Chapitre I : Synthèse bibliographique
I- 3-1-D- La région symbiotique chez M. loti (l’espèce fréquemment associée à L. corniculatus ) :
(a) L’îlot symbiotique chez M. loti :
Des études fondamentales ont montré que la région symbiotique chez plusieurs souches de M. loti est
située dans un îlot génomique transférable (Encadré II). L’îlot génomique est une région de l’ADN
(>10 kb) capable de se séparer de leur chromosome, de se transférer et de s’insérer dans le chromosome récepteur d’autres bactéries. Les bactéries réceptrices sont alors dotées de nouvelles
propriétés écologiques leur permettant par exemple d’infecter certains hôtes eucaryotes (pathogènes,
symbiotes) ou de coloniser certains écosystèmes (dégradation de polluants, acquisition du fer…)
(Hentschel and Hacker, 2001).
L’îlot symbiotique de M. loti contient des fonctions qui rendent les souches saprophytiques
symbiotiquement compétentes. L’îlot symbiotique partage des caractéristiques communes avec l’îlot de pathogénicité en s’intégrant au niveau du gène phenylalanine tARN de la souches bénéficiaire, il
code pour une intégrase de la famille du phage P4 dans leur extrémité 5’ (Figure I-13) (Sullivan and
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Encadré II : l’îlot génomique
La composition du génome bactérien peut être changée à travers une variété des processus comprenant le phénomène du transfert horizontal des gènes. Le transfert horizontal de gènes est un processus dans lequel un organisme intègre des éléments génétiques provenant d'un autre organisme sans en être le descendant, ces éléments
sont appelés « îlot génomique ». Ce processus est considéré comme un des facteurs principaux de l'augmentation du
fitness des bactéries. Les îlots génétiques se divisent en plusieurs sous types selon le mode de vie du microorganisme : « îlot écologique » dans les bactéries environnementales et « îlot saprophytique », « l’îlot symbiotique » ou « l’îlot pathogène » pour les microorganismes qui s’interagissent avec les hôtes (Hacker and Carniel, 2001) (Figure EII-1. a). L’ADN transférable horizontalement est une partie du groupement de gènes bactériens flexibles comprenant les phages, les plasmides les transposons, les intégrons, les îlots génomiques (< 10 kb) et les îlots génomiques (>10 kb). L’îlot génomique peut fournir un avantage sélectif dans des conditions environnementales particulières (stress, conditions in vivo, l’exposition aux substrats antibactériens). Chez les bactéries, le transfert horizontal joue un rôle majeur dans leurdiversification et l’îlot génomique joue un rôle dans l’évolution du spectre d’hôte, il est impliqué dans la diffusion des gènes variés telle que ceux qui sont impliqués
dans la résistance aux antibiotiques ainsi que la propagation des gènes de virulence (Juhas et al., 2009). La majorité des îlots génomiques partagent les caractéristiques suivantes (Figure EII-1. b) :
1- Les îlots génomiques sont des larges fragments d’ADN (>10kb)
2- Ils sont potentiellement réorganisés par les statistiques des nucléotides (ex ; le contenu de GC, le biais cumulatif de GC, la fréquence de tetranucléotide ou l’usage du codon).
3- Ils sont souvent insérés aux gènes tARN.
4- Ils sont souvent entourés par 16-20 bp des séquences répétés (DR).
5- Ils hébergent des gènes fonctionnels ou cryptiques codant des intégrases ou des facteurs liés au système de conjugaison de plasmide ou des phages impliqués dans le transfert de l’îlot génomique.
6- Ils sont accompagnés par des éléments d’insertion ou transposons (IS) qui sont impliqués dans la mobilisation des matériaux génétiques.
7- Les îlots génomiques contiennent des gènes qui offrent des avantages sélectifs aux bactéries réceptrices. Selon le contenu de leurs gènes, les îlots génomiques sont décrits comme des pathogène, des symbioses, des métaboliques ou des îlots résistants.
Figure EII-1 : Les caractères généraux des îlots génomiques. (A) Modèle général proposé pour le développement de l’îlot
génomique par l’acquisition d’un matériel génétique étrangère. Les gènes acquis peuvent participer dans la survie de la bactérie
réceptrice dans l’environnement, la vie d’un saprophyte, la symbiose ou le pathogène (d’après Hacker & Corneil 2001). (B) Les
îlots génomiques sont des larges fragments de l’ADN pour lesquels les caractéristiques des nucléotides sont différents du reste du
chromosome (Juhas et al., 2009).
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Figure I-13 : Exemples d’îlots génomiques codant pour différentes fonctions chez des souches bactériennes
(Hentschel and Hacker, 2001).
(b) Transfert horizontal de l’îlot symbiotique chez M. loti :
Sept ans après l’inoculation de L. corniculatus avec la souche M. loti ICMP3153 dans des sols de Nouvelle Zélande cultivé avec du lotier corniculé, des rhizobia différents de la souche introduite M.
loti ICMP3153, ont été retrouvés dans les nodosités de L. corniculatus (Sullivan et al., 1995). Malgré
la diversité génétique de ces souches, toutes les souches isolées partagent une région symbiotique
identique avec la souche d’origine ICMP3153. Cette région faisant une taille minimale d’environ 500 -600 kb intégrée dans le chromosome des souches. Cette étude met en évidence un transfert horizontal
de la région symbiotique de la souche d’inoculation (appelée donneuse) à des souches du sol non symbiotiques (appelées souches réceptrices) et qui sont déjà présentes dans les sols du site. Le
transfert horizontal de la région symbiotique d’ADN n’implique pas des plasmides non intégratifs
mais des îlots génomiques intégrés dans le chromosome (Sullivan et al., 1995). Afin de montrer que
les rhizobia peuvent se retrouver dans le sol en absence de légumineuses et sont capables d’acquérir les gènes symbiotiques à partir d’une autre souche symbiotique, (Sullivan et al., 1996) ont pu isoler
des souches non symbiotiques de Mesorhizobium en prenant en compte : le temps de la croissance
(environ 4 jours), l’absence de croissance sur milieu LB, la présence d’une structure muqueuse sur les cultures sur milieu YM agar, l’absence de nodulation avec L. corniculatus et une hybridation positive
avec le génome de M. loti. Au final quatre souches différentes non symbiotiques ont été
isolées directement du sol sans piégeage par la plante-hôte et différentes de la souche ICMP3153
L’origine des rhizobia sur le site est inconnue. Elles seraient potentiellement des bactéries saprophytes relativement fréquentes dans le sol ou bien issues de rhizobia associées aux plantes natives sur le site.
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L’hypothèse d’un transfert horizontal des gènes symbiotiques a été confirmée par Sullivan and
Ronson, (1998) en reproduisant au laboratoire le transfert horizontal d’une région symbiotique
(environ 500 kb) dans le chromosome de M. loti ICMP3153. Cet élément symbiotique a été intégré
dans le gène phe-tRNA codant une intégrase de la famille du phage P4 avec une séquence entièrement
située à l’extrémité 5’ gauche de l’îlotavec à son extrémité droite (3’), la présence de 17 nucléotides du gène tRNA à l’extrémité droite (3’). Les gènes retrouvés sur un îlot chromosomique chez une
espèce peuvent se retrouver sur le plasmide d’un autre, telle que Rhizobium etli qui a les gènes symbiotiques situés sur un plasmid transferable (Brom et al., 2000). Ensuite, Sullivan et al, (2002) ont
comparé l’îlot symbiotique transférable de la souche M. loti R7A correspondant à 502-kb avec l’îlot
symbiotique transférable de 611-kb de la souche MAFF303099. Ils ont trouvé que la région commune
de l’ADN (414 gènes) contenait tous les gènes requis pour la synthèse du FN, la fixation de l’azote et
le transfert de l’îlot symbiotique.
(c) Comparaison la région symbiotique de M. loti R7A avec celle de Mesorhizobium
MAFF303099:
Kelly et al, (2014) ont séquencé le génome complet de la souche R7A de M. loti. Cette souche a été
isolée de L. corniculatus du site Lammermoor, Otago en Nouvelle-Zélande en 1993 (Sullivan et al.,
1995). R7A (comprenant un chromosome unique codant 6,398 gènes et ne contenant aucun plasmide) est capable de former des symbioses efficaces avec L. tenuis, L. corniculatus, L. japonicus, L. filicaulis
et L. burttii. La souche MAFF303099 quant à elle, contient deux plasmides cryptiques pMLa (351,911
pb) et pMLb (208,315 pb) portant respectivement 320 et 209 gènes codant des protéines (Kaneko et
al., 2000). Chez la souche MAFF303099, un fragment d’ADN sur le chromosome de 611-kb contient
30 gènes codant pour la fixation d’azote, 24 gènes codant pour la nodulation et une séquence du gène
phe-tRNA situé en partie terminale 3’ (Kaneko et al., 2000). En comparant la structure des extrémités
de chaque région symbiotique entre les deux souches MAFF303099 et R7A, la séquence ne s’avère
pas conservée à l’exception de la région située entre le gène phe-tRNA et celui de l’intégrase de type P4 et qui encadrent les gènes symbiotiques. L’îlot de la souche MAFF303099 est 20% plus long que
celui de R7A et la structure de l’îlot symbiotique est différente entre les deux souches (Kaneko et al.,
2000). La région symbiotique de R7A semble transférable contrairement à l’îlot symbiotique de
MAFF303099 qui semble intransférable (Sullivan and Ronson, 1998; Ramsay et al., 2006) car dans
l’îlot symbiotique de MAFF303099 partage les gènes nécessaires pour la synthèse de FN et la fixation de l’azote avec R7A alors que la région des gènes codant pour tRNA et l’enzyme d’intégrase de la
famille P4 n’a pas été conservée entre les deux souches (MAFF303099 et R7A) et l’îlot symbiotique
de MAFF30309 est 20% plus long que celui de R7A (Kaneko et al., 2000; Sullivan et al., 2002). Ramsay et al, (2006) ont trouvé que le transfert horizontal de la région symbiotique des souches de
Mesorhizobium symbiotiques aux souches non-symbiotiques exige les gènes intS (tyrosine
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l’intégration de la région symbiotique dans phe-tRNA, rlxS (msi106, codant pour une enzyme relaxase
putative) et rdfS (ayant un rôle régulateur dans l’expression de la région symbiotique). Le msi109 est
un membre du cluster msi110-msi106, impliqué dans le transfert conjugatif. La divergence entre
MAFF303099 et lesautres souches de M. loti a été expliquée par Wang et al (2014) qui ont comparé
les génomes des souches M. huakuii 7653R, MAFF303099 avec quatre autres génomes de souches de
Mesorhizobium (M. opportunistum WSM2075, M. australicum et M. ciceri sv. biserrulae WSM1271).
Ils ont confirmé que la souche MAFF30309 appartenait à M. huakuii sv loti et ont identifié les différences moléculaires candidates pouvant être responsables de la spécificité des deux souches
envers des plantes hôtes. Toutes les souches de M. huakuii ont un spectre d’hôte étroit et forment des
nodosité fixatrices d’azote seulement avec Astragalus sinicus sauf M. huakuii MAFF303099 qui a un large spectre d’hôte et est capable de noduler plusieurs espèces de lotier dont L. corniculatus et L.
japonicus (Wang et al., 2014).