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CHAPITRE I : LE VERT DE GRIS DANS LA PEINTURE A HUILE

I.2.2 Le « résinate de cuivre »

I.2.2.1 Définition et occurrence

I.2.2.1.1. Définition

Le terme « résinate de cuivre » porte à confusion parce qu’il désigne

- un pigment de synthèse issu de la réaction entre acide résinique (colophane ou térébenthine) et un composé au cuivre [Perego, 2005].

- ou un produit de réaction entre pigment à base de cuivre, comme les acétates, et liant ou vernis terpéniques. Il s’agit alors d’une réaction qui se produit in situ dans les couches picturales après leur réalisation par le peintre.

Dans le cadre de cette thèse, le terme « résinate de cuivre » correspondra à la première de ces deux descriptions.

D’un point de vue chimique, « les résinates de cuivre » correspondent à des sels d’acides terpéniques. Si pour leur préparation on utilise des résines issues des conifères, comme l’essence de térébenthine de Venise, on retrouve les sels de cuivre de l’acide abiétique (C9H19COOH, formule développée voir Figure I-6) comme produit principal [Kühn, 1970].

I.2.1.1.2 Reconnaître le « résinate de cuivre »

Le « résinate de cuivre », pour son aspect brillant et transparent, était souvent utilisé pour la réalisation des glacis verts.

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Reconnaître le résinate de cuivre dans une coupe stratigraphique est une opération complexe. La présence du cuivre15 dans des couches picturales organiques, qui ne montrent pas, au microscope, des grains de pigment clairement visibles ne constitue une preuve suffisante pour le caractériser [Kühn, 1970].

Pour éviter toutes ambigüités, il faut que les analyses révèlent vraiment la présence de sels dans lesquels le cuivre est complexé aux acides terpéniques.

Colombini [Colombini, 2001] précise que les acides présents sont les acides abiétiques oxydés (acides déhydroabiétiques et 7-oxodehydroabiétiques) et pimaradiéniques, qui peuvent être identifiés par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (IRTF) et chromatographie en phase gazeuse. Toutefois, au vues des quantités de matière nécessaire pour ce type de technique, il n’est pas toujours possible de les analyser par GC-MS. Il faut alors se baser sur les seules analyses en spectroscopie IRTF, qui peuvent se révéler insuffisante.

I.2.2.2 Les préparations

Comme pour le « vert de gris », il existe beaucoup de procédés d’élaboration du « résinate de cuivre ».

La plupart de ces procédés préconisent la dissolution à chaud de « vert de gris » dans des résines. Souvent on retrouve la présence d’huile de lin incorporée initialement dans le mélange, ou incorporée par la suite lors de la dilution du pigment.

Les études de P. Woudhuysen et R. Woudhuysen-Keller [Woudhuysen-Keller, 1998] portant sur les reconstitutions des «résinates de cuivre» ont montré qu’il existait deux méthodes principales pour la préparation de ces composés, Théodore Turquet de Mayerne serait [Woudhuysen-Keller, 1998] le premier auteur d’une recette pour les fabriquer.

Turquet de Mayerne indique de mélanger : - deux onces de térébenthine de Venise,

15 Pour détecter la présence de Cu(II) l’échantillon peut être dissous dans une solution acide de HCl ou HNO3 dilués. Une goutte de la solution est mise sur de papier filtrant en présence d’ammoniac et d’une solution d’acide Rubeanique au 1% en Ethanol. Si le cuivre est présent un précipité noir-verdâtre se forme (Bettini, 1998).

Le cuivre peut être détecté aussi pour traitement de la solution acide avec une goutte chlorure de fer au 5% et une goutte de thiocianate de potassium. Il se forme une solution rouge sombre de thiocianate à la quelle sont ajoutés deux gouttes de de thiosulphate de Na au 16%. Si le cuivre est présent la solution est décoloré (Kuhn, 1970)

33 - une once et demie d’huile de térébenthine

- et deux onces de « vert de gris » en petits morceaux. Le mélange doit ensuite être chauffé doucement.

Une deuxième recette, toujours de Turquet de Mayerne, est fondée sur la dissolution du « vert de gris » dans un « vernis commun », interprétée par P. Woudhuysen et R. Woudhuysen-Keller comme mélange d’huile et de colophane. Les proportions respectives sont:

- 4 parts d’huile

- 1 part de « vert de gris » chauffé à 80°C, - 8 parts de grains de colophane.

Le mélange est chauffé à 120°C.

G. B. Birelli donne en 1601, une autre recette [Woudhuysen-Keller ,1998] : « On chauffe de l’huile de lin pure ou de l’huile d’olive, et on ajoute une once d’alun en poudre par livre d’huile. Une fois l’alun dissous, la même quantité de vert de gris broyé à l’huile peut être ajoutée au mélange. Le pot peut ensuite être retiré du feu et doit reposer huit à dix jours. Au moment de le broyer, on y ajoute de la résine de pin en petite quantité ».

P. Ball [Ball, 2001] cite également G. B. Birelli pour une recette du « résinate de cuivre » mais en donne une version différente : « prendre une livre de résine de térébenthine blanche, trois onces de mastic, et une demi once de cire, faire bouillir au feu modéré et ajouter une once de vert-de-gris, en mélangeant doucement».

D’autres reconstitutions de glacis à base de pigments verts organométalliques ont été proposées mais sans qu’on puisse parler de « résinates de cuivre » proprement dit, à cause de l’absence d’acides terpeniques. Par exemple, P. Woudhuysen [Woudhuysen-Keller, 1998] a broyé de l’acétate de cuivre (II) neutre dans de l’huile de lin avant de chauffer le mélange à 50°C pour dissoudre les grains.

Une thèse récente de M.H. van Eikema-Hommes [Eikema-Hommes, 2002] semble contredire les reconstitutions précédentes. En effet l’auteur affirme qu’aucune recette de peinture sur chevalet ne nécessite de chauffer le mélange liant/pigment, et que les recettes précédemment décrites pouvaient servir plutôt pour la peinture de meubles. Dans les

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traités anciens, le domaine d’application des recettes fournies n’est pas toujours clairement précisé.

I.2.2.3 Les résines naturelles

Les recettes pour l’obtention de « résinate de cuivre » citent différents types de résines naturelles. Il est donc important de donner des informations sur la composition chimique de ces composés.

Les résines naturelles sont formées majoritairement de composés appelés terpènes, constitués d'unités d'isoprène (un diène C5) de façon linéaire ou cyclique. Selon le nombre d’unités isoprènes, on peut avoir des mono- (C10), des sesqui-(C15) , des di-(C20) et des tri-terpènes (C30).

I.2.2.3.1 Térébenthine de Venise et colophane

La térébenthine de Venise et la colophane sont des résines terpéniques, produites par des conifères. La térébenthine de Venise est un exsudat (gemme) extraite d’un mélèze européen (Larix decidua) qui pousse dans les montagnes du Tyrol. Il s’agit d’une oléo-résine, c'est-à-dire une solution naturelle de résine dans une essence naturelle.

La colophane est, par contre un produit transformé. Il est le produit solide résultant de la distillation de l’exsudat de pins appartenant au genre Pinus.

La colophane comprend des acides terpéniques que l’on peut répartir en 3 catégories :

- Acides qui contiennent des doubles liaisons conjuguées, très sensibles à l’oxydation, les acides abiétadiènes (abiétique, néoabiétique, lévopimarique et palustrique) (Figure I-6)

Figure I-6 : acides Abiétadiènes

- Acides qui comportent des liaisons doubles non conjuguées, moins sensibles à l’oxydation, les acides pimaradiènes (acide pimarique et isopimarique)

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Figure I-7 : acides Pimaradiènes

- un groupe d’acides peu sensibles à l’oxydation, dont l’acide déhydroabiétique (Figure I-8).

Les composés d’oxydations majoritaires qui se forment au cours du vieillissement de la colophane sont l’acide déhydroabiétique, didéhydroabiétique, 7-oxodéhydroabiétique (Figure I-8).

Figure I-8 : Composants et produits de dégradation de la colophane [Daher, 2012].

La térébenthine de Venise contient plusieurs acides résiniques (dont l’acide isopimarique, lévopimarique et palustrique sont majoritaires), et 15 à 25% d’essence (pinène, acétate de bornyle et limonène) [Mills and White, 1994]. Cette « essence » (ou huile) de térébenthine correspond à l’huile issue de la partie volatile de la distillation, dont la colophane constitue le residu solide [Mills and White, 1994].

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