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I. Les acteurs de l’accueil, de l’hospitalité et de la solidarité en Briançonnais : qui sont-ils ?

4. Le Réseau Welcome Briançon

 Avant la naissance du Réseau Welcome : quelques arrivées par la montagne et un accueil d’urgence citoyen

Tandis que quelques exilés arrivent à Briançon par la montagne au cours de l’hiver 2016-2017, il n’existe, dans la ville la plus haute d’Europe, aucun dispositif d’accueil pour ces personnes en quête de protection. Les six places d’hébergement d’urgence (115) sont insuffisantes au regard des besoins locaux. C’est alors qu’un réseau citoyen d’accueil d’urgence s’organise pour offrir l’hospitalité aux exilés arrivés éprouvés par le franchissement de la montagne. Pour mieux répondre au besoin d’hébergement, la paroisse de Briançon met à disposition une salle de la Cure où les exilés étaient accueillis dans des conditions rudimentaires. Un administrateur et fondateur de l’association Refuges Solidaires raconte45

:

« L’hiver dernier [2016-2017], il y a quelques passages de gens, quand je dis « quelques », on va dire qu’entre décembre et mars, c’est une trentaine de personnes. […] Quelques Briançonnais s’en inquiètent déjà, parce qu’ils arrivent, c’est l’hiver, ils ne savent pas où aller. Et donc on prend en charge ces quelques personnes sans aucun moyen logistique. C’est-à-dire qu’on les récupère la nuit […]. On était 5 ou 6 en alerte, on se relayait la nuit pour les chercher à Névache. Mais ce n’était pas dans un système de maraudes. C’était plus dans un système d’appels téléphoniques, mais y’avait pas de passeurs dans la boucle à cette époque-là. C’était vraiment les gens qui nous appelaient. Une fois qu’ils avaient nos téléphones, évidemment, ils se passaient le téléphone, mais on n’avait pas affaire à des phénomènes de passeurs. […]

Donc on se débrouille comme on peut, en les logeant chez des gens, en essayant de trouver une solution avec l’aide du curé qui nous a beaucoup aidés : la Cure a beaucoup servi de premier lieu d’accueil pour la nuit, voire un peu plus longtemps, pour ces gens qui arrivaient l’hiver. Ils n’étaient pas très nombreux donc ce n’était pas trop compliqué. Après il fallait se débrouiller parce qu’à la Cure il n’y avait pas de

44 La réponse citoyenne aux dangers qu’encourent les exilés en franchissant la montagne dans le contexte

actuel est développée dans la seconde partie de ce mémoire, p. 159

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cuisine, il n’y avait pas de douches… On s’organisait pour leur montrer le CCAS46 pour prendre les douches, la Croix-Rouge pour qu’ils puissent se trouver à bouffer, les Restos du Cœur, les vêtements aussi à la Croix-Rouge… Bref, un peu du bidouillage mais avec un accompagnement important, parce qu’ils n’étaient pas très nombreux. »

Contrairement à aujourd’hui, les exilés arrivés par la montagne à l’hiver 2016-2017 sont accueillis à Briançon où ils souhaitent rester pour déposer leur demande d’asile, n’ayant aucun lieu, aucune ville où se rendre. Dès lors, la conseillère juridique et sociale de la MAPEmonde se charge de leur accompagnement juridico-administratif.

Dans le même temps, la Ville de Briançon participe à l’effort d’accueil et met à disposition, de mars à mai 2017, l’ancienne conciergerie du cimetière, que l’on appellera « la Maisonnette » ou « la Petite Maison », pouvant accueillir six à huit personnes (elle sera ensuite intégrée au Réseau Welcome). Et l’enquêté cité précédemment d’ajouter47

:

« Au mois de mars [2017], la ville de Briançon s’est un peu émue de la situation aussi, elle a vu qu’on galérait quand même pas mal, et c’est là qu’elle nous a ouvert ce qu’on appelle « La Petite Maison », là-haut au cimetière. Initialement, cette petite maison, elle est vraiment faite pour l’accueil d’urgence. Donc pour nous c’était formidable, parce que quand on allait les chercher la nuit, on savait où les mettre. On avait stocké un peu de nourriture, il y avait des lits, des couvertures, il y avait la possibilité de se doucher… donc c’était le bonheur. »

 La création du Réseau Welcome Briançon

Au mois de mars 2017, Tous Migrants invite à Briançon des représentants du Réseau Hospitalité et du Réseau Welcome pour qu’ils partagent leur expérience avec les solidaires briançonnais. Suite à cette rencontre, l’un d’entre eux (qui deviendra coordinateur du Réseau Welcome à Briançon) sera convaincu par l’utilité que représenterait la création d’un tel réseau à Briançon. Il explique48 :

« […] il commence à arriver des gens par l’Echelle. […] Donc à ce moment-là, Tous Migrants a fait venir, un de Gap, un de Chambéry, des représentants du Réseau Welcome et du Réseau Hospitalité, pour qu’ils exposent ce qu’ils faisaient et pour voir si quelqu’un ne voulait pas lancer la même chose sur Briançon. Donc moi j’étais à cette réunion, j’ai dit que oui, et j’ai été convaincu par ce que disait le représentant de Welcome. Donc voilà, je me suis mis là-dedans. Et ce que j’ai trouvé d’intéressant, [c’est qu’] il y a de nombreuses rencontres au niveau régional, au niveau national, ce qui fait qu’on arrive à échanger les expériences. Et aussi, ils avaient une réflexion assez structurée sur la façon d’accueillir, avec notamment un certain nombre de principes… ».

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Centre Communal d’Action Sociale

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Entretien du 26/04/18, MJC, Briançon

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En effet, le Réseau Welcome a été initié par le Jesuit Refugee Service France pour l’accueil des demandeurs d’asile (non pris en charge dans le Dispositif National d’Accueil-DNA) dans des familles, en attendant une solution pérenne d’hébergement. Si l’hébergement est offert gracieusement, sa durée est limitée dans le temps : quatre mois au sein du Réseau Welcome, jusqu’à un mois par famille. Néanmoins, limiter la durée de l’accueil au sein du réseau à quatre mois semble constituer une tâche difficile, peu appropriée à la réalité :

« [Le Réseau Welcome] insiste beaucoup sur quelque chose que je n’ai pas du tout réussi à faire, c’est limiter dans le temps à 4 mois. Alors c’est 4 mois pour les Hautes- Alpes, 6 mois au niveau national. En fait, il y a eu une grosse discussion à une réunion nationale où tout le monde disait que c’est extrêmement compliqué, notamment avec le « Dublinage », parce que ça étendait les périodes… [Le Réseau Welcome] avait été fait dans l’esprit d’un passage temporaire en attendant que tous aillent en CADA49

. Ce qui ne se fait absolument pas. »

La durée limitée à un mois d’hébergement par famille d’accueil est quant à elle instaurée afin d’éviter tout épuisement ou essoufflement de celles-ci. Le coordinateur du réseau à Briançon estime que50 :

« […] les séjours prolongés, ça produit des malaises, et chez les familles, et chez les migrants. Parce que ce sont des situations… pour eux, de perte d’autonomie, et pour les familles, de lourdeur parce qu’elles ne voient pas la fin. […] Alors voilà, l’autre accent énorme qui est mis, c’est une rotation tous les mois pour limiter l’attachement. L’attachement en soi n’est pas un problème, ce qui est un problème c’est l’attachement qui devient enfermant. Et on a eu cette difficulté concrète avec une famille qui disait « moi, mon migrant, je l’aime bien et je veux le garder ». Si vous êtes d’accord, si lui est d’accord, vous êtes adultes tous les deux, mais vous sortez du Réseau Welcome. […] Et la grosse difficulté que rencontre tout le monde, c’est comment accompagner les sorties. Le plus difficile, ce n’est pas d’accueillir, c’est comment on sort sans que ce soit blessant pour [les accueillants et les accueillis]. »

Un autre principe du Réseau Welcome réside dans le fait que la personne ou famille qui offre l’hébergement ne doit pas être celle qui effectue également le suivi juridico-administratif des demandeurs d’asile accueillis (dans l’idée également de ne pas « trop faire peser » sur les accueillants). Aussi, à Briançon, c’est la conseille juridique et sociale de la MAPEmonde qui effectue cette tâche.

A la création du Réseau Welcome Briançon, il semble que les familles ou personnes volontaires pour héberger dans le cadre du Réseau aient été assez nombreuses et mobilisées, et ce, car il existait dores et déjà un réseau de bénévoles et de solidaires envers les exilés à

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Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile, gérés par des associations mandatées par l’Etat dans le cadre du Dispositif National d’Accueil

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Briançon, constitué autour des deux CAO que la ville a accueilli. Lorsqu’il est demandé au coordinateur du Réseau de quelle manière a-t-il fait connaitre ce réseau, il explique51 :

« Il y a quelque chose, à mon avis, qui a rendu ça extrêmement facile, c’est le fait qu’il y a eu deux CAO successifs. Et donc, il y a eu énormément de bénévoles qui venaient aux réunions tous les lundis pour trouver des activités, etc. Et on a tout de suite vu les personnes qui étaient intéressées par ça, et ensuite ça a été extrêmement simple, le bouche à oreille à bien fonctionné. Il y a avait à la fois des contacts de gens avec des migrants, des demandeurs d’asile qui ont reconnu que c’était des gens intéressants, donc la peur est tombée, et donc ça a bien marché, rapidement. »

Si le Réseau Welcome Briançon a accueilli, en une année, une vingtaine de personnes, en avril 2018, il comptait huit accueillis et deux familles d’accueil. La capacité d’accueil du Réseau semble fluctuer en fonction des périodes de l’année et connaitre, par moments, un essoufflement dû aux besoins d’hébergements sur temps long, en raison du placement des demandeurs d’asile sous la procédure Dublin52

:

« Maintenant, on en est à huit [personnes accueillies], sachant qu’il y a une capacité de six à la Maisonnette, et donc il y en a deux qui sont dans des familles. Donc c’est ridicule. Il y a des moments où la capacité est supérieure parce qu’on est hors période de vacances scolaires donc il y a des gens qui accueillent quand ils n’ont pas leurs petits-enfants, qui accueillent dans un studio qui n’est plus en location, des choses comme ça… […]

Mais par contre, maintenant, quand j’essaie de relancer, il y a la moitié des gens qui me répondent, dans les gens qui ont accueilli. Il y a un essoufflement parce que les gens ne voient pas l’issue aussi… C’est difficile. S’il y en a un ou deux qui obtiennent leur statut [de réfugié], on a beaucoup de chance. »

Si certaines familles ou personnes se désengagent quant à l’hébergement de demandeurs d’asile, d’autres décident d’accueillir au sein du Réseau Hospitalité Hautes-Alpes, ou hors réseau, de sorte à pallier les limites et à agir en complémentarité du Réseau Welcome53 :

« Il y a plein de gens qui se trouvaient à la fin de la période [d’accueil au sein du Réseau Welcome] alors que rien n’a été résolu [administrativement, et des familles ou personnes] ont dit « puisque le Réseau Welcome ne veut plus accueillir», moi je sors du Réseau Welcome et j’accueille. Après, c’est de l’accueil hors-réseau, avec toutes les difficultés. Il n’y’a pas un Réseau Hospitalité très actif sur Briançon, il n’est pas formel. Il y a des gens qui accueillent de façon informelle, comme ça. Il y a des gens que je connais très bien, c’est un père et sa fille. Il a dû sortir [du CADA], sa fille était scolarisée… Je crois qu’il avait la possibilité d’être hébergé à Paris pendant les périodes de vacances de sa fille, mais il disait « ma fille, si elle quitte ses copines, moralement c’est pas ça… ». Donc y’a des gens qui les ont hébergés, en disant [qu’ils

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Entretien du 24/04/18, au domicile de l’enquêté, Briançon

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Entretien du 24/04/18, au domicile de l’enquêté, Briançon

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seront hébergés] jusqu’à la fin de l’année scolaire. A la fin de l’année, il faut qu’ils trouvent une solution. »