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Résistance et hypersensibilité aux antivitamines K : [22, 69, 70, 71]

Comme il a été décrit dans la partie concernant le mécanisme d’action des antivitamines K, leur activité repose sur l’inhibition d’une enzyme du cycle de la vitamine K, la sous-unité 1 du complexe vitamine K époxyde réductase (VKORC1). Le gène codant pour l’époxyde réductase a été récemment identifié et des variants de VKORC1 ont été initialement associés à des cas de résistance à la warfarine et des déficits congénitaux de facteurs de la coagulation vitamine K dépendants. Plus récemment, il est apparu que des polymorphismes génétiques de VKORC1 influençaient également le risque hémorragique et la posologie à l’équilibre des antivitamines K.

Si l’existence de la VKORC1 était établie depuis longtemps, le gène n’a été identifié qu’en 2004, ce qui a permis de mieux comprendre la structure de la protéine et d’expliquer un mécanisme de résistance ou d’hypersensibilité à la warfarine par l’existence de mutations dans la séquence codante.

La découverte de la VKORC1 a permis l’identification de facteurs génétiques modulant la réponse aux antivitamines K et à l’origine de la variabilité interindividuelle. Ainsi, les variations génétiques de la cible pharmacologique des antivitamines K peuvent conduire, selon leur nature et leur localisation sur le gène, soit à des cas de résistance, relativement peu fréquents, nécessitant des doses élevées, soit plus fréquemment, une hypersensibilité pouvant aboutir à des surdosages et des accidents hémorragiques potentiellement graves, conduisant à une réduction de posologie.

5. Résistance aux antivitamines K : [22, 70, 72]

La caractérisation du gène de la VKORC1 a initialement permis d’expliquer des phénomènes de résistance aux antivitamines K chez des patients nécessitant des doses très élevées de warfarine (posologie supérieure à 15 mg par jour). Des mutations rares dans la région codante du gène ont ainsi été associées à une résistance à la warfarine. Ces mutations aboutissent à un changement d’acide aminé dans la séquence protéique : Val29Leu, Val45Ala, Arg58Gly, Val66Met et Leu128Arg. L’expression des différentes protéines mutantes dans des cellules HEK293 a permis de montrer que l’activité basale de la VKORC1 était diminuée et surtout que l’enzyme mutée était moins sensible à l’inhibition par la warfarine, ce qui pourrait être à l’origine de la résistance au traitement anticoagulant.

6. Hypersensibilité aux antivitamines K : [22, 70, 71, 74, 75]

Des polymorphismes génétiques fréquents, localisés dans le promoteur du gène de la VKORC1 ou dans les séquences introniques, ont par la suite été associés à la réponse aux antivitamines K. Une première publication a permis de montrer l’impact d’un polymorphisme intronique (1173C > T, intron 1) sur la dose à l’équilibre de warfarine avec une diminution significative (de l’ordre de 50 %) des doses chez les porteurs du génotype TT. À la suite de ce travail, un polymorphisme dans le promoteur (Ŕ1639 G > A) a été corrélé avec la variation du facteur VII chez des volontaires sains recevant une dose unique d’acénocoumarol.

Les sujets porteurs homozygotes AA pour le polymorphisme en position Ŕ1639 (ou TT pour la position 1173) correspondent à des individus « hypersensibles » aux antivitamines K. En fait, il existe de nombreux polymorphismes sur le gène apparaissant en déséquilibre de liaison et leurs différentes combinaisons définissent des haplotypes VKORC1 dans les populations. Rieder et coll. ont démontré que les haplotypes VKORC1 permettent d’individualiser les sujets nécessitant de faibles doses de warfarine et ceux qui nécessitent des doses plus élevées. [74]

7. Attitudes à suivre. [7, 15]

La résistance ou l’hypersensibilité peuvent apparaître d’emblée ou après une certaine période d’efficacité. Avant d’affirmer une réelle résistance ou hypersensibilité, il faut éliminer les simples inhibitions/potentialisations des effets de l’antivitamine K : interférence médicamenteuse (tableau VI et VII) et/ou alimentaire (tableau III), non suivie du traitement par le patient. Ainsi, le défaut de compliance du patient, l’excès ou la carence en vitamine K d’origine alimentaire et la prise de médicaments inhibiteurs ou potentialisateurs constituent les causes les plus fréquentes à l’origine de cette résistance ou hypersensibilité biologique.

 Dans le cas d'une résistance aux antivitamines K, l'augmentation de la posologie quotidienne est possible. Cependant, elle reste dangereuse en raison du risque hémorragique potentiel en cas de disparition du facteur à l'origine de cette résistance. De plus, il existe une réticence à dépasser la prise de 3 à 4 comprimés du fait du risque d'intolérance, dû aux effets indésirables des AVK. Une autre attitude consiste à choisir une molécule à demi-vie plus longue.

 Dans le cas d'une hypersensibilité aux antivitamines K, en pratique, il suffit de réduire la dose quotidienne. Toutefois, lorsqu'elle devient inférieure à 1/4 de comprimé, on peut envisager l'espacement des prises, soit l'utilisation de molécules à demi-vie plus courte. Néanmoins, ces solutions présentent des inconvénients tels qu'une instabilité de la coagulation pendant le nycthémère, ou encore une insuffisance de traitement due à l'arrêt d'un facteur d'hypersensibilité méconnu.

 Une résistance ou hypersensibilité doit cependant être explorée :

- S'assurer de la bonne compréhension du traitement et du rythme des prises. L'utilisation d'un carnet de surveillance, où seront notées les prises médicamenteuses, doit être exigée ;

- Faire une étude détaillée de l'alimentation susceptible d'interférer avec la prise des antivitamines K ou rechercher tout trouble de l'absorption digestive du médicament ;

- Faire l'inventaire des médicaments associés ;

- Pour l'hypersensibilité, pratiquer un bilan d'hémostase (temps de céphaline activée, fibrinogène, dosage de l'activité spécifique des facteurs II, V, VII et X) sachant qu'un déficit acquis ou congénital en facteurs de la coagulation peut expliquer l'élévation de l'INR ;

- Si aucune étiologie n'est retrouvée, déterminer le taux plasmatique et la demi-vie de l'antivitamine K (voir figures 6 et 7). [76]

Ou Ou Haute Resistance Compliance excessive Résistance d’origine tissulaire Resistance d’origine pharmacocinétique Resistance d’origine pharmacocinétique Inhibition de l’action de l’AVK <2 Réduite Élevé Normal Bas Normal INR Posologie prescrite Demi-vie d’élimination du médicament Taux plasmatique du médicament

Ou Ou Basse Hypersensibilité Compliance excessive Hypersensibilité d’origine tissulaire Hypersensibilité d’origine pharmacocinétique Hypersensibilité d’origine pharmacocinétique Potentialisation de l’action de l’AVK >2 Allongé e Bas Normal e Élevé Normal INR Posologie prescrite Demi-vie d’élimination du médicament Taux plasmatique du médicament

8. Variabilité interindividuelle des antivitamines K : [22, 25, 70, 77]

Les polymorphismes génétiques de la VKORC1 permettent d’expliquer selon les études 30 à 50 % de la variabilité de la réponse aux antivitamines K et notamment de la dose nécessaire pour atteindre l’INR cible. De plus, les différences de fréquence du polymorphisme Ŕ1639 G > A ont permis de comprendre les variations interethniques observées dans les doses d’antivitamines K utilisées.

Ainsi, la fréquence des homozygotes AA est de l’ordre de 15 % chez les Caucasiens alors qu’elle dépasse 80 % dans certaines populations Asiatiques (Chinois, Japonais), ce qui permet d’expliquer, qu’à poids égal, les Asiatiques reçoivent des doses usuelles d’antivitamine K plus faibles que les Caucasiens.

D’autres facteurs peuvent être impliqués dans l’explication de la variabilité interindividuelle de la réponse aux antivitamines K, notamment le poids, l’âge et le sexe.

Dans la prise en charge thérapeutique des patients mis sous traitement anticoagulant, le génotype VKORC1 peut être utilisé pour stratifier les individus en sous-groupes nécessitant des doses plus ou moins élevées d’antivitamine K. Concernant la warfarine, des algorithmes permettant la prédiction de la dose d’initiation du traitement ont été publiés ; ces algorithmes prennent en compte l’âge, le poids, le génotype VKORC1 ainsi que celui du cytochrome P450 2C9 qui est la principale enzyme responsable de l’élimination des antivitamines K.

Ainsi, les facteurs génétiques liés au métabolisme (CYP2C9) et à la cible pharmacologique (VKORC1) permettent d’expliquer plus de 50 % de la variabilité de la réponse aux antivitamines K. Le génotypage systématique avant la mise en route d’un traitement par antivitamines K deviendra certainement un outil indispensable dans la définition des doses des antivitamines K à utiliser et participera à la prévention du risque hémorragique lié aux antivitamines K qui sont à l’origine chaque année de milliers de décès (17 000 hospitalisations et plus de 3000 décès par an en France). [68]