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Réponse des karsts aux oscillations du niveau de base

Sous-marins

2.2 Réponse des karsts aux oscillations du niveau de base

2.2.1 La notion de niveau de grottes

La notion de niveau de grottes horizontales est étroitement liée à celle de niveau de base. En effet, sans un contrôle structural, l’étagement de niveaux de grottes dans le karst est considéré dans la littérature comme une conséquence de l’évolution du niveau de base (Fig. 2-8 ; Palmer, 1987 ; Audra, 1994 ; Mocochain et al., 2006a). Cette évolution du niveau de base est elle-même soumise à un contrôle eustatique et/ou tectonique. Dès lors que des niveaux horizontaux de grotte sont identifiés, ils deviennent des marqueurs de l’évolution du niveau de base, et peuvent ainsi permettre de reconstituer un signal géodynamique régional.

Pour parvenir à ce résultat il faut procéder à une série d’analyses intermédiaires :

 Connaître la chronologie relative de l’étagement des niveaux de grottes.

 Etablir une corrélation entre un ou plusieurs niveaux de grotte et un ou plusieurs marqueurs de surface. Cette étape permet de rattacher le karst à l’évolution géodynamique régionale, mais pose déjà des limites, dans la mesure où les étages du karst se trouvent rattachés à une histoire géologique qui n’est pas exempte de lacunes. En revanche, si la chronologie relative extraite du karst s’avère compatible avec l’évolution des niveaux de surface, le karst devient à son tour un référentiel pour étudier la géodynamique régionale (Mocochain et al., 2006a,b, 2009). Dans cette perspective, parvenir à dater de manière absolue un niveau de grotte, revient à dater une ou plusieurs grandes phases de l’évolution géodynamique régionale (Tassy, 2008 ; Tassy et al.,

accepté).

 Rechercher du matériel sédimentaire souterrain déposé pendant la phase de formation des niveaux de grotte. Lorsqu’une grotte se forme au contact du niveau de base, elle peut enregistrer cette phase par le dépôt de sédiments liés à son fonctionnement hydrologique. En fonction de la nature de ces sédiments (marins ou fluviatiles), il peut être possible de les dater en livrant un âge absolu (cosmonucléides 26Al / 10Be : Granger

et al., 1997) ou un âge relatif (détermination de la microfaune, Martini, 2005 ; magnétostratigraphie : Audra et al., 2001).

2.2.2 Modèles de creusement du karst

Les récents travaux sur les karsts méditerranéens ont proposé deux modes de creusement des grottes : les grottes creusées par les eaux d’infiltration provenant d’un plateau karstique en amont et les grottes creusées par l’infiltration d’un cours d’eau de surface dans le karst (Mocochain et al.,

2006c).

Le premier mode de creusement donne lieu à des réseaux hiérarchisés qui s’organisent depuis le plateau où l’eau s’infiltre par des conduits de très petites tailles jusqu’au niveau de base où l’eau ressort concentrée vers une émergence. Dans leur partie médiane et aval, ces réseaux se structurent aussi de manière horizontale lorsqu’ils arrivent au contact de la surface piézométrique du niveau de base (Fig.2-2).

Dans le second mode de creusement, la rivière opère des recoupements souterrains des méandres de son canyon (Fig. 2-9). Ces recoupements de méandre donnent lieu à des grottes systématiquement horizontales car leur développement est guidé par le plan d’eau de la rivière. En plus de leur horizontalité, ces grottes forment généralement d’importants vides souterrains (galeries pouvant dépasser les 20m de diamètre) dans lesquels sont piégés des sédiments allochtones, des plus grossier aux plus fins. Ces dépôts sont synchrones du fonctionnement de ce type de grotte (Mocochain et al., 2009).

Ces deux modes de creusements sont complémentaires (Fig. 2-9). Cependant, les hypothèses divergent sur la chronologie de l’étagement des cavités.

Figure 2- 9 : Chronologie de la mise en place des étages de la grotte de St Marcel (Ardèche) et des recoupements souterrains de méandres qui leur sont corrélés. Le processus se forme en deux temps : 1/suite à une première remontée du niveau de base le drainage provenant du plateau s’adapte par creusement d’un puits cheminée et /ou d’un drain horizontal calé sur la surface piézométrique (étapes 1 à 3) ; 2/le recoupement de méandre se forme en se raccordant à ce drainage provenant du plateau (Mocochain et al., 2006c).

Traditionnellement les auteurs interprétaient l’étagement de ces niveaux de grotte comme une conséquence de l’abaissement du niveau de base. Ainsi, à chaque phase de chute du niveau marin, un niveau de grotte se trouvait perché et abandonné alors que se formaient de nouveaux réseaux au contact de la rivière ou de la côte. On parle alors de modèle de creusement per descensum du karst. Ce modèle de creusement (Fig. 2-10a) a été largement utilisé pour expliquer l’étagement des réseaux, y compris dans les karsts peri-méditerranéens (Guérin, 1973 ; Gombert, 1988 ; Belleville, 1985 ; Debard, 1997). Cette interprétation se heurtait à deux difficultés. En premier lieu, elle n’expliquait pas la forme des grands conduits verticaux qui ont été identifiés comme étant des puits cheminées dans les gorges de l’Ardèche (Fig. 2-10b ; Mocochain et al., 2006c), c’est à dire des conduits dans lesquels l’eau circule de bas en haut (Chevalier, 1944 ; Rodet, 1992 ; Camus, 2003 ; Bigot, 2004;). Seconde difficulté, l’altitude des niveaux de grotte ne correspondait pratiquement jamais avec les terrasses quaternaires qui marquent les stades d’incision des vallées. Les travaux de Mocochain (2007) sur l’étagement des grottes en Ardèche ont montré une autre logique, inverse à la précédente, dite per ascensum, c’est à dire un étagement des grottes du bas vers le haut. Bien que ces deux hypothèses soient différentes, elles ne s’opposent pas car elles correspondent à des karsts évoluant dans des conditions géodynamiques différents. Dans les karsts méditerranéens, cette dynamique est le résultat de plusieurs remontées du niveau de base ayant eu lieu au Pliocène et qui sont une conséquence de la crise de salinité messinienne (Audra et al., 2004 ; Mocochain et al., 2006b).

Figure 2- 10 : Les deux exemples de puits. a/ de type per descensum (puits-méandre), b/ de type per ascensum (puits-cheminée), d’après Mocochain et al., 2006c.

En effet, sur tout le pourtour méditerranéen un nombre important de réseaux phréatiques profonds et de sources vauclusiennes sont développés à des altitudes plus basses que les variations glacio-eustatiques du Quaternaire, mais sont en revanche corrélables aux niveaux de base Messinien et Pliocène (Fig. 2-11). En effet, après la période de chute drastique du niveau marin au Messinien (5,96 – 5,32 Ma), le développement du karst per ascensum est contrôlé pendant 3 Ma par les remontées successives du niveau de base jusqu’à la fin du Pliocène (1,8 Ma). Cette spéléogénèse montre que le développement du karst n’est pas réduit à la période de crise, mais

prolonge ses effets durant tout le Pliocène et le Quaternaire. D’après la Fig.2-11, les karsts profonds de Provence et des Causses ne semblent pas directement reliés à des rias pliocènes.

Figure 2- 11 : Localisation des systèmes phréatiques profonds du pourtour méditerranéen comparés aux canyons messiniens et aux rias pliocènes (Mocochain et al., 2011).

2.2.3 Méthodologie de caractérisation de la karstification

La spéléogenèse d’une région donnée est directement dépendante des variations de son niveau de base, et donc des mouvements tectoniques et/ou eustatiques, c'est-à-dire la géodynamique régionale. De plus, un certains nombre de réseaux karstiques, trop étroits, noyés profonds, ou inconnus, ne sont pas accessibles directement à l’homme. C’est pourquoi il est pertinent de placer le karst dans un contexte de géodynamique de bassin afin d’étudier son évolution (Aunay et Le Strat, 2002 ; Dörfliger et al., 2006; Mocochain et al., 2006a,b). La méthodologie proposée par

Aunay et al., (2005) est une approche géologique qui repose sur ce positionnement du système karstique dans son contexte géodynamique régional, et permet de définir le cadre de son évolution au cours du temps (Fig. 2-12).

Figure 2- 12 : Schéma conceptuel de la méthodologie de caractérisation du développement de la karstification (Aunay et al., 2005 in Dörfliger et al., 2008).

Cette méthodologie repose d’abord sur la prise en compte des variations eustatiques globales, de l’histoire tectonique régionale et de l’enregistrement sédimentaire du bassin. Cette prise en compte de l’histoire géologique régionale va permettre de définir des périodes qui ont été propices à la karstification. Ensuite, l’étude géomorphologique des surfaces, des paléo-cours d’eau, et les datations de sédiments piégés dans les karsts vont permettre de reconstituer l’évolution paléogéographique de la région étudiée. Cette reconstitution est nécessaire pour identifier les périodes d’émersion favorables à la karstification, et le gradient topographique qui va contrôler la vergence des paléo-cours d’eau associés au drainage karstique, des paléo-exutoires et des reculées karstiques.