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Chapitre I. Introduction générale

4. Région d’étude : la Réserve des Nouragues en Guyane française

4.1 Présentation

La Réserve Naturelle des Nouragues, créée en 1995, est située au centre-est de la Guyane et couvre une superficie de plus de 100 000 ha parmi lesquels 9500 sont consacrés à la recherche scientifique (Fig. 8). La station de recherche, installée en 1986 par des chercheurs du CNRS, du MNHN et de l’IRD, et aujourd’hui gérée par le CNRS, comporte deux camps de base implantés chacun à environ 6 km de distance (Charles-Dominique 2001) : le camp Saut Pararé (4°02’ N - 52°41’W), à l’aval des rapides du même nom sur la rivière Arataye, et le camp Inselberg (4°05’ N - 52°41’W), au pied de l’inselberg granitique des Nouragues qui culmine à plus de 430 m.

La réserve n’est plus habitée depuis le début du XVIIIè siècle, lorsque les populations amérindiennes Norak, ou Nouragues – dont la réserve tire son nom – ont commencé à décliner (Grenand 1979). Depuis lors, les seules perturbations humaines ayant eu lieu sont liées à des activités commerciales menées dans la première moitié du XXè siècle, telles que l'orpaillage et l'exploitation du balata (Manilkara bidentata (A.DC.) A.Chev.) et du bois de rose (Aniba rosaeodora Ducke) (http://www.nouragues.fr/histoire/). Ainsi, du fait de l’absence d’occupation humaine continue depuis près de 3 siècles, la réserve de Nouragues est un endroit idéal pour étudier l'impact des anciennes populations amérindiennes sur la forêt.

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Figure 8 : La Réserve et la station de recherche des Nouragues en Guyane française (http://www.nouragues.fr/la-reserve-naturelle-des-nouragues/presentation/les-nouragues/#!prettyPhoto).

4.2 Climat

Le climat guyanais est tropical humide. L’alternance des saisons sèches et humides est régie par les oscillations de la zone intertropicale de convergence (ZIC) : de fin novembre à août, lorsque la ZIC se déplace sur la Guyane, c’est la saison des pluies ; le retour à la saison sèche est marqué par le déplacement de la ZIC vers les petites Antilles au Nord (Grimaldi & Riéra 2001). La saison des pluies est coupée par une petite saison sèche, ou « petit été de mars », qui est dû à une oscillation de la ZIC vers l’équateur (Grimaldi & Riéra 2001). Les précipitations annuelles moyennes sont de 2990 mm et la température moyenne annuelle est de 26.3°C (mesures effectuées entre 1987 et 1996, Grimaldi & Riéra 2001).

4.3 Géologie et pédologie

La station de recherche des Nouragues fait partie du massif des Montagnes Balenfois. Elle repose sur un socle précambrien, formé il y a environ 2 milliards d’années, connu sous le nom de bouclier guyanais (Grimaldi & Riéra 2001). Au sein même des Nouragues, les deux principaux substrats géologiques sont séparés par la crique Nouragues, qui passe au pied de l’inselberg et se situe à l’emplacement d’une faille. Du côté de l’inselberg, le substrat rocheux est composé de granites caraïbes ; de l’autre, il est composé de roches volcaniques des séries Paramaca (Grimaldi & Riéra 2001). Ce socle précambrien très ancien est entrecoupé de dykes de dolérite plus récents (permo-triassiques, soit environ 250 Ma) qui, lorsqu’ils sont traversés par des cours d’eau, sont responsables de la formation de rapides, appelés sauts en Guyane.

32 Les sols sur la série Paramaca, qui supportent une bonne partie des forêts de la station des Nouragues, sont des ferralsols acides, de texture argileuse, riches en nodules ferrugineux et à drainage vertical profond grâce à leur structure micro-agrégée (Grimaldi & Riéra 2001).

4.4 Végétation

En Guyane, la forêt couvre 90% du territoire (Aubréville 1961). Malgré son apparente homogénéité, la forêt guyanaise est constitué d’une multitude d’habitats avec chacun ses espèces dominantes et/ou représentatives (Guitet et al. 2015). Parmi les grands types de végétation des Nouragues sont présentes : les forêts hautes, les forêts basses, les cambrouses dominées par Guadua macrostachya Rupr. ou Lasiacis ligulata Hitchc. & Chase, les forêts de lianes, les pinotières des bas-fonds dominées par le palmier pinot Euterpe oleracea Mart. et les savanes-roches de l’inselberg (Fig. 9). Deux grands massifs forestiers sont distingués aux Nouragues : Saut Pararé et Inselberg. A Saut Pararé, sur 6 ha inventoriés, 46 familles ont été recensées (pour un dbh4 > 10 cm) : la plus représentée est celle des Burseraceae, puis viennent les Meliaceae, Sapotaceae, Lecythidaceae, Myristicaceae et Euphorbiaceae (Poncy et al. 2001). Côté inselberg, sur une surface de 7 ha inventoriés, 58 familles ont été identifiées. La plus représentée est celle des Leguminosae, suivie des Sapotaceae et des Lecythidaceae (pour un dbh > 10 cm, Poncy et al. 2001). Cette différence de composition floristique pourrait être due à divers facteurs, en particulier pédologiques (Sabatier & Prévost 1990).

Figure 9 : deux types de végétation particuliers des Nouragues. À gauche, une cambrouse à Lasiacis côté Saut Pararé ; à droite, une forêt de lianes côté Inselberg (photos S. Bodin).

4.5 Indices d’occupations humaines anciennes

Dès la création de la station de recherche, des indices d’occupation humaine ancienne ont été découverts aux Nouragues. Des tessons de poterie qui se trouvaient à l’emplacement même de la construction des carbets ont été datés de 1000 ans BP (Charles-Dominique 2001). Depuis, des tessons ont aussi été trouvés en de nombreux endroits de la forêt des Nouragues, notamment sur des buttes de déracinement d’arbres. Les charbons de bois sont également présents dans le sol, en quantité plus ou moins abondante selon les endroits. Quand ils sont associés aux fragments de céramique, dans des sols bien plus sombres que ne l’est un ferralsol typique, on pense tout de suite que ces charbons ont

33 pu être produits par des feux anthropiques et que l’on se trouve en présence d’anthrosols, tels ceux connus dans le reste de l’Amazonie. Si on se concentre sur la végétation, on s’aperçoit que la présence de ces sols s’accompagne bien souvent d’une quantité notable de palmiers à fruits comestibles. Ainsi, certaines zones se révèlent particulièrement riches en Astrocaryum paramaca Mart. et A. sciophilum (Miq.) Pulle, en patawas (Oenocarpus bataua Mart.) et en comous (Oenocarpus bacaba Mart.). Certains arbres, rares en forêt, attirent également l’attention par leur simple présence, comme le mombin (Spondias mombin L.), dont les fruits sont toujours très appréciés et qui est un indicateur d’anthropisation (Hoff & Cremers 2005; Balée 2013). Mais certains indices d’occupation humaine ancienne sont encore plus frappants : en Guyane, plusieurs dizaines de montagnes couronnées ont été repérés grâce à l’imagerie LiDAR aéroportée5 (Sabatier et al. 2017). Les montagnes couronnées désignent en Guyane des collines dont le sommet est entouré d’un fossé, et dont l’origine anthropique est certaine (Abonnenc 1952). A partir des images LiDAR, des modèles numériques de terrain sont extraits, ce qui permet de mettre en évidence ces fossés (Fig. 10). Aux Nouragues, deux structures à fossé ont ainsi été détectées : la première est une montagne couronnée à proprement parler, située près du camp Saut Pararé ; la seconde est un fossé circulaire située sur un plateau, près du camp Inselberg. Tous ces indices nous montrent que la forêt « primaire » des Nouragues ne l’est pas réellement : elle a connu par le passé des occupations, des pratiques d’utilisation des terres ou de gestion des ressources végétales. C’est cette coévolution Hommes-milieux qu’étudie l’écologie historique (Balée 1994; 2013; Erickson 2003; 2008). Cette discipline est en plein essor en Amazonie centrale et occidentale, mais le plateau des Guyanes est encore largement ignoré. C’est suite au constat que les forêts de Guyane ont aussi leur part d’histoire anthropique qu’a été monté le projet LongTIme, financé par le LabEx CEBA, qui vise à comprendre l’impact des occupations amérindiennes anciennes sur les forêts de Guyane française. C’est dans le cadre de ce projet multidisciplinaire que s’inscrit cette thèse, où l’anthracologie est chargée d’apporter sa contribution à la compréhension de ces impacts humains anciens.

Figure 10 : sites à fossé aux Nouragues. À gauche, la montagne couronnée près du camp Saut Pararé ; à droite, un fossé ovoïde sur un plateau près du camp Inselberg (J.-F. Molino, IRD/CNES/CEBA).

5 LiDAR : Light Detection And Ranging. Appareil qui émet un faisceau lumineux (laser) et permet d’estimer la distance d’un objet en recevant l’écho du faisceau projeté.

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