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Partie 1 : Les cellules souches hématopoïétiques

II. Régulation des CSH : des réponses spécifiques en situations de stress

2. Entre quiescence et prolifération : plasticité des CSH face au stress

2.2. Régulation de la quiescence, quelques éléments

Le maintien des CSH nécessite un équilibre entre la quiescence et la prolifération, régulé par des facteurs extrinsèques et intrinsèques. Depuis quelques années, de nombreuses molécules et voies de signalisation ont été identifiées comme indispensables pour la régulation de la quiescence. Comprendre comment la quiescence des CSH est régulée est bien sûr intéressant pour comprendre la physiologie de ces CSH.

2.2.1. Une régulation complexe de la quiescence

Le contrôle de l’équilibre entre la quiescence et la prolifération est finement régulé, à la fois par des signalisations intrinsèques, et par l’interaction avec la niche, via les interactions cellulaires et les interactions avec la matrice extra-cellulaire. De nombreux modèles génétiques établis chez la

Figure 24. Régulation de l’entrée en cycle des CSH

Le passage des CSH quiescentes de la phase G0 à la phase G1 est régulé par une activité compétitive entre des mécanismes régulant positivement et d’autres régulant négativement les complexes cyclines-CDK. La voie PI3K/Akt/mTOR, activée en réponse à de nombreux signaux extrinsèques, est considérée comme un activateur central de l’entrée en cycle des CSH, via l’activation du complexe cycline D-CDK4/6. Cette voie est finement régulée, notamment par PTEN et Tsc. Les membres de la famille INK4 inhibent l’activité du complexe cycline D-CDK4/6, et les inhibiteurs de la famille CIP/KIP inhibent l’activité de la CDK4. La progression de la phase G1 à la phase S est régulée par le complexe cycline E-CDK2, lui même régulé par les membres des familles CIP/KIP et Rb. Les membres de la famille CIP/KIP sont contrôlés par des facteurs de transcription comme Hes1, JunB, et FoxO3a. Le cycle des CSH est aussi régulé par p53, soit en réponse à des dommages à l’ADN, soit suite à l’activation de p19. Les flèches pleines indiquent les régulations directes par activation ou inhibitions ; les flèches en pointillé indiquent les régulations transcriptionnelles.

d’après Pietras et al., 2011

Figure 25. p21, intégrateur de signalisations régulant la quiescence des CSH

Modèle proposé pour la régulation de p21 au sein des CSH. Les facteurs de transcription Gfi-1, Egr1, NKAP et c-Myc pourraient réguler p21 dans les CSH, participant au contrôle de leur quiescence.

40 souris ont permis d’identifier des régulateurs du cycle cellulaire des CSH (pour revue, voir (Pietras et al., 2011). Il est intéressant de noter que les régulateurs de la quiescence peuvent être des régulateurs directs du cycle cellulaire (p21, p57…), des facteurs de transcription (p53, MEF…), des voies de signalisation moléculaires (la voie PI3K/Akt…), des voies développementales (Hedgehog, Wnt), des molécules d’adhésion (N-cadherine, ostéopontine…), des modificateurs post-transcriptionnels (Fbw7…) ou encore le caractère hypoxique de l’environnement (cf. Partie 1 : II.5.2) (Tableau 3). Ces multiples informations sont intégrées au sein de la CSH pour réguler sa quiescence. La Figure 24 détaille certains des mécanismes connus régulant la quiescence des CSH, je m’attarderai ici uniquement sur le rôle de p21.

p21 est un membre de la famille CIP/KIP des inhibiteurs des kinases dépendantes du cycle

cellulaire (Figure 22). p21 est une cible directe de p53 activée suite à différents stress, et induisant l’arrêt du cycle. Le rôle de p21 dans le maintien de la quiescence a été identifié grâce à l’étude de la souris p21-/- comme nous l’avons vu précédemment (Cheng, 2000). La délétion de p21 induit une entrée en cycle corrélée avec des défauts d’auto-renouvellement et une sensibilité accrue à un stress myélotoxique. De façon similaire, la perte de p21 induit une augmentation de la prolifération et des défauts d’auto-renouvellement des cellules souches neurales (Kippin et al., 2005). L’expression de p21 a été trouvée modifiée dans plusieurs modèles génétiques affectant la quiescence des CSH (Figure 25). Ainsi, l’expression de p21 est diminuée dans des CSH Egr1-/- et Gfi1-/- et augmentée dans les CSH

NKAP-/- (Min et al., 2008; Hock et al., 2004a; Pajerowski et al., 2010). Ces changements dans l’expression de p21 corrèlent avec une modification de l’entrée en cycle des CSH : les CSH Egr1-/- et

Gfi1-/- entrent davantage en cycle, alors que les CSH NKAP-/- prolifèrent moins que des CSH contrôles. Des expériences de ChIP en cellules 293T ont révélé que NKAP était capable de se lier au promoteur de p21, réprimant ainsi son expression de façon indépendante de p53. Il est tentant de spéculer que

p21 explique au moins en partie les phénotypes sur la quiescence des CSH Egr1-/-, Gfi1-/-, NKAP-/-. L’étude de ces mutants dans un fond génétique p21-/- permettra de valider ou d’infirmer cette hypothèse. Par ailleurs, il a été montré que le facteur de transcription c-Myc régulait négativement l’expression de p21 dans des lignées de cellules hématopoïétiques (Wu et al., 2003). On sait que

c-Myc est exprimé faiblement dans les CSH, son expression augmente dans les progéniteurs immatures

(Wilson et al., 2004). Ainsi, l’expression de c-Myc pourrait favoriser la prolifération des progéniteurs

via l’inhibition de p21. A nouveau, ici, des expériences supplémentaires aideront à appréhender la

régulation de p21 par c-Myc in vivo dans les CSH et les progéniteurs. Malgré le caractère préliminaire de certaines de ces données, on peut penser que p21 joue un rôle d’intégrateur de signaux au sein des CSH en interagissant avec d’autres facteurs, pour réguler l’équilibre entre la quiescence et la prolifération.

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2.2.2. Une régulation active de la quiescence

Lorsqu’on s’intéresse à la régulation de la quiescence des CSH, on peut s’étonner que la grande majorité des molécules et voies de signalisation identifiées jusqu’à aujourd’hui sont des régulateurs positifs de la quiescence (Tableau 3). L’équipe d’I.Weissman a comparé les analyses transcriptomiques de CSH homéostatiques, avec des CSH ayant subi un traitement qui induit leur mobilisation, avec des progéniteurs immatures, et avec des CSH leucémiques (Forsberg et al., 2010). Les auteurs ont identifié particulièrement un réseau de gènes et de voies de signalisation activés dans les CSH quiescentes et réprimés dans les CSH non quiescentes ou les progéniteurs. Ces données mettent en évidence l’existence d’une importante signalisation régulant positivement la quiescence des CSH et inhibant leur prolifération, et suggèrent que la différenciation pourrait être le destin par défaut des CSH.

L’étude des protéines Polycomb soutient ce modèle. En effet, les délétions de Bmi1 ou de

Mel18 sont associées avec des défauts d’auto-renouvellement des CSH (Park et al., 2003; Kajiume et

al., 2004). Il est proposé que les protéines Polycomb participent au maintien de l’auto-renouvellement en réprimant des gènes impliqués dans la spécification des lignages ou la mort cellulaire (Akala and Clarke, 2006). Ainsi, ces études suggèrent également que la différenciation pourrait être la voie par défaut des CSH, et qu’une régulation active est requise pour le maintien de leur fonction, principalement de leur auto-renouvellement dans le cas des Polycomb.

2.2.3. Une régulation spécifique de la quiescence

Il est intéressant de noter que parmi les régulateurs du cycle cellulaire dans les CSH, plusieurs ne régulent pas, ou ont un effet opposé sur la régulation du cycle d’autres cellules hématopoïétiques. Les quelques exemples présentés ci-dessous illustrent ce propos. Gfi1 est un répresseur transcriptionnel, connu comme oncogène dans les cellules lymphoïdes. En effet, le locus Gfi1 est un site fréquent d’intégration rétrovirale participant au développement de tumeurs lymphoïdes chez la souris. De plus, Gfi1 agit comme activateur de la prolifération dans les cellules T, et effectivement, les cellules du thymus des souris Gfi1-/- présentent une diminution de la prolifération (Hock et al., 2004a). De façon étonnante, il a été montré que dans les CSH, Gfi1 restreignait la prolifération des CSH et était nécessaire au maintien de leurs fonctions. L’étude de la mutation conditionnelle de Mll dans le système hématopoïétique apporte des données similaires. Membre d’un complexe de régulation épigénétique, Mll régule la prolifération des cellules hématopoïétiques (Jude et al., 2007). Les progéniteurs myéloérythroïdes Mll-/- présentent une diminution de la prolifération in vitro, alors que les CSH Mll-/- entrent en cycle. Enfin, la délétion des facteurs FoxO1, FoxO3 et FoxO4 ou du facteur

FoxO3a seul induit des défauts de la régulation du cycle cellulaire des CSH, alors que la prolifération

42 Ces exemples parmi d’autres illustrent le fait que la régulation du cycle cellulaire est différente en fonction des lignages et du stade de différenciation des cellules hématopoïétiques. La quiescence étant une propriété importante des CSH et non des progéniteurs, ce résultat n’est peut être pas surprenant, néanmoins, ces études permettent de mettre le doigt sur des régulations spécifiques du cycle cellulaire dans les CSH.

2.2.4. Potentielles applications de ces connaissances sur la régulation de la quiescence

Comprendre la régulation de la quiescence des CSH peut apporter des éléments sur la physiopathologie de nombreuses maladies. En effet, plusieurs facteurs régulateurs intrinsèques de la quiescence des CSH ont été trouvés associés à des leucémies (Li, 2011). Des fusions entre les facteurs

FoxO et le régulateur Mll sont par exemple associées avec des leucémies myéloïdes aigues (Tothova et

al., 2007). De plus, l’étude de la régulation de la quiescence des CSH étonne par la présence de plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs, parmi lesquels PTEN, l’ubiquitine ligase Fbw7, Tsc et les membres de la famille Rb. Il a été observé que la délétion de certains gènes régulant la quiescence induit une augmentation transitoire de la population de CSH. Il est possible que cette population accrue soit une cible plus importante pour des mutations oncogéniques participant au développement des leucémies.