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CHAPITRE 2 : ETRE CONTENU ET SE TENIR POUR « HABITER SON CORPS »

3. Les troubles du tonus : entre défaut de régulation tonique et moyen de se défendre

3.1. Une régulation en tout ou rien

Le psychomotricien et moi marchons dans le parc, entourant Aurélien en tenant chacun une de ses mains. Il a, alors, une posture très tonique, marche sur la pointe des pieds, son corps en extension, ses bras fléchis au niveau du coude et restant au niveau de son thorax. Nous marchons tranquillement sur l’herbe, quand, une fois arrivés au niveau de l’allée goudronnée du parc, il s’allonge brutalement par terre, sur le dos, donnant l’impression de ne plus avoir de consistance. Il se met à gémir et pleurer, lâche nos mains, et semble alors pris d’une forte angoisse.

Aurélien semble dans une contraction de son corps entier lorsque l’on se promène dans le parc. Il contracte ses pieds et mollets de façon à se tenir sur la pointe des pieds, ses bras qui restent comme en apesanteur, ses muscles extenseurs du dos avec hyperextension de son corps, ce qui entraîne une bascule de son bassin vers l’avant.

Comme la plupart des enfants que j’ai rencontrés lors de mon stage, il présente un défaut de régulation tonique. Son tonus semble organisé en tout ou rien, il passe brutalement d’une hypertonie dans sa posture debout à une hypotonie au sol. Les raidissements de son corps, et l’hypertonie semblent lui donner une certaine consistance. En effet, dès qu’il n’est plus dans cette hypertonie on observe chez lui un effondrement avec une impression de non- consistance de son corps.

Bullinger montre l’importance du milieu humain, et notamment du dialogue tonique, dans la régulation tonique de l’enfant au cours de son développement. On peut supposer que la difficulté de ces enfants, à s’engager dans un dialogue tonique, ne leur ait pas permis de réguler leur tonus, et de faire l’expérience d’un « premier sentiment d’exister ». Ils rechercheraient alors, à travers les raidissements et l’hypertonie, à donner consistance à leur corps, et à se sentir exister.

Ce défaut de régulation tonique peut être vu comme le reflet d’un défaut

d’intégration de l’axe.

Nicolas est un petit garçon qui a une posture particulière. Le haut de son corps est penché en avant, donnant l’impression d’être plié au niveau de son bassin, il est très tonique dans ses bras et le haut de son corps. Ses jambes semblent suivre, avec peu d’appui dans la marche, et son pantalon, bien qu’élastique, est sans arrêt descendu sous ses fesses.

Tout comme la chute tonique d’Aurélien peut être mise en lien avec le passage de l’herbe au goudron, et une difficulté à intégrer la variation des impressions sensorielles venues de l’espace bas, la disparité tonique observée chez Nicolas entre le haut et le bas de son corps m’a donné l’impression qu’il était comme coupé en deux au niveau du bassin.

G. Haag parle de clivage horizontal et de non appropriation du bas du corps chez les enfants autistes. Ils sont pris, du fait d’un portage non intériorisé, d’angoisses de chute. Ils n’ont pas pu faire de lien entre le haut et le bas de leur corps, que ce soit à travers les retournements, les redressements ou l’investissement de la marche. Cela se manifeste, selon elle, par une marche sur la pointe des pieds, toujours compensée par un accrochage en haut (bras en chandelier, accrochage du regard à la lumière,…), de possibles chutes brutales au changement de texture du sol, et parfois un positionnement du pantalon trop haut ou trop bas. L’investissement du bas du corps s’achève avec l’acquisition d’une sphinctérisation intégrée.

Ces situations cliniques révèlent donc chez Aurélien et Nicolas un clivage horizontal avec défaut d’investissement du bas du corps.

Je croise Aurélien dans le couloir. Une soignante l’emmène avec elle dans le groupe de vie en lui tenant sa main droite. Il est alors très tonique du côté ou il est tenu, et semble hypotonique du côté gauche, donnant l’impression d’une démarche boiteuse.

La disparité tonique entre le côté droit et le côté gauche m’a, là encore, donné l’impression qu’il était comme coupé en deux.

G. Haag parle de clivage vertical chez les enfants autistes, ils n’auraient pas intégré et articulé les deux côtés du corps autour d’un axe solide.

Je suis avec Aurélien dans la salle où l’on peut écouter de la musique, il vient vers moi, me tire par un bras et m’incite à le suivre jusqu’au poste de musique. Il pose alors ma main sur le poste et appuie dessus de façon à presser le bouton afin de changer de chanson.

Il fait faire l’adulte à sa place, comme si notre main était le prolongement de son propre schéma corporel. Cette attitude est également révélatrice d’un clivage vertical.

Comme on l’a vu, l’enfant a besoin de se sentir contenu pour intégrer un axe solide sur lequel s’appuyer. En gardant en tête que ça ne préjuge ni de l’inadéquation de l’environnement ni de l’équipement inné du bébé, l’environnement et le nourrisson s’influençant l’un l’autre, on peut faire l’hypothèse que ces enfants n’ont pas pu éprouver ce sentiment d’être contenu et, de ce fait, ont un axe qui semble ne « pas tenir ».

AM. Latour souligne que « le défaut d’intégration, chez l’enfant autiste, d’un squelette

interne le met toujours en demeure de trouver de manière concrète dans les objets, dans les manipulations, dans les postures et les mouvements, cette tenue qu’il n’a pas pu s’intérioriser »40

.

40 LATOUR A.M., La pataugeoire : contenir et transformer les processus autistiques, Ramonville Saint-Agne, éd. Eres, 2007, p.81

Ce défaut de régulation tonique peut également être vu comme le reflet d’un défaut

d’intégrationsensorielle

Du fait de leur régulation tonique en tout ou rien, ces enfants m’ont paru au premier abord dans un paradoxe dur/mou à travers leur oscillation hypertonie/hypotonie. F. Tustin a étudié ce phénomène en l’associant à un défaut d’ « intégrations primaires » 41 des sensations de « dur » et de « mou » au cours des interactions précoces.

Selon elle, en faisant l’expérience conjointe de sensations de « mollesse » et de « dureté » dans un moment de tétée satisfaisant, le bébé va se trouver dans un état de « bien-être » tant psychologique que physiologique. A l’aide de la présence attentive de la mère et d’intégrations neurophysiologiques au niveau du cerveau et du système nerveux de l’enfant, il va transformer ces sensations corporelles en expériences psychologiques, et étayer son image du corps.

On peut supposer que l’organisation tonique des enfants rencontrés révèle un défaut d’intégration et de mise en relation de la sensation de dureté associée à l’inconfort, et de mollesse, associée au plaisir et confort. Ils n’ont, de ce fait, pas pu se constituer une image du corps unifiée et un sentiment d’identité.

Notre objectif va être de faciliter ces intégrations primaires, en les aidant à prendre conscience que ces sensations fondamentales rugueux/lisse, dur/mou, lumière/obscurité, chaud/froid, existent et peuvent entrer en interaction, dans leur propre corps ainsi que dans le monde extérieur.

Ces intégrations nécessitent d’être en relation, elles « maintiennent la cohésion de l’enfant,

mais, pour qu’elles s’opèrent, il a besoin de sentir que, dans le monde extérieur, il est fermement maintenu. Si ces intégrations primaires n’ont pas lieu, l’enfant reste à jamais dépendant d’un soutien extérieur »42

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41 TUSTIN F., Les états autistiques chez l’enfant, Paris, éd. du Seuil, 1986, p.174 42