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Le régime de la distorsion fiscale de concurrence : fiscalité dérogatoire et avantage

Dans le document Droit fiscal et concurrence (Page 40-42)

Titre I. La concurrence affectée par le droit fiscal

Chapitre 1 Le régime de la distorsion fiscale de concurrence : fiscalité dérogatoire et avantage

Il est entendu que la fiscalité dérogatoire procède certainement d’une volonté

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de moduler la

charge fiscale au bénéfice de certains contribuables, par une renonciation à recettes fiscales

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justifiant le terme de « dépense fiscale »

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.

Une telle modulation n’a rien d’exceptionnel en droit fiscal. L’administration dispose d’une réelle

latitude de suspension

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, d’aggravation

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, d’allègement

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, voire d’amnistie

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de la charge fiscale

89 SULLIVAN M., op. cit., p. 96 : « Tax expenditures are deliberate departures from neutral taxation directed at a

particular group of taxpayers (…) », soit « Les dépenses fiscales constituent une exception volontaire à la neutralité fiscale au bénéfice d’un groupe précis de contribuables » (traduction libre de l’auteur).

Plus exceptionnellement, la fiscalité dérogatoire peut procéder non de la volonté mais d’une omission du pouvoir fiscal. À titre d’exemple, fixe, « par omission, (…) un régime préférentiel que ne justifiait aucune considération

d’intérêt général ou de situation particulière » la loi qui, instaurant une taxe à la production, omet d’imposer les

marchandises sorties du cycle de production et précédemment imposées au titre de la taxe sur les ventes de détail : v. DELVOLVE P., op. cit., p. 40. La dérogation peut également procéder d’une erreur matérielle (sur les résultats d’une codification malheureuse, Ibid. p. 41).

90 « [La] mise en œuvre [de la fiscalité dérogatoire] entraîne pour l’État une perte de recettes et donc, pour les

contribuables, un allègement par rapport à la norme », CASTAGNEDE B., Théorie et pratique des dépenses

fiscales dans le contexte de l’Union européenne, op. cit., p. 219. Selon le Conseil des Prélèvements Obligatoires (Entreprises et « niches » fiscales et sociales, op. cit., p. 11), la notion de « dépense fiscale » est définie comme « les

dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc pour les contribuables, un allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme, c’est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ».

91 Parmi de très nombreuses références, nous retenons JCP F., Fasc. 1161, Cote 04, 2007 ; CASTAGNEDE B., Précis de fiscalité internationale, op. cit., n°45 : « les dépenses fiscales, [s’analysent comme] des dispositions

dérogatoires à la structure de normes logiquement inhérentes à chaque impôt, et qui représentent un coût pour les finances publiques. Par l’offre d’un avantage fiscal est recherché un comportement conforme à l’objectif économique poursuivi. (…) » ; v. également CASTAGNEDE B., Théorie et pratique des dépenses fiscales dans le

contexte de l’Union européenne, op. cit., p. 219 : « [Les mesures nationales qui ont pour objet, ou pour effet, de

modifier ou d’altérer, par le biais d’une modulation de la charge fiscale, le comportement des agents ou les conditions de l’échange économique] (…) correspondent en règle générale à ce que la science des finances contemporaine désigne comme des « dépenses fiscales » ».

92 DELVOLVE P., op. cit., p. 75 : « (…) le pouvoir fiscal ne doit pas être trop rigide. (…) Tantôt il s’agit de

suspendre pendant un temps le paiement de l’impôt ; tantôt le dégrèvement apparaît comme un droit ; tantôt enfin la remise de l’impôt dépend du pouvoir gracieux de l’administration ».

93 DELVOLVE P., op. cit., p. 44 : « la tendance des administrations fiscales à alourdir les impôts par une

interprétation trop sévère des textes législatifs n’est pas nouvelle. On signalait déjà en 1930, « qu’elles s’écartent délibérément des règles d’interprétation du droit fiscal pour chercher notamment à étendre les dispositions à leur profit à restreindre celles favorables aux redevables ». Cette attitude, déjà illégale en elle-même, est encore plus

en considération de la personne du contribuable. De même, l’administration se voit offrir la

possibilité de transiger

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avec le contribuable en vue d’atténuer ses amendes fiscales ou ses

majorations d’impôts non définitives. Devenu définitif, l’impôt peut en outre faire l’objet d’une

remise

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gracieuse par laquelle l’administration adapte à la situation du contribuable

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aussi bien

les modalités de recouvrement que le montant de ses impôts directs (on relève que la crainte

d’introduire des distorsions de concurrence a conduit le législateur à exclure de cette possibilité

les impôts indirects

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).

Ces pratiques administratives discrétionnaires s’analysent comme des atteintes sensibles à la

légalité

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qui peuvent générer « des inégalités fiscales que le législateur n’a pas voulu et que le

juge est impuissant à réprimer »

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. On peut en tirer un premier enseignement : la libre

fâcheuse lorsqu’elle s’applique différemment aux diverses catégories de contribuables que la loi entend placer sous le même régime ».

94 DELVOLVE P., op. cit., p. 44 : « la tolérance administrative n’est pas plus justifiable que la sévérité. Elle conduit

à des inégalités flagrantes. Elle le fait de deux manières : d’une part, des circulaires prévoient des exonérations de manière générale ; d’autre part, le bénéfice de ces instructions n’est pas appliqué à tous ceux qu’elles visent. L’inégalité va ainsi en progressant de l’institution de la circulaire à son application ».

95 Ainsi, au sujet de l’amnistie fiscale accordée par la loi du 14 avril 1952 aux actes ayant fait l’objet de poursuites antérieurement à la loi, « l’ensemble des personnes amnistiées bénéficiant d’une position privilégiée par rapport aux

contribuables qui s’étaient régulièrement acquittés de leurs droits » (DELVOLVE P., op. cit., p. 42).

96 Art. R. 247-1 et svts. LPF.

97 Art. L. 247 LPF. Synthétiquement, au titre de cette disposition, l’administration peut accorder sur demande du contribuable des remises totales ou partielles d’impôts directs régulièrement établis, lorsque le contribuable est dans l’impossibilité de payer par suite de gêne ou d’indigence. Elle peut également accorder des remises totales ou partielles d’amendes fiscales ou de majorations d’impôts lorsque ces pénalités et les impositions auxquelles elles s’ajoutent sont définitives.

98 Pour les entreprises, le fonds de roulement négatif ou un mauvais ratio de liquidité peuvent constituer des arguments en faveur d’une remise.

99 La loi du 27 décembre 1963 prohibe toute remise sur les impôts indirects : « aucune autorité publique ne peut

accorder de remise ou modération des droits d’enregistrement et de timbre, des taxes sur le chiffre d’affaires, des contributions indirectes et des taxes assimilées à ces droits, taxes et contributions (…) Ces impôts étant incorporés dans le prix des biens et des services sur lesquels ils portent, le législateur n’a pas voulu qu’une exonération puisse entraver la concurrence (…) » (DELVOLVE P., op. cit., p. 80).

100 COLLET M., Droit Fiscal, op. cit., spéc. n°9.

101 GAUDEMET P.-M., Réflexions sur le principe d’égalité devant les charges publiques, in Mélanges en l’honneur de Michel Stassinopoulos, L.G.D.J., 1974, 597 p., spéc. p. 339.

concurrence s’accommode mal de régimes de faveur arbitraires faisant varier la charge fiscale

d’un opérateur à un autre.

La fiscalité dérogatoire dépasse cependant ces simples pratiques administratives, pour définir des

traitements de faveur reposant sur des critères explicites. L’étude de ces critères du traitement de

faveur devrait permettre de caractériser techniquement la distorsion fiscale de concurrence.

À cette fin, prenant acte de ce que « (…) dans notre système d’impôts le sujet fiscal tient une

place aussi importante que l’objet de l’impôt et (…) leur définition réciproque crée une relation

qui est déterminante pour le calcul des cotisations dues »

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, et dans le droit fil des distinctions

doctrinales

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, il est proposé de distinguer les différenciations fiscales reposant sur des critères

ratione personae, avantageant certains opérateurs, de celles, ratione materiae, avantageant une

activité économique donnée.

Section 1. Distorsions de concurrence et personne du

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