élective et une personnalisation des pouvoirs à tous les échelons
insti-tutionnels et territoriaux, 36 000 communes, une multitude de syndicats
inter-institutions et d’échelons territoriaux plus ou moins en concurrence. . .
Le mouvement de réduction des capacités des administrations afin de
« réduire les dépenses publiques » sans se préoccuper de ce que doit être
une « bonne administration » a cependant traversé tous les pays de l’OCDE,
et notamment le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, etc., sans que
les bilans soient réellement probants. Quelques années après les coupes
dans les dépenses et les effectifs des agents, ceux-ci avaient retrouvé les
étiages précédents, les dysfonctionnements engendrés s’étant révélés
in-supportables. Aujourd’hui, notamment sous la pression communautaire,
tous les pays de l’UE sont confrontés à ces politiques, ceux de l’Ouest pour
satisfaire aux nouveaux dogmes de la « bonne gouvernance », comme ceux
de l’Est, qui doivent en plus satisfaire aux critères administratifs de l’UE et
sont toujours en transition du point de vue institutionnel et de l’organisation
de leur administration.
L’UE est elle-même engagée dans un processus « mieux légiférer » (better
regulation), qui vise à réduire d’au moins 20 % le nombre de textes législatifs
et réglementaires communautaires. Plusieurs dizaines de règlements et
directives communautaires considérés obsolètes ou inutiles ont ainsi été
abrogés. Des projets ont été retirés par la Commission, dont les projets
de statut d’associations et de mutuelles européennes pourtant réclamés
par les intéressés. Dans le cadre de ce processus, les États membres se
sont également engagés à supprimer une partie de leur législation et
rè-glementation (au moins 20 % supplémentaires pour la France). À noter
que ces suppressions portent toutes sur les domaines économique et
com-mercial, les réglementations étant considérées comme des entraves à la
réalisation du marché intérieur. Par ailleurs, la directive services, adoptée
en décembre 2007 afin de faciliter la libre circulation des services sur tout
le territoire de l’UE, implique la suppression de toutes les autorisations,
mandatements ou agréments nationaux inutiles ou redondants par rapport
à la réglementation d’un autre pays membre. Une évaluation mutuelle
(screening) des 27 États sous l’égide de la Commission européenne examine
toutes ces autorisations (plus de 4 000 pour la France) pour en réduire
le nombre, seules celles justifiées pour des « raisons impérieuses d’intérêt
général » peuvent subsister. Enfin l’UE encourage la dématérialisation des
actes administratifs, ce qui conduit souvent pour les usagers à une
déshu-manisation de l’administration comme le souligne le médiateur en France
dans ses rapports de 2009 et 2010. Cependant la Charte des droits
fonda-mentaux de l’UE introduite dans les traités reconnaît (article 41) un droit à
une bonne administration et les textes communautaires (Communication
sur la gouvernance. . .) recommandent un traitement impartial et équitable,
le droit d’être entendu par les administrations, l’accès aux dossiers,
l’obliga-tion pour les administral’obliga-tions de motiver leurs décisions, le droit à réparal’obliga-tion
et le droit de s’adresser et de recevoir une réponse dans sa langue.
2.8. Questionnement
1. Ces réformes laissent entrevoir une grande cohérence vers une
trans-formation de l’administration pour satisfaire aux objectifs des politiques
libérales de baisse des prélèvements publics et de résorption des déficits
publics sous la pression de l’industrie financière et des dogmes néolibéraux.
Mais elles donnent également un sentiment de bricolage, résultat pour une
part des rapports de force politiques et sociaux, qui permettent de penser
qu’il s’agit d’une étape dans un long processus d’adaptation inachevé, dans
lequel les échelons institutionnels et territoriaux de l’UE à la commune
forment une chaîne administrative imbriquée et interdépendante. Une part
essentielle de la législation est élaborée en commun au niveau
commu-nautaire (environnement, transports, marché intérieur et politique de la
concurrence, fonds structurels et investissements dans les infrastructures,
politique agricole, réglementation sur les services publics, etc.) ; l’État au
niveau national transpose cette réglementation dans le droit national et est
chargé de la faire appliquer sur son territoire et, le plus souvent, ce sont les
collectivités territoriales qui concrètement la mettent en œuvre.
2. Les réformes s’accompagnent d’une caporalisation dans le
fonctionne-ment quotidien des administrations. Seuls les « chefs » ont le droit de
s’expri-mer en réunion et les « super-chefs » en public, toute dérive est sanctionnée.
Les nouvelles méthodes de management fondées sur la performance
indivi-duelle centrée sur un entretien individuel avec le « supérieur hiérarchique »
se traduisent pas un contrat avec des objectifs à atteindre, acceptés par
l’agent sans liberté de choix réel et le plus souvent sans rapport avec la
réalité des situations. Les nominations aux postes de responsabilités se font
de plus en plus fréquemment sur des bases politiques ou de connivence.
Comme pour toute bureaucratie, la déconnexion s’accentue, y compris dans
les rémunérations, entre la masse des agents et un encadrement de plus
en plus incompétent sur les tâches administratives concrètes et de plus en
plus enfermé dans le formalisme pour affirmer sa position hiérarchique.
Le système tourne encore par les réseaux internes que les agents ont su
créer et par une série de transgressions, d’arrangements plus ou moins
cachés avec les consignes hiérarchiques. La force d’inertie du statut de la
Fonction publique se fait ici sentir positivement, mais pour combien de
temps encore en raison des changements de génération et des idéologies
développées dans les écoles et les réseaux de formation des agents des
fonctions publiques et du moindre investissement qui en découle sur la
notion de service public ?
3. Les contradictions entre les diverses réformes, décidées en des temps
différents sans débat réel avec les parties intéressées – personnels des
fonctions publiques et leurs syndicats, élus et leurs associations,
associa-tions d’usagers et société civile – sont importantes et se concentrent sur
les services de bout de chaîne. Entre les objectifs de la LOLF d’efficience,
d’évaluation de la dépense publique et de responsabilisation des agents, les
effets de la RGPP de diminution aveugle des effectifs qui ignore et casse la
logique des missions, de la REATE qui vise à des économies budgétaires et la
caporalisation déresponsabilisante du management, les sources de malaise
parmi les agents sont nombreuses. Le fait que les réorganisations aient
été engagées par l’élaboration d’organigrammes sans préoccupation ni des
questions de gestion des personnels ni des missions a créé des situations de
disparités dans les rémunérations et les statuts des agents, que la hiérarchie
au plus haut niveau ne sait pas résoudre actuellement et qui sont accentuées
par les modifications statutaires (fusion des corps, développement de la
précarité, disparités dans les montants des primes dans un même bureau
en fonction de l’origine administrative de l’agent. . .)
4. Il faut également se demander si, et dans quelle mesure, la
désorganisa-tion et le désordre qui découlent de toutes ces réformes ne sont pas aussi des
moyens de conserver ou de reprendre le pouvoir, de conformer la hiérarchie
administrative aux ambitions politiques de l’exécutif, de recréer de la
dis-tance et réintroduire le sens de la hiérarchie en termes de commandement.
5. La création de services interministériels au niveau départemental pose
une série de questions que seule l’expérience permettra de trancher.
L’unité de l’État sur le territoire départemental est mieux affirmée par
une parole unique, celle du préfet (hors finances et rectorat). Les agents
servent l’État dans sa globalité et moins leur ministère d’origine. Les modes
de travail et d’intervention en sont profondément modifiés, les agents
deviennent « polyvalents », leurs savoir et savoir-faire de métier (ingénieurs,
techniciens, spécialistes. . .) s’estompent devant des tâches plus strictement
administratives et prescriptives ou tournées vers la communication sur les
politiques gouvernementales. L’État n’est plus un opérateur local comme
c’était le cas avec les grandes directions ministérielles sectorielles telles les
directions départementales de l’équipement, de l’agriculture ou des affaires
sociales par exemple. Ce sont les collectivités territoriales, le conseil général
ou les communes avec leurs regroupements qui souvent par délégation
transférée par la loi, donc sans choix possible, exécutent ces tâches ; une
forme d’externalisation des productions en quelque sorte, ce qui explique
pour partie la réforme des collectivités territoriales. Il est également légitime
de s’interroger dans ces conditions sur les relations des services de l’État
avec les populations, qui ont de plus en plus un caractère répressif, de
maintien de l’ordre public et de la justice à une époque où les technologies
de communication renvoient souvent l’usager de tous les services publics à
des répondeurs automatiques (taper 1, taper 2 . . .) ou à Internet, faisant ainsi
de lui son propre producteur des services qu’il sollicite.
6. Il convient de mieux prendre en compte l’importance de l’administration
dans la gouvernance d’un pays. La crise grecque a certes des causes
multiples, mais le fait que l’administration ne soit pas en capacité de récolter
l’impôt, qu’elle soit pléthorique par suite des politiques démagogiques des
différents gouvernements et pour partie corrompue n’est pas étranger aux
difficultés que rencontre le pays. Dans un pays comme la France où l’emploi
public représente plus de 5 millions de personnes et le cinquième des
emplois, son impact économique est d’évidence très important ; l’économie
de certaines villes dans les départements peu peuplés en dépend pour
l’essentiel, l’hôpital est dans bien des cas le premier employeur de la ville.
Son poids sociologique est également très grand : les agents des fonctions
publiques participent pleinement au tissu social sur tout le territoire
national, chaque famille comprend à un titre ou à un autre au moins
un agent public dans ses rangs. Les agents des services publics forment
l’ossature des pompiers volontaires, participent à la vie associative. Parce
que le statut de la fonction publique assure encore une certaine sécurité de
l’emploi, il reste une référence et un des ciments de la société. Il n’est qu’à
voir son attractivité auprès des jeunes générations. Enfin l’administration
n’est pas qu’une charge, qu’une dépense contrairement aux affirmations
de la théorie néolibérale mais est créatrice aussi de richesses économiques
comme de démontrent les estimations de l’INSEE mentionnées plus haut ;
elle est créatrice également de richesses culturelles, de lien social, de
cohésion territoriale, que les décomptes du PIB ne prennent pas en compte.
7. À l’exception de la diminution des effectifs des personnels dans certains
secteurs comme l’Éducation nationale ou la santé attribuée à la RGPP,
la réforme de l’appareil de l’État se fait dans une relative indifférence,
sans grande mobilisation médiatique et sans débat avec les citoyens.
Pourtant, les conséquences en sont considérables puisque c’est la gestion
de tous les services publics locaux et sociaux qui est modifiée, c’est le tissu
institutionnel du pays ainsi que les rapports des citoyens à la démocratie
locale que change la réforme des collectivités territoriales.
8. L’ensemble de ces réformes segmente le territoire national (voir De Legge,
2011), les inégalités et les disparités territoriales s’en trouvent accentuées
à tous les échelons, national, régional, départemental, agglomération et
communal. La gentrification et l’enfermement sur soi se développent, la
question dite « des banlieues », en fait des quartiers pauvres, s’accentue
no-tamment, car les services publics en disparaissent (voirinfrala contribution
de Hugues Jennequin).
9. Une double démocratisation s’impose pour rompre avec ce processus
régressif. L’administration française n’a jamais été un modèle de démocratie,
ni en interne ni envers la société dont elle a la charge. La démocratisation
Dans le document
L'action publique dans la crise.
Vers un renouveau en France et en Europe ?
(Page 92-96)