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7 Evolution et occurrences

7.2 Régions linguistiques et autres pays

A l’exception du Valais, la présence de personnes noires est significativement plus importante dans les cantons romands que dans le reste du pays, ce qui s’explique, entre autres, par des raisons linguistiques, des opportunités professionnelles et de formation, mais une analyse plus fine des statistiques disponibles s’imposerait. Au Tessin, en revanche, la part de la population noire est encore plus faible que dans les deux autres régions linguistiques.

La recherche de Fröhlicher-Stines & Mennel (2004a) conclut à une plus grande ouverture envers les personnes noires en Suisse romande et un mieux-vivre de leur part. Cette constatation n’est pas confirmée par nos observations39, même si un expert, qui a lui-même vécu dans les deux parties linguistiques, reconnaît qu’au sein des collectivités africaines « on considère parfois qu’il y a un peu plus d’ouverture dans les cantons latins ». Ceci vaut, à son avis et selon d’autres personnes interviewées, principalement pour les institutions et les services publics : en Suisse romande, ils emploient également davantage de personnel noir : transport public, police, enseignement, etc. Il s’agit là certainement d’un atout pratique et symbolique non-négligeable pour le vivre-ensemble.

Je me sens à l’aise dans le canton de Neuchâtel. J’étais très fière et contente de voir des réceptionnistes noires à l’hôpital et des médecins noirs en blouse blanche soigner les patient_e_s. (CHR02)

En ce qui concerne les attitudes envers des personnes noires au sein de la population générale, les spécialistes ne constatent pas de différences fondamentales entre la Suisse romande et alémanique, ce que les discussions au sein des entretiens collectifs tendent grosso modo à confirmer. Les expériences décrites dans le domaine professionnel et dans certaines administrations sont également similaires. Néanmoins, le raN d’obédience partisane est, selon deux spécialistes avertis et d’autres indications, plus affirmé en Suisse alémanique et au Tessin, ce qui est sans doute lié au paysage politique local, l’UDC et la Lega jouant un rôle non négligeable dans ce domaine.

En Suisse alémanique le raN s’exprime dans certains milieux sans complexe, alors qu’il est beaucoup plus politiquement correct en Suisse romande, même si le maillage raciste au fond reste similaire. (…) En revanche, quand on s’adresse à des activistes tiers-mondistes, c’est le jour et la nuit entre les deux parties linguistiques : ceux qui s’engagent contre le raN en Suisse alémanique sont beaucoup plus affirmés et conséquents, faisant réellement le pas de la déconstruction raciste. (CHR03)

Un autre spécialiste est impressionné par le nombre d’universitaires, résidants réguliers, et d’activistes noirs à Genève comparé à Berne ou Zürich. Cela facilite l’organisation de débats qui dépassent des cercles confidentiels, et facilite la mise en place des activités contre le raN. Le tissu associatif des collectivités noires est également plus dense à Genève et dans le canton de Vaud. Quant à la situation au Tessin, quelques parallèles se dégagent avec des cantons en Suisse alémanique, selon les informations dont nous disposons40. Une spécialiste considère que ce canton reste encore « très en arrière dans la prise de conscience du problème », ce qui est, entre autres, lié à la forte polarisation de la politique cantonale. Les autorités restent bras ballants face au climat politique qui inspire la crainte d’être épinglé dans les journaux du dimanche. Malgré l’engagement des collectivités africaines et de multiples contacts avec le bureau d’intégration, aucune initiative proposée par les représentant_e_s du monde associatif africain – maison d’associations, centre d’aide aux victimes de raN, sensibilisation à l’école, etc. – n’a vu le jour. En raison d’un raN qui s’exprime sans complexe dans la sphère publique et fait fréquemment l’amalgame entre

39 Il est vrai qu’à une ou deux exceptions près, les personnes interviewées n’ont pas eu l’occasion de vivre dans l’autre partie linguistique et basent leurs affirmations sur des échanges avec des connaissances de l’autre côté de la barrière linguistique.

40 Malheureusement ces données sont limitées, puisque nous n’avons pu interviewer qu’une leader associative et les autres spécialistes ne se réfèrent pas à la situation tessinoise.

réfugié_e_s, Noir_e_s et criminel_le_s, il serait, de l’avis de cette experte, particulièrement important de prendre des mesures. En même temps, les associations se découragent et n’osent plus se battre, un véritable cercle vicieux s'est installé. Il est également très rare que des personnes noires occupent des postes dans l’administration.

Nous avons également demandé aux personnes rencontrées comment la Suisse se situe en comparaison internationale, par rapport au raN. La plupart des réponses se réfèrent aux mesures politiques de prévention des discriminations et de prises en charge des victimes, peu développées en Suisse, qui seront évoquées dans le chapitre 9. En ce qui concerne les expressions du raN au sein de la population ou dans les institutions, les spécialistes sont, à une exception près, de l’avis que la Suisse ne se distingue pas fondamentalement des pays voisins ou de l’Ouest européen, même si des Noir_e_s provenant d’autres pays européens la considèrent parfois comme plus raciste, en raison des votations populaires anti-immigration. D’autres observateurs/trices considèrent, au contraire, que le pays reste relativement épargné par le raN, pour cause d’une certaine « retenue suisse » dans les manifestations racistes ou en raison de l’absence de quartiers défavorisés, qui concentrent des populations d’origine africaine.

Un certain consensus se dessine par rapport à la prise de conscience de la présence d’une population noire, quasiment inexistante dans un pays qui se targue de ne pas avoir participé à l’entreprise coloniale. Plusieurs spécialistes insistent sur la nécessité de mettre en avant l’atout de la diversité de la population suisse avec conviction, au lieu de la présenter seulement comme un problème : et de préciser qu’il est dommage d’attendre 200 ans pour célébrer la diversité dans le rétroviseur, plutôt que dès maintenant en regardant le présent et le futur. Un autre spécialiste fait remarquer que la Suisse n’a jamais entrepris de réforme fondamentale en la matière, tandis que d’autres pays n’ont, pour diverses raisons, pas pu échapper à un débat autour de leur identité nationale aux multiples visages, en évoquant aussi la relativité de la « color line » (De Genova 2016), soit la reconnaissance que leur population ne se caractérise plus par sa blanchité. Le grand voisin du Nord aussi a fini par entreprendre une réflexion à ce sujet, après la réunification.