant l’essentiel du support.

Selon un investisseur privé, les fonds publics réaliseraient plutôt du matchmaking alors que son fonds aurait une approche plus hands on, ceci expliquerait la différence de résultat final. Car les uns comme les autres aideraient les startups dans les mêmes domaines. Cependant, pour un autre intervenant, la différence ne se situerait pas au niveau du caractère privé ou public d’un fonds mais bien de la carrière de l’investment manager et de son passé entrepreneurial.

En résumé, même si les aides apportées aux startups sont principalement semblables, les fonds privés semblent avoir un rôle plus actif dans leur développement.

Question 3 : Les investisseurs publics apportent-ils un label de qualité

aux startups ?

Il est intéressant de savoir si les fonds publics attirent d’autres VCs et quelle est la perception de ces derniers sur les choix d’investissement des premiers.

Une nette évolution a été remarquée dans les fonds d’investissement publics puisque la plupart sont considérés comme plus sérieux que par le passé. D’ailleurs, leur volonté de professionnalisation est remarquée tant par les fonds publics eux-mêmes que par les Privés.

Deux éléments expliqueraient principalement cela, selon les acteurs du gouvernement. Tout d’abord, les fonds publics chercheraient, tout comme les fonds privés, le retour sur investissement car cet alignement, leur permettrait d’être mieux considérés. De plus, les fonds publics mettent en avant que les investment managers et autres personnes de leur structure viennent pour la plupart du secteur privé ou ont la volonté, dans le futur, d’exercer dans des

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fonds non liés à l’état. Dès lors, les premiers connaitraient les exigences du marché tandis que les seconds seraient à la recherche des bons deals afin de « faire leurs preuves ».

Cependant, les investisseurs privés mettent en avant qu’aucune figure connue dans les écosystèmes nationaux ou régionaux ne se retrouve dans les « rangs » de fonds publics, ce qui altère dès lors la perception de qualité. Un investisseur soulignait d’ailleurs qu’il évitait d’investir conjointement avec le Public car ce dernier ne visait pas assez la « performance ».

Selon certains, le Public ne chercherait pas toujours l’intérêt de la startup et de l’entrepreneur, notamment au regard de la délocalisation ou de la vente des sociétés.

Outre leur volonté de performance, les fonds publics mettent en exergue leur capacité à apporter des standards de marché, par rapport à des clauses dans les term sheets, à des valorisations ou encore au soutien à des technologies nouvelles et risquées pour le Privé.

Même si certains fonds publics (souvent dans des pays de tailles plus importantes) se spécialisent et peuvent engager des personnes ayant un background financier et technique, l’effet de filtre ne fonctionnerait pas de manière optimale. En effet, les fonds publics devant avant tout « faire de la masse », les dossiers financés ne bénéficieraient pas d’une reconnaissance particulière. Selon certains, comme le public chercherait avant tout à faire du

CSR41, de la communication, il distrairait les entrepreneurs avec des activités annexes à leur

business, ce qui ne leur permettrait pas d’être aussi performants. D’ailleurs, un investisseur soulignait que « les meilleurs entrepreneurs vont chercher les meilleurs investisseurs et que s’ils se dirigent d’abord vers le Public, cela envoie des indications négatives quant à l’ambition de la startup ».

Cependant, il a été mis en avant que la capacité du Public à intervenir à tous les stades de financements était bénéfique, surtout s’il reste passif. En effet, les fonds publics peuvent soutenir des startups de l’amorçage à l’IPO. D’ailleurs, le fait qu’un investisseur public, qui a des exigences parfois plus faibles en termes de gouvernance, intervienne, permet à un fonds privé de diminuer son risque tout en bénéficiant d’une forte influence dans la gestion de la startup. De plus, dans certains secteurs spécifiques et fortement réglementés, l’apport d’un institutionnel permettrait d’ouvrir certaines portes et d’amener certaines garanties.

En résumé, même si une amélioration est remarquée dans les fonds publics, les fonds privés ne considèreraient pas leur soutien comme un « label de qualité », contrairement à ce qu’il a pu

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être lu dans la revue de littérature, bien que la capacité d’intervenir à tous les stades de financement ferait du Public un partenaire solide. Ceci s’explique principalement par un manque d’alignement, selon eux, des objectifs poursuivis. Alors que le Public affirme également chercher le rendement, ils seraient toujours considérés comme des « animateurs économiques ». Par ailleurs, le Privé ne considérerait pas mieux une startup financée par le Public principalement à cause du manque de rigueur dans la sélection des startups proposées.

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