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1. Dégager les constantes de la fabrication de tradition

• adéquation avec les modèles de fabrication de la tradition :

Comme les théoriciens de la tradition l’ont posée, et comme le concept de fabrication suggère la fabrication du passé se fait toujours en fonction des besoins du présent. La fabrication de la tradition est donc toujours mise au service du changement social.

• révision d’un élément des modèles :

Le mode d’inscription de la tradition dans le nationalisme mérite toutefois d’être révisé. L’étude d’Amawa a démontré que bien que la tradition soit toujours liée au nationalisme, elle n’est pas directement mise à son service. Les communautés même les plus reculées sont simplement obligées de se situer par rapport à l’État-nation, mais la fabrication de la tradition ne suit pas forcément l’idéologie nationaliste.

• opposition à un élément des modèles :

La remise en question de la distinction tradition/coutume nous amène à reformuler la nature de la tradition. Elle n’est pas uniquement du côté d’un discours conscientisé et réifié. La tradition- événement se dit et se fait, se pense et se vit. Le rapport entre discours et action peut être spécificité ainsi : on montre ce qu’on ne fait plus et ce dont on ne parle pas. Le discours et la représentation en élément retrouvé, et l’élément marginalisé en élément central. Au niveau de la représentation, ce basculement passe par une esthétisation de la culture comme l’avait souligné Gellner.

• complément aux modèles :

La question de savoir quelles catégories d’acteurs sociaux participent le plus à la fabrication de la tradition n’a semble-t-il pas été posée. Nous avons dégagé que ce sont les intermédiaires qui jouent ce rôle crucial. Parmi eux figure l’anthropologue qui déclenche une réflexivité amenant à une volonté de représentation.

• réponse à une alternative dans les modèles :

La distinction pertinente entre réification et distanciation de la tradition nous amène à qualifier Amawa. Cet événement ne se situe pas du côté d’une réification de la tradition qui le déconnecterait des processus sociaux. Il se situe du côté d’une tradition distancée sur le plan horizontal des relations entre acteurs et groupes sociaux pour pouvoir acquérir du prestige.

La fabrication de la tradition nous a permis d’aborder un événement culturel comme un outil qu’une communauté se donne pour négocier sa singularisation dans l’espace et dans le temps. Le développement du concept de singularisation constitue le point le plus important de notre recherche qui relie tous les éléments de notre analyse.

2. Définir la spécificité de la fabrication de la tradition dans le contexte actuel

• La singularisation est un processus social par lequel un groupe ou un individu se distingue par l’action et le discours soit d’un autre individu ou groupe soit d’un tout qui l’englobe. La singularisation apparaît comme la nouvelle exigence pour qu’un groupe ou un individu acquièrent une existence aux yeux des autres. Elle est dès lors la motivation principale qui explique les modes de fabrication de la tradition aujourd’hui.

- à l’échelle du groupe : Tout groupe culturel qui cherche à faire reconnaître ses droits aux yeux de l’État ou des instances internationales doit faire voir son unicité et son caractère exceptionnel. On mettra toujours plus l’accent sur les spécificités que sur les points qui relient cette communauté à d’autres groupes culturels. C’est sa spécificité qui le relie à l’humanité entière.

- à l’échelle de l’individu : La fragmentation de la tribu et de la famille ont laissé place à l’individu comme nouvelle unité qui doit agir dans plusieurs espaces, donc à l’individu mobile. Pour acquérir du statut, il doit se singulariser.

• Il existe deux types de singularisation, nous avons déterminé qu’Amawa appartenait à la seconde : une par réification et une par distanciation, que nous avons détaillé dans la précédente partie.

• On a pu observer une singularisation à plusieurs échelles. Ces manifestations posent les conditions d’émergence de la fabrication de la tradition :

- singularisation à l’échelle du village par rapport à d’autres espaces englobants :

Amawa est un événement qui singularise ce village dans la vallée par rapport aux fêtes traditionnelles, et dans le pays par rapport aux festivals.

- singularisation institutionnelle :

Amawa se distingue de la fête de village traditionnelle et des festivals, donc à la fois du passé local et du présent lointain

- singularisation spatiale :

Amawa s’est concentré sur un seul village. La singularisation dans l’espace passe par un renversement du rapport de centralité et de marginalité : les absents du village (Juifs partis, mendiant qui ne fait que passer, poètes émigrés, hommes absents) sont mis au centre, tandis que les femmes, toujours présentes au village, sont exclues.

- singularisation temporelle : C’est là que se cristallise la fabrication de la tradition. Elle peut prendre plusieurs formes :

1. L’énonciation de la rupture avec le passé et le désir de créer un nouveau lien (avec les juifs par la mascarade, avec le symbole guerrier par la danse). C’est là qu’intervient la mise en scène de la perte.

2. La provocation d’une rupture avec un élément passé et la sélection d’un autre qui répond mieux aux besoins présents (ahwash plutôt qu’ahidus)