mesure. Ces fiefs organisés et fidèles assuraient, depuis toujours, dès le premier tour la
victoire de leur parti, du moins selon les résultats officiels. Mais la « rébellion » interne
a considérablement diminué la force et la représentativité du parti socialiste à l'approche
de l'échéance de 2000. En effet, c'est lors du fameux « congrès sans débat » le 30 mars
1996 qui a vu confirmer la désignation d’Ousmane Tanor Dieng au poste de premier
secrétaire, que certains leaders du parti dont l'un des plus influents, plusieurs fois
ministre, Djibo Leyti Kâ, ont claqué la porte. Ousmane T. Dieng, considéré comme le
dauphin de Diouf qui hérite, lui, de la présidence, est contesté par une frange du parti
qui refuse désormais le dauphinat qui, pourtant semble être une tradition du parti176.
C'est un parti longtemps miné par le choc des ambitions et une forte rivalité interne
entre dirigeants. Ce sont les querelles internes accentuées par le clientélisme politique
qui avaient poussé le Président Abdou Diouf au lendemain de sa victoire à la
présidentielle de 1993 à réfléchir à la « refondation » du Parti Socialiste. Senghor par
souci d'efficacité, au début des années soixante-dix, avait procédé à la technocratisation
de son entourage politique et du gouvernement, c'est d'ailleurs ce qui avait valu à Abdou
Diouf son ascension fulgurante. Sans doute, Diouf a voulu reproduire le même schéma
au moment où son parti affichait un net recul électoral. Pour Diouf, il fallait plus
compter sur les produits de l'administration que sur l'expérience ou le poids politique,
c'est ainsi que la vieille garde du parti sera « sacrifiée » malgré son ancienneté et sa
fidélité au parti. Ousmane Tanor Dieng est issu de l'école nationale d'administration et
de magistrature (ENAM) qui forme les hauts fonctionnaires du pays. Directeur de
campagne du candidat Diouf en 1993, il est considéré par ses détracteurs, au moment de
son « parachutage » à la tête du PS en 1996, comme un « chef politique sans
légitimité »
177. En effet, comme le rappelle Ibrahima Sarr dans son ouvrage cité
ci-dessus, les technocrates qui ont investi le champ politique, « cherchent à capter à leur
avantage toutes les positions de pouvoir et tous les territoires de profits » puisque qu'ils
sont « sans véritable assise politique »
178. Or, les barons du PS, qui avaient un certain
pouvoir d'influence et qui se préparaient à la succession de Diouf, ne laisseront pour
176 Le Président Abdou Diouf avait été également désigné, à la surprise générale, par le Président
Senghor d'abord pour diriger le gouvernement, puis pour lui succéder à la tête du pays. C'est ce qui
a sans doute inspiré Diouf à porter son choix sur celui qui lui semble le plus fidèle.
177 Sarr Ibrahima, Op.cit, p.74.
178 Idem.
rien au monde la tête du parti à un « novice », inconnu du terrain et incapable, selon
eux, d'incarner les valeurs du parti. Ainsi Djibo L. Kâ ouvre le bal des départs en 1998,
suivi par l'ancien ministre des affaires étrangères, Moustapha Niasse en 1999. Le départ
de ces deux poids lourds ou « éléphants » du PS va beaucoup peser dans la défaite du
parti. Djibo L. Kâ était au cœur de ce qu'on peut appeler le système PS. C'est une
personnalité politique de premier plan qui maîtrise tous les rouages du parti et de
l'administration sénégalaise. Il a occupé des ministères régaliens tels l'intérieur et a
participé plusieurs fois à l'organisation d'échéances électorales. Sous Diouf, Djibo L. Kâ
est sans doute l'un des éléments les plus importants non seulement du dispositif
gouvernemental mais aussi du parti. C'est l'un des plus fervents défenseurs du parti,
réputé ruse et ambitieux. C'est fort de cette ambition qu'il a toujours manifestée, qu'il a
refusé de cautionner ce qu'il considérait comme une forfaiture c'est-à-dire l'élection ou
la nomination (c'est selon) de Ousmane T. Dieng au poste de premier secrétaire. En
créant l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD), Djibo L. Kâ a voulu, à travers
ce geste de défiance, sanctionner l'élection d’O.T. Dieng. Son parti, l'URD obtient onze
députés aux législatives de mai 1998, ce qui confirmait son poids au sein du PS. Il faut
dire qu'OusmaneTanor Dieng, bien que proche du Président Diouf, ne bénéficiait ni de
l'aura, ni de la popularité des deux dissidents à savoir Moustapha Niasse et Djibo L. Kâ.
C'est ce qui explique la fronde de ces deux barons du parti qui s'estimaient plus
méritants. Il nous semble important de souligner que la guerre de succession était
ouverte au parti socialiste depuis déjà plusieurs années. Cette situation avait accentué
l'existence des clans et favorisé la création de mouvements de soutien se réclamant d'un
camp ou d'un autre. Cette tension était palpable à la fin des années quatre-vingt-dix
avant même que le PS ne se fissure. Le Président Abdou Diouf a entretenu des rapports
parfois difficiles avec les membres de son propre parti, c'est dire qu'à un moment son
leadership a été mis à mal par des ambitions qui se justifiaient et qui pouvaient, au vu
des carrières et de l'expérience des uns et des autres, apparaître légitimes. Dans ses
entretiens avec Philippe Sainteny, repris dans l'ouvrage de Lamine Tirera, le président
Diouf admet avoir subi des pressions des membres du parti comme l'illustrent ses
propos :
« Quand j'ai voulu faire le pluralisme intégral, déclare Abdou Diouf, quand j'ai voulu
organiser les élections dans la transparence en mettant dans le jeu la Cour Suprême
(…) là j'ai rencontré beaucoup de difficultés au sein de mon parti. J'ai dû dire : c'est ce
que jeveux, c'est ce qu'il faut faire ; même si, en tant que parti, vous ne me le permettez
pas, en tant que Président de la République j'irai dans ce sens »
179.
Cette déclaration nous éclaire davantage sur le rôle joué par le président Diouf au sein
Dans le document
Médias et pouvoirs politiques au Sénégal : étude de la transition d’une presse d’État vers un pluralisme médiatique
(Page 122-125)