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Ce travail a permis de mettre en lumière les informations dont disposent un médecin intervenant, en situation non programmée, auprès d’une personne âgée qu’il ne connaît pas, et lesquelles lui semblent les plus utiles à sa prise en charge.

Comme attendu, les antécédents médico-chirurgicaux et les traitements font partie des renseignements les plus souvent retrouvés lors de la prise en charge inopinée d’une personne âgée [Tableau 2].

Malgré tout, nous constatons que, dans plus d’un cas sur quatre, le praticien ne dispose pas des antécédents de la personne qu’il examine (26,44%). Ce chiffre est à mettre en relation avec le degré de satisfaction des médecins quant à leur prise en charge : seuls 17,4% des participants qui ne détenaient pas les antécédents de leur patient au moment de l’examen clinique ont jugé leur prise en charge satisfaisante, alors que ce chiffre atteint 80,5% quand les antécédents sont recouvrés [Tableau 3].Cette observation, fortement confirmée par l’analyse multivariée (IC [3,76 ; 36,28], p < 0,001) [Tableau 22] rappelle, si besoin en était, l’importance d’une évaluation globale du patient âgé, et notamment de ses pathologies actives, avant toute prise en charge.

Pour les traitements, nous notons qu’ils étaient retrouvés par les médecins dans 84% des situations, alors que les ordonnances n’accompagnaient les patients que dans 51,2% des consultations. Ces chiffres paraissent superposables à l’étude de Sough et al, datant de 2012, qui rapportaient que les traitements des personnes âgées avaient pu être précisés dans 86 % des cas (par des courriers ou par une ordonnance jointe), et qu’une ordonnance était accessible pour 58 % des individus se présentant sans courrier [14].

Quelques constatations supplémentaires peuvent être tirées de notre analyse. D’une part, comme prévu, en l’absence d’informations à propos des traitements, l’immense majorité des

51 praticiens (78,6%) estiment que leur prise en charge médicale n’était pas convenable

[Tableau 4]. D’autre part, dans 33% des consultations incluses dans notre étude, la liste des

traitements a pu être reconstituée alors que l’ordonnance n’était pas disponible. En considérant, comme démontré plus haut [6,7], que les personnes âgées sont rarement en mesure d’apporter elles-mêmes cette information, on peut alors supposer qu’il existe d’autres vecteurs (compte-rendu médical, dossier médical de liaison…) susceptibles de renseigner les praticiens à ce sujet. Dans l’optique d’un éventuel vecteur unique et uniforme, on pourrait donc avancer que l’ordonnance, dont l’utilité lors d’une prise en charge n’est pas à démontrer, ne serait, malgré tout, pas un outil indispensable à l’examen clinique et que d’autres documents, sûrement plus exhaustifs, doivent lui être préférés.

Cette analyse a aussi permis de montrer que la recherche d’allergies était un sujet notable pour les praticiens examinent une personne âgée. Même si cette information n’était retrouvée qu’une fois sur deux environ (83/174, 48,82%), le taux de prise en charge satisfaisante passe de 49,5% à 79,5%, selon que les allergies sont renseignées ou non

[Tableau 5].

Ce constat s’explique probablement par le fait que l’information au sujet des allergies est corrélée à celle des antécédents notamment. Mais il peut également trouver son origine dans la grande fragilité des personnes âgées de plus de 75 ans, souvent amenées à consulter pour des motifs infectieux, et pour qui les indications d’une antibiothérapie sont souvent plus larges que chez les sujets jeunes [45,46], les exposant alors à un risque iatrogène anaphylactique.

Par ailleurs, notre enquête semble prouver que l’absence d’information au sujet de l’état vaccinal d’un patient âgé de 75 ans n’influence pas la qualité de la prise en charge entreprise par le médecin. Seuls 15 questionnaires font mention d’une information manquante mais qui aurait été utile, alors qu’elle est jugée manquante et inutile à la prise en charge par 148 participants [Tableau 2]. Ce constat peut probablement en partie s’expliquer par le fait que notre période d’inclusion s’est étendue sur deux mois estivaux, période peu propice aux épidémies virales, et au cours de laquelle le statut antitétanique semble être le seul à présenter un quelconque intérêt, au cours des situations de plaies profondes par exemple. Nous pouvons supposer, qu’en saison hivernale, les praticiens participants à l’étude auraient été beaucoup plus attentifs à l’existence ou non d’une éventuelle vaccination antigrippale par exemple et que l’interprétation de nos résultats aurait pu être différente.

52 Les résultats d’examens paracliniques récents semblent, en revanche, présenter une importance primordiale aux yeux des praticiens prenant en charge une personne âgée qu’ils ne connaissent pas. En effet, ils n’étaient retrouvés que dans 30,46% des cas, mais 94,3% des praticiens en ayant disposé estimaient leur prise en charge satisfaisante, alors que ce chiffre n’atteignait que 50,4% en leur absence [Tableau 6]. Cette observation, pas forcément attendue, demeure fortement significative après analyse statistique multivariée (IC [2,71 ; 57,79], p = 0,001) [Tableau 22].

Ce constat nous amène à nous réinterroger sur les recommandations en cours au sujet de la transmission d’informations chez les personnes âgées en situation d’urgence.

En effet, si le Dossier Médical Partagé propose de mettre en ligne des résultats d’examens paracliniques (cf page 19), les consignes de constitution du Dossier de Liaison d’Urgence ne font quant à elles mention que des bilans biologiques datant de moins de trois mois, sans évocation d’autres examens complémentaires (électrocardiogramme ou examen d’imagerie par exemple).

Quant aux dernières conférences de consensus de la Société Francophone de Médecine d’Urgence (SFMU) au sujet de la prise en charge de la personne âgée de plus de 75 ans aux urgences, elles recommandent qu’un document informatif accompagne tout patient adressé aux SAU par son médecin traitant (19), mais ne font à aucun moment référence aux résultats d’examens paracliniques récents. Le texte stipule que ce courrier doit contenir « l’identité et le lieu de vie du patient, le motif réel de recours aux urgences, la description des circonstances de survenue de la pathologie (…), les antécédents significatifs (…), le ou les traitements effectivement reçus ou pris (…), les intervenants du suivi habituel (…) ».

A la vue de nos résultats, il nous semble judicieux que cette donnée soit désormais discutée au moment d’envisager une coordination des soins entre différents intervenants médicaux autour d’une personne âgée de 75 ans ou plus. Si d’aventure, dans le futur, nous venions à aborder le sujet d’un éventuel vecteur de transmission d’information uniforme, il semble désormais difficile d’imaginer un tel outil sans y consigner certaines données paracliniques pertinentes. Notons que, comme le bon sens l’impose, les médecins participants à l’étude avaient pour consigne de ne signifier que les résultats d’examens paracliniques étaient disponibles si et seulement si ils présentaient un quelconque intérêt avec la prise en charge en cours.

53 Notre travail éclaire également le rôle crucial que joue la connaissance de l’état des fonctions cognitives d’une personne âgée de plus de 75 ans lors de sa prise en charge. En effet, deux fois plus de praticiens l’ont jugée satisfaisante en présence de ce renseignement qu’en son absence (79,4% vs 41,7%, p < 0,001) [Tableau 7].

Néanmoins, cette information n’était retrouvée que dans 58,62% des consultations, alors que 86,21% des médecins la jugeait nécessaire à leur prise en charge [Tableau 2].

Cette lacune semble d’autant plus dommageable que le syndrome confusionnel est considéré comme la complication la plus fréquente en médecine gériatrique [47], avec une prévalence aux urgences estimée entre 10 et 20 % selon les études [48,49]. Sans connaissance de l’état des fonctions cognitives du patient à l’état basal, le diagnostic de confusion devient encore plus délicat à poser pour un praticien intervenant en situation aigue après d’un patient qu’il ne connait pas. De nombreuses études ont ainsi montré que le taux de reconnaissance de la confusion par les urgentistes était faible, et ce d’autant plus si elle se surajoute à un syndrome démentiel préexistant, comme c’est souvent le cas [50]. En 2002, Hustey F et al. ont montré que les médecins travaillant dans le service d’accueil des urgences d’un centre hospitalier universitaire américain n’avaient documenté correctement la présence de troubles cognitifs (confusion ou démence) que pour 13 patients sur 78, soit 16.7% (95% IC = 9-27) [48]. En 2009, un autre travail de Han et al. a rapporté que le diagnostic de confusion n’avait pas été posé par le médecin urgentiste dans 76% des cas (95% IC = 54.9-90.6) [51].

Si l’on rappelle que la non-détection d’une confusion chez des patients âgés, consultant aux urgences et non admis, est associée à une mortalité à six mois trois fois supérieure à celle des patients diagnostiqués confus (30,8 % vs 11,8%), on comprend encore mieux l’enjeu que constitue une coordination efficiente entre le médecin traitant et les autres praticiens susceptibles d’intervenir auprès de la personne âgée, et l’intérêt de faire figurer cette information sur le document de liaison, au même titre que les antécédents et les résultats des examens paracliniques entre autres.

L’analyse des réponses aux questionnaires a également permis de mettre en exergue la nécessité pour les médecins, intervenants de façon non programmée auprès de personnes âgées, de connaître leur degré d’autonomie habituel.

Dans les rares cas où ce renseignement n’était pas disponible, on remarque que le taux de prise en charge convenable n’était plus que de 32,6% (14/43) versus 74% en présence de l’information (97/131) [Tableau 8], confirmant l’importance majeure de cette donnée.

54 Après la liste des traitements, c’était la donnée la plus souvent retrouvée par les praticiens au cours de leur examen (131/174, 75,3%) [Tableau 2]. Cette observation s’explique possiblement par le fait que l’autonomie d’une personne s’avère relativement aisée à recueillir via le patient lui-même ou l’un de ses proches, contrairement aux antécédents ou à l’état des fonctions cognitives par exemple, pour lesquels une coordination entre personnels médicaux semble préférable, car plus fiable et pertinente d’après nos résultats précédents.

Cette dernière remarque semble d’ailleurs confirmée par l’étude des vecteurs de transmission d’information. En effet, si l’interrogatoire du patient et celui d’un proche sont les deux moyens les plus fréquemment utilisés par les médecins pour recueillir des renseignements (dans respectivement 63,8 et 56,3% des cas) [Tableau 11], ils ne sont associés à aucune modification du taux de prise en charge satisfaisante.

Pour l’interrogatoire du patient, ce résultat était attendu et s’avère conforme aux travaux antérieurs ayant démontré que moins de 40% des personnes âgées de plus de 75 ans étaient en mesure de fournir des informations fiables, lors d’un examen clinique aux urgences [6,7]. En ce qui concerne l’interrogatoire du proche, ce résultat peut paraître plus surprenant. En effet, dans la pratique, il n’est pas rare de solliciter le (la) conjoint(e) ou le (les) enfant(s) d’un patient afin de recueillir quelques renseignements supplémentaires. Notre étude semble indiquer que cet interrogatoire complémentaire n’est d’aucune influence sur la qualité de la prise en charge ultérieure. Et cette donnée est confirmée par l’analyse du mode de vie des personnes âgées de notre étude : en effet, les patients vivant seuls au domicile ne sont pas corrélés à de moins bonnes prises en charge que ceux vivant avec leur conjoint ou leur(s) enfant(s) [Tableau 21].

En revanche, en présence d’un compte-rendu médical (compte-rendu d’hospitalisation, lettre de consultation, compte-rendu d’examen…), le pourcentage de prises en charge convenables s’élève très significativement, passant de 51,4% à 83,6% (p < 0,001) [Tableau 12].

Toujours dans le même ordre d’idée, en présence d’un dossier médical de liaison, le taux de bonnes prises en charge était également majoré de façon conséquente (83,3%, p = 0,08). Malheureusement, le faible nombre de patients institutionnalisés inclus dans notre étude (n = 18) n’a pas permis de recueillir suffisamment de situations mettant en œuvre ce type de document ( n = 18), expliquant probablement l’absence de significativité statistique de notre test.

Grâce à ces données, nous pouvons néanmoins confirmer l’idée avancée plus haut, selon laquelle les praticiens intervenants en situation non programmée auprès de personnes âgées de

55 75 ans et plus jugent leur prise en charge nettement meilleure lorsque des documents de transmission médicaux sont à leur disposition, et ce quel que soit leur format (compte-rendu médical ou résultat d’examen paraclinique).

Une autre observation semble appuyer ce propos. En effet, nos analyses mettent en valeur que les patients consultant pour des motifs cardiovasculaires sont associés à un plus haut taux de prises en charge satisfaisantes que les autres patients (74% versus 59%, p = 0,01)

[Tableau 16]. Ce résultat est même renforcé lorsque l’on s’intéresse aux diagnostics évoqués

par les médecins participants à l’étude immédiatement après l’examen clinique (85% versus 56,5%, p = 0,002) [Tableau 17]. Aucun autre ensemble étiologique ne retrouve de résultat significatif dans notre travail.

L’explication que nous pouvons proposer est la suivante : les patients consultant pour des motifs cardiologiques sont souvent des individus présentant des antécédents ou facteurs de risque cardiovasculaires. Or, l’HAS préconise, chez ce type de patient, un suivi particulièrement rapproché et régulier, avec des consultations et des bilans biologiques tous les 3 mois notamment [52]. Ces mêmes patients sont, par ailleurs, souvent amenés à rencontrer des spécialistes (cardiologues, diabétologues, néphrologues…), générant des consultations et donc des comptes-rendus, mais aussi des examens paracliniques (biologie, ECG…) qui peuvent s’avérer, par la suite, utiles à un médecin intervenant en situation non programmée auprès du patient.

Toujours dans le même sens, nous constatons, dans notre étude, que les consultations ayant eu lieu au domicile du patient donnent lieu à des prises en charge plus souvent satisfaisantes que celles réalisées aux urgences ou en cabinet (respectivement 72,5 %, 60,4 % et 55,6 %). En effet, les médecins intervenants chez les patients devaient être en mesure de recouvrer bon nombre de renseignements, via des documents médicaux retrouvés sur place, que les personnes âgées ne pensent pas à emmener avec eux lorsqu’ils se rendent en cabinet ou aux urgences.

Par ailleurs, si notre travail montre que les coordonnées du médecin traitant constituent une information associée à une meilleure prise en charge des patients selon les praticiens de l’étude (74,5 % avec, versus 46,6 % sans, p = 0,001) [Tableau 10], seuls six répondants (3,5 %) à notre étude disaient avoir contacté le médecin référent au cours de leur prise en charge initiale [Tableau 11].

56 Ce chiffre relativement bas s’explique probablement de deux façons. D’une part, nous n’avons inclus dans notre étude que des patients n’ayant pas été adressés préalablement par un autre médecin. Or il a déjà été montré que les personnes âgées, plus inscrites dans le système de soins que les autres patients, entreprennent davantage de démarches concernant leur état de santé au cours des 24 heures précédant le recours aux urgences que les autres classes d’âge (58 % versus 35 % pour les 15-74 ans) [18]. Nous pouvons donc supposer que les patients de plus de 75 ans amenés à consulter un praticien autre que leur généraliste, l’ont fait à un moment où ce dernier n’était pas disponible ou joignable (nuit, weekend, congés…) et que les praticiens participants à l’étude n’ont donc pas tenté de les joindre pour cette même raison. Une autre explication pourrait être la contrainte de temps à laquelle est souvent soumis le médecin intervenant en situation aigue. Nous savons déjà que l’examen clinique d’un patient gériatrique est particulièrement chronophage en comparaison au reste de la population [18]. Les praticiens de notre étude ont donc possiblement choisi de ne pas allonger, encore un peu plus, leur prise en charge en téléphonant à un confrère.

Cette dernière remarque est à corréler au fait que, quel que soit le jour ou l’heure de consultation, notre étude n’a pas mis en évidence de différence significative sur le taux de prises en charge satisfaisantes. En effet, les quelques éléments qui auraient pu conférer à un avantage à consultation non programmée aux « heures ouvrables » (en journée, en semaine), à savoir le recueil d’informations auprès d’un proche ou du médecin traitant, n’étaient déjà pas individuellement associés à une modification de la qualité de la prise en charge.

Pour ce qui est de l’étude des directives anticipées, notre travail n’a permis de récolter que 11 questionnaires en faisant mention (6.3%) [Tableau 2]. Cette information était même jugée inutile dans 77% des situations. Cette donnée est à mettre en relation avec certains travaux antérieurs qui rapportaient que 62% des personnes de plus de 75 ans qui consultaient en situation non programmée présentaient un état clinique stable [11], d’où l’absence de recours à d’éventuelles directives anticipées dans ces situations. On peut probablement supposer que l’absence d’intérêt des médecins interrogés pour cette information ne les a pas conduit à rechercher cette information de façon systématique et approfondie, d’où notre faible taux de retours positifs.

Notons enfin que 63 des 174 questionnaires inclus dans cette étude faisaient mention d’une prise en charge jugée insatisfaisante par les praticiens interrogés (36,2%). Cette étude

57 n’ayant jamais été pratiquée, à notre connaissance, sur d’autres classes d’âges, ce résultat demeure délicat à interpréter, sans point de comparaison.

Néanmoins, il semble difficilement acceptable de considérer une consultation sur trois comme inaboutie. Ce constat accentue donc encore plus l’importance de développer, à l’avenir, une meilleure coordination des soins entre les différents intervenants auprès d’une personne âgée, via la mise au point d’un vecteur de transmission d’information uniforme, fiable et exhaustif.

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