• Aucun résultat trouvé

Régulation immunologique de la surface oculaire : (17)

I. Le concept de la surface oculaire

4. Régulation immunologique de la surface oculaire : (17)

Toutes les interfaces de l’organisme avec l’extérieur constituent des barrières anatomiques visant à empêcher la pénétration des agents pathogènes grâce à l’association de multiples moyens : des barrières physiques, des flux, des agents chimiques et des substances bactéricides, des flores commensales, etc.

4.1. La flore commensale :

L’intérêt d’une flore commensale est d’empêcher par compétition l’implantation de germes pathogènes. Des études conduites pour évaluer le risque microbien chez des patients opérés de la cataracte, semblent montrer la présence une flore normale assez proche de celle de la peau et dominée par Staphylococcus epidermitis. Cependant toute évaluation de cette flore est tributaire des moyens de cultures employés.

4.2. Le film lacrymal

Le rôle du mucus est de capturer et neutraliser les germes et de les entraîner dans son flux sans leur permettre de s’implanter. Au niveau de l’œil, ce mucus est représenté par le film lacrymal qui agit en synergie avec le clignement des paupières pour assurer l’évacuation de tout corps étranger, débris épithélial ou agent toxique ou potentiellement infectieux. Son épaisseur a

été évaluée à environ 40 micromètres et son volume entre 6 et 9 ml avec un renouvellement en sécrétion basale de 1 à 2 ml/ min. Le flux ainsi créé est généré par les glandes lacrymales situées à l’angle supérotemporal de l’orbite, il baigne la surface oculaire avant d’être recueilli dans le canal lacrymal qui va s’écouler dans le nez. Cependant, 75 % de la sécrétion s’évapore et 25 % s’élimine par la voie lacrymonasale. Le flux est considérablement accru lors d’hypersécrétion réflexe.

Classiquement présenté comme une structure trilaminaire où se superposent une couche muqueuse profonde, une importante couche aqueuse intermédiaire et une fine couche lipidique superficielle, le film lacrymal est en réalité un ensemble extrêmement complexe et apparaît plutôt comme un ensemble à deux couches interdépendantes. Il est majoritairement formé d’une phase mucinoaqueuse surmontée d’une phase lipidique ultramince. Il est régulièrement re- surfacé et redistribué par le mouvement de balayage ascendant de la paupière supérieure ; il se fluidifie pendant le clignement et se restructure, se recompose comme un gel entre deux battements palpébraux.

4.3. Les IgA sécrétoires et le tissu lymphoïde associé aux muqueuses de l’œil

a. Le tissu lymphoïde associé aux muqueuses de l’œil (EALT) :

L’œil bénéficie d’un tissu lymphoïde associé à l’ensemble de la conjonctive, avec une densité qui décroît de sa portion rétropalpébrale vers le fornix et vers sa partie bulbaire préoculaire (CALT : conjunctiva-associated lymphoid tissue). Il englobe les glandes lacrymales et s’étend à l’ensemble des voies de drainage lacrymonasales (LDALT : lacrymal derivation- associated lymphoid tissue), jusqu’au nez, pour former un ensemble fonctionnel (EALT) interconnecté avec les autres territoires muqueux. Son organisation fonctionnelle est largement déduite des connaissances acquises au niveau intestinal, avec schématiquement une voie afférente et une voie effectrice (Figure 29)

Figure 29: Tissu lymphoïde associé aux muqueuses.

b. Les IgA sécrétoires : (Figure 30)

Plus de la moitié des immunoglobulines produites quotidiennement par l’organisme sont des IgA. Il en existe deux sous-classes IgA1 et IgA2 auxquelles on attribue une orientation fonctionnelle vers la prise en charge d’antigènes respectivement protéiques et polysaccharidiques. En dehors de quelques sous-compartiments bien précis, les muqueuses constituent le territoire de prédilection de cet isotype qui présente en effet de nombreux avantages à la fois structuraux et fonctionnels.

Leur rôle effecteur est ainsi particulier, axé sur ce qu’on appelle « l’exclusion immune » : agglutination des pathogènes facilitant leur clairance par le flux muqueux, neutralisation des toxines et inhibition des adhésines. Cette action peut déjà s’exercer lors de leur transfert actif vers la surface en produisant une action de nettoyage par entraînement des éventuels microorganismes présents dans le stroma ou même à l’intérieur de la cellule épithéliale.

Au niveau des glandes lacrymales, les IgA représentent 77% des immunoglobulines sécrétées ; à la différence de ce qui est observé au niveau des muqueuses digestives et notamment colique, il existe une forte prédominance des IgA1 (80 %) sur les IgA2

Figure 30: Les IgA sécrétoires.

c. Les IgD et autres immunoglobulines :

Les IgD représentent 10 % des immunoglobulines secrétées ce qui en fait le second isotype dans les larmes, alors qu’elles sont absentes au niveau digestif ; elles deviennent même majoritaires (57 %) chez les sujets atteints de déficit en IgA. Le restant des immunoglobulines est constitué de façon à peu près égales d’IgM et d’IgG

4.4. La cornée et les récepteurs Toll-like (TLR) :

La cornée représente l’ultime interface avec l’intérieur de l’œil. C’est à la fois une vitre et la dernière barrière à la pénétration. Elle doit donc à la fois posséder tous les moyens de déclencher une réponse immunitaire efficace et ne les utiliser qu’en dernier recours, ce qui signifie aussi inhiber toute activation inopportune.

Elle est composée d’une couche stromale hydrophile encadrée de deux couches hydrophobes, épithéliale à l’extérieure et endothéliale vers l’intérieur. Cette organisation limite considérablement les transferts moléculaires vers l’intérieur de l’œil. De plus les deux interfaces épithélial et endothélial apparaissent orientées vers la non-réponse immunitaire : leurs cellules sont équipées de molécules membranaires capables d’inhiber l’activation des cellules effectrices. Par ailleurs, les vascularisations sanguine et lymphatique sont cantonnées à sa périphérie au

niveau du limbe. Cela explique que les molécules de l’immunité qui diffusent à partir de cette source puissent avoir une concentration décroissante vers le centre de la cornée, notamment C1q qui est une grosse molécule ; en cas d’inflammation la néoangiogénèse pourra combler l’écart au prix d’une dégradation fonctionnelle importante.

De la même façon il semble que les récepteurs Toll-like ne sont exprimés que dans les couches basales de l’épithélium cornéen, mais non dans sa partie apicale.

Cette famille de récepteurs est l’une de celles qui permettent à l’immunité naturelle de reconnaître des motifs moléculaires conservés au sein des agents microbiens (les pathogen associated molecular pattern pour PAMPs), mais aussi parfois des motifs endogènes ; et leur mise en jeu différentielle intervient dans l’orientation de la réponse immunitaire.

Probablement absents de la surface de l’épithélium, mais présents dans sa partie profonde, leur engagement témoignerait de l’agression de l’épithélium cornéen avec déclenchement de la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et de chimiokines. Ces récepteurs seraient également exprimés par les fibroblastes du stroma que l’on considère comme la principale source des chimiokines qui recrutent les leucocytes du limbus vascularisé vers la cornée avasculaire. Le déclenchement de la réaction inflammatoire conduisant à la cécité liée à Onchocerca volvulus chez l’homme pourrait ainsi relever en réalité d’une activation de ces cellules médiée par TLR4 en présence d’une substance endotoxine-like provenant en fait de Wolbachia, une bactérie endosymbiotique associée au parasite.

4.5. Le privilège immunitaire de l’œil : (18)

Le système immunitaire oculaire fait l’objet de processus de régulation complexes permettant l’élimination de micro-organismes pathogènes tout en maintenant une tolérance vis- à-vis des antigènes de la flore endogène. Le privilège immunitaire oculaire (PrIO) est censé augmenter le seuil à partir duquel l’immunité innée et adaptative peut déclencher une inflammation intraoculaire dans le but de préserver l’intégrité de l’axe visuel et la fonction

visuelle. Il a été mis en évidence par le fait que certaines tumeurs pouvaient se développer dans la chambre antérieure de l’œil alors qu’elles en étaient incapables ailleurs.

L’existence du PrIO a été démontrée d’une part, par l’induction d’une déviation de la réponse immunitaire normale aux antigènes présents dans la chambre antérieure (anterior chamber associated immune deviation ou ACAID) après l’injection d’antigènes tumoraux et d’autre part, par la capacité du microenvironnement oculaire (particulièrement l’humeur aqueuse) à réprimer des réponses inflammatoires. Medawar dés 1948 démontrait que la règle de l’immunologie de transplantation qui veut que le système immunitaire de l’hôte puisse provoquer le rejet de la greffe en développant une réponse contre les antigènes du greffon et qui s’applique a la plupart des organes du corps, ne s’applique pas à l’œil. Il a aussi constaté que les allogreffes dans la chambre antérieure de l’œil ont une survie prolongée comme c’est le cas également pour le cerveau. De ce fait, le terme de ≪ privilège immunitaire ≫ a été utilisé pour décrire cette propriété spéciale de la chambre antérieure et du cerveau. Aujourd’hui avec les ovaires, les testicules, le cortex surrénalien, le foie, les matrices des poils et la poche jugale du hamster, le cerveau et l’œil sont considères comme des sites immunologiquement privilégies au niveau desquels les greffes incompatibles peuvent persister longtemps.

Documents relatifs