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Les réponses à ces hypothèses vont maintenant permettre de répondre à la grande question qui régit toute cette recherche : Pourquoi les élèves présentant des troubles spécifiques des

apprentissages ne sont-ils pas mieux accompagnés à l’école et quelles sont les raisons de leur échec scolaire et de leurs difficultés sociales ? Cette réponse synthétise la totalité des points

importants abordés lors des entretiens. Cette recherche de terrain contraste avec les volontés ministérielles concernant l’inclusion scolaire des jeunes ayant des besoins spécifiques.

Pour rappel : « L’École inclusive vise à assurer une scolarisation de qualité pour tous les

élèves de la maternelle au lycée par la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs particuliers. Depuis la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, des avancées majeures ont été réalisées pour une École plus inclusive. »45Du point de vue statistique, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés dans les établissements scolaires en France a quasiment triplé, passant d’environ 118 000 en 2006 à plus de 340 000 en 2018. Le nombre d’élèves bénéficiant d’une aide humaine quant à lui, a été multiplié par 6, passant de 26 000 en 2006 à 166 000 en 2018. Toutefois, il est difficile de trouver des chiffres correspondant aux différents types de handicaps. Le handicap cognitif est très peu étudié, il n’a donc aucune statistique à apporter à cette recherche. A propos de l’aspect financier, au cours des deux dernières années, le budget dédié à la scolarisation des élèves en situation de handicap a augmenté de 25 %, ce montant s’élève donc aujourd’hui à 2,4 milliards d’euros. Cependant lors de cette étude, il s’avère que les moyens alloués sont très peu visibles puisque le manque a été mentionné de nombreuses fois par les différents acteurs.

Le coordinateur des AESH du département met en avant ces avancées concernant la prise en charge des élèves à besoins spécifiques et explique : « Pour moi tous les objectifs, et les

volontés ministérielles sont là pour que ça se passe dans les meilleures conditions possibles. L’INE du Doubs travaille dans ce sens-là, et fait tout son possible pour que ça se passe bien avec les moyens qu’elle a. Malheureusement on se heurte à certaines mentalités chez nos collègues qui pensent que ces élèves n’ont rien à faire dans un milieu ordinaire. » Cette dernière

remarque confirme que l’institution ne semble pas observer les mêmes problématiques que ce que cette étude sur le terrain fait ressortir. En effet, la recherche a mis en évidence de nombreuses raisons pouvant expliquer le manque de prise en charge des élèves présentant des

45 Extraits de l’article « 2018 : Bilan positif pour l’Ecole Inclusive » disponible sur le site référence éducation.gouv.fr

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handicaps. Manifestement, il en ressort un manque d’investissement de la part du corps enseignant, si certains comme le dit le coordinateur manquent d’ouverture d’esprit : « C’est une

tendance générale, inscrite dans la culture professionnelle des enseignants, en général leurs visions évoluent, changent avec les différentes lois. Mais c’est long de faire évoluer les mentalités, on espère que les nouvelles générations auront des pratiques directement orientées dans ce sens-là. Pour les anciens c’est difficile de bouleverser leurs pratiques, on a une certaine habitude. Pour beaucoup d’entre eux ils gardent une vision vieillotte, si on maintenait les enfants avec des besoins spécifiques dans ces établissements spécifiques ça ne serait pas plus mal. Cette vision va à l’encontre de l’école inclusive. » Ce manque d’ouverture d’esprit a en

effet été rencontré une fois lors de cette étude, pourtant l’inattendu est qu’il s’agit en réalité d’une enseignante récemment diplômée. Cette observation ne rassure donc pas quant à l’évolution des mentalités espérée par le coordinateur des AESH avec l’arrivée de la nouvelle génération. Malgré tout, ce manque d’ouverture d’esprit est surtout assimilé à une autre problématique, les enseignants s’interrogent sur leurs capacités à accueillir ces élèves présentant des besoins spécifiques dans leur classe. Nombreux sont ceux qui se sentent démunis face à ces profils particuliers auxquels ils ne sont pas habitués. Le manque d’investissement peut aussi être expliqué par le manque de temps éprouvé par la plupart des enseignants et parfois perçu par les parents. Ils ressentent tous une pression importante de la part de la hiérarchie qui les pousse à finir à tout prix le programme dans des conditions peu favorables avec des classes surchargées. Ils ont le sentiment de ne pas pouvoir en faire suffisamment pour ces élèves présentant des troubles des apprentissages ou tout autre handicap en raison de tous les autres impératifs qu’ils doivent gérer dans un temps réduit.

Lors des entretiens, tous les adultes expliquent le manque d’accompagnement de ces élèves présentant des troubles spécifiques des apprentissages par le manque de financement. Cette réalité est par conséquent à l'origine de nombreuses problématiques telles que le manque de formation, les difficultés d’accès aux diagnostics, la mise en place d’aménagements adaptés, ou encore la prise en charge par la MDPH et l’orientation inadaptée de ces élèves.

En ce qui concerne le manque de formation, la totalité des enseignants se sent abandonnés face à ces élèves présentant des troubles spécifiques des apprentissages sans aucune compétence pour les prendre en charge. Les parents ainsi que certains professionnels les rejoignent sur ce sujet et disent avoir le même ressenti. Effectivement, en raison du développement de l’inclusion scolaire, les enseignants doivent accueillir dans leur classe des enfants avec des profils de plus en plus hétéroclites et doivent s’y adapter seuls puisque d'après leurs propos, très peu de formations sont proposées. Lorsqu’elles le sont, elles ne sont pas facilement accessibles du fait d’un manque de place ou d’un remplacement pour la journée qui n’est pas envisageable. De plus, les demandes de formation de la part des enseignants sont rarement prises en compte ou alors très tardivement. Pour exemple, l’enseignante de l’ULIS qui n’a eu de cesse de demander des formations pour gérer cette classe spécialisée, un poste auquel elle n’avait jamais été confrontée auparavant, a dû faire face à ses nouvelles responsabilités sans aucune aide de la part de la hiérarchie et sans formation proposée à la rentrée. Cette enseignante a d’ailleurs évoqué son besoin de réflexion et souhaite prendre un congé sabbatique pour prendre du recul sur cette année extrêmement difficile pour elle. Le coordinateur des AESH est bien conscient de ces problématiques de formation et se justifie en déclarant que souvent l’année d’ouverture d’une classe ULIS dans un établissement, le manque d’enseignants spécialisés expliquait le fait que la classe soit gérée par un enseignant non spécialisé comme c'est le cas ici. Cependant, ne pas être spécialisé est une chose mais ne pas avoir été formé sur les différents troubles que cette enseignante doit encadrer en est une autre. Les observations réalisées dans cette classe ne font que valider ce manque de formation, car les élèves sont régulièrement laissés seuls sur des petits

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exercices. Les profils étant tous tellement différents, l’enseignante ne sait comment mettre en place des enseignements adaptés à chacun tout en privilégiant la socialisation. Ce manque de formation influe donc considérablement sur la prise en charge de ces élèves qui disent d’ailleurs le ressentir. Ce sentiment de manque pousse certains enseignants très impliqués à chercher par eux-mêmes des solutions et des outils adaptés. Le manque de connaissance des troubles n’est pas la seule problématique liée à la formation, car même les enseignants en ayant la connaissance se retrouvent dans une impasse en raison du manque de connaissance des outils adaptés, dont la pluralité est encore trop restreinte selon eux, ainsi que leur utilisation dans leurs pratiques. De plus, nombreux sont ceux qui nécessitent un matériel numérique trop important ou un financement. Néanmoins, cette démarche d’autoformation n’est pas une généralité et encore aujourd’hui beaucoup d’enseignants se contentent d’adapter uniquement les supports de travail sans chercher à avoir plus d’informations concernant ces élèves. Certaines mères évoquent d’ailleurs le fait que certains des enseignants de leur enfant n’ont jamais lu les PPS ou PPRE de leurs élèves, ce qui révèle un véritable manque de compréhension et de connaissance au sujet de ces troubles spécifiques des apprentissages. Pour terminer sur ce manque de formation, les personnels comme les AESH travaillant pourtant aux côtés de ces élèves se sentent eux aussi abandonnés, seule une formation de base de 60 heures leur est dispensée alors que chaque trouble nécessite des prises en charge très spécifiques. Du reste, il en est de même pour les enseignants, ces formations spécifiques sont souvent proposées très tardivement. Cette réalité met l’accompagnant comme l’enfant dans une situation délicate ne favorisant pas le bien-être scolaire. Compte tenu de ce manque de formation, la sensibilité et la façon d'être de chacun est à considérer dans cette inclusion, certains cherchent à aider au maximum ces élèves alors que d’autres refusent d’adapter leur enseignement et n’acceptent pas volontiers les outils numériques de ces élèves dans leur classe. Sur ce dernier point, cette réticence est compréhensible car certains élèves n'ont pas une pratique suffisamment aisée de l’ordinateur et du clavier, si bien que son utilisation en classe devient une complication supplémentaire pour les enseignants. Il existe donc une énorme disparité de prise en charge en raison de ce manque de formation. Les enseignants s’adaptent comme ils le peuvent, cette attitude pose problème au niveau de l’égalité des chances, elle n’est ici visiblement pas possible.

Le manque de financement influe sur une autre problématique importante dans la prise en charge de ces enfants à besoins spécifiques, c'est le diagnostic. Du reste, le manque de formation énoncé plus tôt est en lien étroit avec cette problématique puisqu’il affecte le repérage des premières difficultés scolaires liées aux troubles spécifiques des apprentissages. Les enseignants confient dans cette recherche qu’en raison du manque de formation il leur est difficile de faire la différence entre des troubles et des difficultés passagères, et étant donné que chacun a ses propres critères, cela peut retarder la prise en charge de l’enfant. Le diagnostic est nécessaire à la mise en place des aménagements, ils sont propres à chaque enfant même s’il existe certaines récurrences en fonction des troubles et découlent d’une série de tests et de diagnostics. Les parents, les professionnels et les enseignants soulignent l’importance d’effectuer ce diagnostic le plus tôt possible pour soulager l’enfant en souffrance dans ce milieu scolaire inadapté. Cependant, le manque de financement de la part de l’État a des répercussions sur l’accès à ce diagnostic. En effet, il s’écoule souvent plusieurs années entre le repérage des premiers signes des troubles et le diagnostic à cause du manque de praticiens pouvant réaliser les tests nécessaires, mais aussi du coût engendré par le diagnostic qui reste à la charge des parents. Certes, l’État a mis en place une instance en lien avec l’école permettant de diagnostiquer les enfants de façon moins coûteuse en relation avec le psychologue et le médecin scolaire. Néanmoins, les parents refusent fréquemment de passer par cette instance car ils estiment que le temps d’attente pour une prise en charge est beaucoup trop longue, laissant leur

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enfant en souffrance souvent plusieurs années. De nombreux parents ont d’ailleurs évoqué une certaine errance médicale car très peu d’enseignants ont su les orienter vers les bons professionnels pour effectuer les tests nécessaires de façon autonome. Une fois le diagnostic réalisé, le dossier pour la MDPH, le seul organisme permettant de faire reconnaître le handicap de l’enfant dans l’institution scolaire, est lui aussi dense et réclame de nombreux tests auprès de différents praticiens. De surcroît, un remboursement partiel des frais engagés n’est obtenu qu'en cas d'acceptation du dossier. Le diagnostic n’est donc pas facilité par le manque de professionnels ni par le financement personnel qu’il engendre, pourtant il est crucial à la prise en charge de l’enfant.

Le manque de financement octroyé par l’État est aussi à l’origine des lacunes concernant la mise en place des aménagements nécessaires à l’accompagnement des élèves présentant des troubles spécifiques des apprentissages. En effet, cette problématique rejoint les deux précédentes, il existe une réelle corrélation entre elles. Les enseignants et les personnels accompagnants n’étant pas suffisamment formés, les aménagements demandés au travers des PPS, PAI et PPRE suite à un diagnostic long et au parcours semé d'embûches, ne sont pas forcément respectés par les enseignants. Le coordinateur des AESH lui aussi partage ce point de vue au sujet de la mise en place des aménagements et le lien avec le risque de décrochage scolaire de ces élèves et explique : « S’ils ne sont pas bien encadrés, qu’il n’y a pas de

différenciation péda, que l’enseignant ne s’est pas adapté, s’ils ne bénéficient pas du matériel nécessaire, ils peuvent être perdus et arriver dans des situations d’apprentissage catastrophiques. Chez ces enfants il n’y a pas de problème d’intelligence mais si le support n’est pas adapté ils ne seront pas capables de réaliser certaines tâches. Au contraire, les élèves bien accompagnés peuvent avoir de bons résultats. Mais malheureusement c’est assez inégal selon les profs, il n’y a pas les mêmes efforts d’adaptation. » Ces aménagements sont donc

essentiels pour ces élèves en difficulté scolaire qui s’épuisent à pallier leurs difficultés, toutefois ils ne sont pas toujours adaptés aux besoins de chacun, car le manque de moyens dans les écoles peut engendrer des problématiques récurrentes. L’observation en classe spécialisée a mis en lumière le problème des formats d’impression et des quotas imposés à chaque enseignant dans de nombreux établissements. Cette restriction nuit à la bonne mise en place des aménagements, notamment pour les élèves ayant besoin de documents appropriés avec une police agrandie et une certaine organisation structurée des polycopiés pour faciliter la lecture. Si bien que la réalisation de ces documents appropriés ne peut pas toujours être respectée sans léser les autres élèves. Régulièrement les élèves à besoins spécifiques sont confrontés à de nombreux documents qui ne leur sont pas adaptés, tout comme certains objectifs d’apprentissage ou même certains devoirs. Ces défauts d'application peuvent à terme entrainer un découragement de la part de l’élève qui risque de décrocher ou d’entrer en échec scolaire suite à un épuisement.

Cette problématique est directement liée à une autre problématique, la prise en charge de ces élèves à besoins particuliers par la MDPH qui subit elle aussi le manque de moyens et donc de financement. Le manque de moyens alloués à la MDPH la contraint à faire des choix qui peuvent parfois mettre les enfants dans des situations difficiles. Un budget est accordé chaque année à cette instance, une commission examine les dossiers et décide de quels enfants bénéficieront d’aménagements, d’aide matérielle, d’aide financière et d’aide humaine. Pour leur attribution, la MDPH traite les dossiers au cas par cas et prend notamment en compte les revenus des parents, la gravité du handicap certifiée par les bilans des professionnels et le projet personnel qui met en évidence les évolutions et les motivations de l’élève. Bien souvent le handicap cognitif n’est pas considéré comme un handicap lourd, c’est pourquoi certains enfants peuvent recevoir d’une année à l’autre des aides différentes. L’instance peut ainsi convenir de ne pas concéder d’aide matérielle type ordinateur alors que celui-ci est préconisé par les

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praticiens, c’est alors aux parents de fournir le matériel adéquat s’ils souhaitent épauler leur enfant dans sa scolarité. Ce manque se fait ressentir à tous les niveaux, l’accompagnement humain par exemple nécessite un lourd investissement puisqu’il faut engager et former ces personnes avant de les rendre disponibles, leur nombre est donc limité. Certains parents relatent d’ailleurs que d’une année à l'autre l’aide humaine leur a été retirée en fonction des besoins sans qu’ils n’aient d’autres solutions de prise en charge, la majorité a donc fait appel de cette décision pour obtenir une réponse adaptée à leur enfant. En outre, si les enfants entendus disent aimer venir à l’école et apprendre, ce sentiment est conditionné par l'application des adaptations, dans le cas contraire ce sentiment s’inverse.

Pour terminer avec les problématiques liées au manque de financement, une autre problématique entre en jeu, il s’agit de l’orientation. Elle est généralement complexe pour ces élèves présentant des troubles spécifiques des apprentissages car suivant la gravité du handicap, les enfants n’ont pas les mêmes capacités, de plus tous ne compensent pas leur handicap de la même façon. Malheureusement, encore bien trop souvent cette problématique rend difficile les apprentissages attendus par l’école et les pénalise. Les observations en classe ULIS ont démontré qu’il s’agit davantage d’une classe dans laquelle sont regroupés différents profils complexes à intégrer dans les classes ordinaires que d’une classe permettant le développement des compétences de chacun. L’inclusion de ces élèves est d’ailleurs très variable, certains sont inclus dans pratiquement toutes les matières et par conséquent l’enseignante s’interroge sur la place de ceux-ci dans la classe ULIS alors que d’autres ne sont inclus que dans quelques matières avec pour seul objectif la socialisation. Pour ces élèves-là, ni l’enseignante, ni ses collègues n’ont l’impression de réussir à leur apporter des connaissances et des compétences. Il est à noter également qu’il s’agit d’enfants à besoins spécifiques, pourtant certains doivent se rendre en inclusion seuls, cette réalité les met en difficulté car une seule AESH est présente pour les onze élèves de la classe. Tous auraient besoin d’accompagnement en inclusion, cependant la coordinatrice de la classe est obligée de faire des choix en fonction des besoins, cela reflète bien ce manque cruel de moyens. De surcroît, dans cette classe certains élèves présentent des handicaps conflictuels, le bruit est l’un des facteurs principaux, certains ressentent le besoin de faire du bruit alors que d’autres ne le supportent pas, créant des tensions et rendant la gestion de la classe très ardue. A contrario, la classe SEGPA remplit bien ses fonctions puisqu’elle propose des objectifs atteignables par les élèves. Toutefois, les problématiques sont différentes étant donné que cette classe regroupe principalement des élèves possédant un niveau plus faible dans toutes les matières et ne sont pas inclus dans d’autres classes ordinaires. Pour poursuivre dans ce sens, certains parents évoquent également le fait que certains établissements cherchent à pousser ces élèves présentant des troubles spécifiques des apprentissages hors de la scolarité classique. Selon eux, certaines décisions d’orientation ne sont pas pensées pour le bien-être de l’élève mais pour faciliter la prise en charge de celui-ci. Une mère raconte ainsi que l’établissement de son enfant cherche à le mettre en MFR alors que cet enseignement ne correspond aucunement à son projet de vie ni à ses capacités. Cette orientation visant à faire sortir ces enfants présentant des troubles des apprentissages du cursus habituel semble être de mise. En effet, cette étude est révélatrice de la présence de nombreux enfants dans ce cas dans les petites classes, en revanche au lycée les enseignants semblent ne