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Chapitre I – Introduction :

3. La réserve cognitive et son substrat

Le modèle de la réserve cognitive, définie comme la capacité présente chez certains individus d’optimiser la performance (revue Stern, 2009), permet d’aborder la nature de ces mécanismes de réorganisation sous un angle beaucoup plus complet.

3.1 Naissance du concept et définition

La notion de « réserve » a émergé de l’observation d’absence de manifestations cliniques chez certains patients atteints de neuropathies importantes et fut définie comme la quantité de détérioration physiologique qui peut être supportée avant d’atteindre un seuil critique, à partir duquel des signes cliniques vont se manifester (Katzman, 1988). Dans ces modèles dits passifs, ce seuil critique, identique chez tous les individus, est constitué par diverses propriétés neurophysiologiques, comme par exemple, le nombre de neurones, de synapses ou le volume cérébral (Satz, 1993). Ainsi, un niveau élevé de « réserve », permettant d’atteindre plus tardivement le seuil critique, serait susceptible de constituer une forme de protection contre les effets d’une pathologie cérébrale ou du vieillissement normal (Cohen, 2000).

En s’inscrivant dans une approche plus dynamique, Yakov Stern (2002) suggère de considérer la nature des processus cognitifs qui permettent au cerveau de réagir face à la pathologie ou au vieillissement normal, et propose la notion de « Réserve Cognitive » (RC). Dans ces modèles « actifs » de la réserve, la variabilité interindividuelle dans la capacité à optimiser les performances repose: (1) soit sur une différence d’efficience et/ou de flexibilité d’un réseau neurocognitif préexistant et spécifique à la réalisation d’une tâche donnée; (2) soit sur la capacité de certains à compenser la défaillance des réseaux habituels, liée aux effets du vieillissement ou de la pathologie, en sollicitant d’autres stratégies cognitives et d’autres réseaux plus efficaces à la réalisation de la tâche. La notion de RC met l’emphase sur l’efficience et la nature du réseau mis en jeu, plus que sur la quantité de ressources neuronales disponibles. Ainsi, différents facteurs comme le niveau d’étude et le

niveau occupationnel seraient directement impliqués dans la constitution de la RC de certains individus (Garibotto et al., 2008) .

3.2 Mesure, opérationnalisation et manipulation de la complexité de la tâche Une manière d’évaluer en laboratoire la Réserve Cognitive des individus, est de manipuler le niveau de difficulté de la tâche (pour revue Stern, 2009). L’effet de l’augmentation de la demande liée à l’exigence de réaliser avec succès la tâche sur les performances va fournir un indice très significatif de la capacité des individus à puiser dans leurs ressources cognitives, soit de leur RC. A l’aide de l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle, Yakov Stern et son équipe (pour revue, Stern, 2009) ont largement contribué à comprendre les interactions entre la complexité et la RC en manipulant paramétriquement la charge cognitive. Selon cet auteur, les participants qui possèdent une RC élevée auront de meilleures performances que ceux dont la réserve est réduite lorsque le niveau de la tâche est plus exigeant en ressources cognitives. L’optimisation des performances observée chez ces individus serait sous-tendue sur le plan cérébral, soit par une plus grande efficience du réseau neurocognitif spécifique à la tâche, soit par une plus grande capacité à solliciter des stratégies cognitives plus efficaces pour résoudre la tâche.

3.3 Implémentation neurale de la réserve cognitive chez les âgés

L’implémentation neurale de la réserve peut alors prendre deux formes : celle de la réserve neurale, résultant d’une différence d’efficience quantitative (Bondi, 2009) et celle de la compensation neurale impliquant une différence qualitative (Bondi, 2009) entre les patrons d’activations des jeunes et des âgés (Stern, 2005; 2009).

3.3.1 Réserve neurale : mise en jeu de réseaux similaires à ceux activés chez les jeunes

La réserve neurale réfère à la capacité d’un réseau neurocognitif ou d’un ensemble de régions cérébrales qui sous-tendent la performance d’une tâche cognitive donnée. Cette capacité est variable et peut s’exprimer sous forme d’une différence d’efficience ou de capacité des réseaux, ou d’une plus grande flexibilité des réseaux qui peuvent être impliqués dans la tâche. Alors que les individus recruteraient en général cette capacité pour faire face à l’accroissement de la demande cognitive, elle pourrait être aussi mise en jeu pour aider certains à faire face à la pathologie ou au vieillissement. Cette hypothèse s’appuie principalement sur les travaux menés dans l’équipe de Yakov Stern (pour revue Stern, 2009) dans lesquels les chercheurs se sont intéressés à des situations où les participants âgés activaient les mêmes réseaux que les jeunes. La différence entre les deux groupes s’exprime en termes d’efficience, de capacité du réseau et se voit modulée par la demande liée à la tâche. La relation entre la demande de la tâche, l’efficience et la capacité peut être illustrée par le schéma 2. Par exemple, la réalisation de la même tâche cognitive peut se révéler plus difficile chez les âgés que chez les jeunes et par conséquent, solliciter l’engagement maximal de la réserve dès le niveau le plus bas chez les âgés. Chez les jeunes, ce même réseau, plus efficient, se verrait moins activé. En revanche, en condition de demande élevée, le réseau des jeunes plus efficient pourrait atteindre un niveau d’activation plus élevé, reflétant à son tour la mobilisation maximales des ressources. Cette conception de la réserve neurale intègre, par conséquent, le modèle CRUNCH proposé par

Reuter-Lorenz, décrit précédemment, et qui suggère que la différence de patrons chez les âgés résulte d’un accroissement de la difficulté de la tâche.

Figure 4. Relation entre les exigences de la tâche et l'activation cérébrale chez des participants jeunes et âgés. Relation hypothétique entre la demande de la tâche et l'activation cérébrale chez les jeunes et les âgés. Sur l'axe des « x », l’augmentation de la demande de la tâche lorsque la complexité est manipulée paramétriquement. L'axe des « y » représente l’activation relative à la réalisation de la tâche, dans une région cérébrale spécifique ou dans un réseau cérébral plus vaste. Le niveau d'augmentation de la courbe est un indice de l'efficacité du système alors que l'asymptote de la courbe pourrait indiquer la capacité du système. Noter : Pour un niveau de demande faible, une plus grande activation est observée chez les âgés que chez les jeunes. Inversement, pour un niveau de demande élevée, une plus grande activation peut être enregistrée chez les jeunes que chez les âgés. (Adapté de Stern 2009).

3.3.2 Compensation neurale : recrutement de réseaux alternatifs

D’une autre manière, la compensation neurale renvoie aux processus par lesquels les individus font face à des lésions, en sollicitant des structures ou des réseaux différents de ceux normalement impliqués dans la tâche. Le maintien des performances face à l’accroissement de la complexité chez certains individus atteints de lésion cérébrale renvoie

à la capacité d’engager des processus de compensation neurocognitive en recrutant des régions cérébrales différentes de celles mises en jeu chez des individus sains. Dans certains cas, les individus qui recrutent ces régions (ou réseau) atteignent un meilleur niveau de performance. Cette forme de compensation est alors cohérente avec l’hypothèse compensatoire du phénomène HAROLD (Cabeza, 2002) qui suggère que les âgés qui recrutent la région homologue (i.e. à celle spécialisée et activée unilatéralement chez les jeunes) performent mieux que les âgés qui ne recrutent pas cette région. Cette forme de compensation nommée « compensation pour améliorer la performance », se distingue selon Stern (2009) d’une autre de forme de compensation permettant de « maintenir » la performance, également décrite dans la littérature (Grady, Maisog, & Horwitz, 1994; Madden et al., 1999; Reuter-Lorenz, 2002). Dans cette perspective, les âgés qui vont recruter des régions (ou réseau alternatif), non utilisées par les jeunes, peuvent aussi moins bien performer que les jeunes. En effet, alors que ces régions peuvent venir en support pour aider à la réalisation de la tâche et maintenir la performance, leur implication peut ne pas être aussi optimale que celle du réseau initial. Idéalement cette interprétation de la compensation doit se distinguer de celle de la dédifférenciation, également associée à une diminution de performances avec l’âge, par des analyses intégrant plusieurs techniques d’investigations, comme par exemple des mesures de l’atrophie et de connectivités anatomiques (DTI).

En résumé : En proposant deux modes d’implémentation neurale de la RC, et plusieurs interprétations des patrons comportementaux, le modèle de la RC apparaît à l’heure actuelle

comme le plus complet pour étudier et expliquer les phénomènes sous-jacents à la réorganisation cérébrale dans le vieillissement normal et les troubles de la cognition.

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