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Les rédacteurs du Code civil définirent la société comme « un contrat par lequel deux

Dans le document Le prix dans les cessions de droits sociaux (Page 86-116)

LA PROHIBITION DES CLAUSES LEONINES

CHAPITRE 2 : LA LICEITE CONTESTABLE

99. Les rédacteurs du Code civil définirent la société comme « un contrat par lequel deux

ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun dans la vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter »4. Ils en ont déduit qu‟elle devait recevoir « l’application de tous les principes qui règlent les effets communs à cette sorte

d’engagement »5

. Le contrat de société doit ainsi reposer sur l‟équité - elle est la base de tous les contrats6 -, et sur la bonne foi7.

100. Ces exigences ont une portée particulière dans le contrat de société. La société est constituée dans l‟intérêt commun des parties8

. Treihlard exposa: « c’est là la première règle,

la règle fondamentale de toute société », et ajouta « qu’il est contre la nature qu’une société de plusieurs, de quelque espèce qu’on la suppose, se forme pour le seul intérêt d’une des parties ». Ainsi, « si la société n’était formée que pour l’intérêt d’un seul, la bonne foi ne serait-elle pas étrangement violée ? Il faut donc s’unir pour l’intérêt commun des parties qui contractent »9. L‟intérêt commun s‟oppose ainsi à « l’intérêt d’un seul ». Il ne pourrait y avoir entre les parties à un tel contrat de société « aucun traité, parce qu’il ne peut exister ni

liberté, ni consentement ». En effet, «la société est un contrat consensuel, et la loi ne peut voir de consentement véritable dans un contrat de société dont un seul recueillerait tout le profit, et dont l’intérêt commun des parties ne serait pas la base »10

.

De ces principes résultèrent la prohibition des clauses privant un ou plusieurs associés des bénéfices, ou exonérant un ou plusieurs associés des pertes.

4 Article 1832 du Code civil dans sa rédaction initiale. Soulignant que les rédacteurs du Code civil ont perçu la

société comme un contrat, v. par exemple COZIAN (M.),VIANDIER (A.), DEBOISSY (F.), op. cit.,n° 14, p. 4.

5FENET (P.-A.), Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 14, p. 419. 6FENET (P.-A.), op. cit., t. 13, p. 96.

7

V. notamment Treihlard, Présentation au Corps Législatif, et Exposé des motifs, inFENET (P.-A.), op. cit., t. 14,

p. 395.

8 L‟article 1833 du Code civil, dans sa rédaction initiale, disposait : « Toute société doit avoir un objet licite et

être contractée dans l’intérêt commun des parties» 9

Treihlard, Présentation au Corps Législatif, et Exposé des motifs, inFENET (P.-A.), op. cit., t. 14, p. 395.

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101. La recherche de l‟intérêt commun interdit, en premier lieu, que les parties conviennent qu‟un seul associé recueillera tous les bénéfices de la société.

La clause qui priverait un associé de sa participation aux bénéfices était déjà interdite en droit romain, comme contraire au jus fraternitatis11. Pothier écrivait de même : « il est de l’essence

du contrat de société que les parties se proposent par le contrat, de faire un gain ou un profit ». Une convention attribuant la totalité des bénéfices à l‟un des associés serait « nulle, comme manifestement injuste »12.

Les principes, définis par les rédacteurs du Code civil comme régissant le contrat de société, les conduisirent à maintenir cette prohibition. Le contrat étant conclu dans l‟intérêt commun des associés, tous doivent en partager les fruits, à savoir les bénéfices13. L‟espoir de ce partage est en effet « la vue intentionnelle qui dirige ce contrat »14. Le contrat de société aux termes duquel un associé ne participerait pas aux bénéfices ne permettrait pas à cet associé d‟atteindre l‟objectif pour lequel il s‟est engagé, et ne serait ainsi pas conclu dans l‟intérêt de celui-ci.

Mais la recherche de l‟intérêt commun n‟implique pas nécessairement que la part que chacun percevra des bénéfices soit égale ou strictement proportionnelle à ses apports. La répartition doit être équitable15. Les associés peuvent ainsi rompre partiellement l‟égalité, si cette rupture est fondée « sur une mise ou plus forte, ou sur des risques plus grands, ou sur de plus

éminents services, ou sur toute autre cause légitime en faveur de celui qui est le plus avantagé »16 . Il leur appartient à cet égardd‟apprécier l‟importance des apports respectifs : ils sont les meilleurs juges du maintien de l‟équité au sein de la société17. Aussi l‟article 1853 du Code civil dans sa rédaction initiale prévoyait-il que la part de chaque associé dans les bénéfices ou dans les pertes était déterminée par l‟acte de société et qu‟elle n‟était, qu‟à défaut de détermination, « en proportion de sa mise dans le fonds de la société ».

11

Dig. 17, 2 fr. 29, §2

12POTHIER (R.-J.), Oeuvres complètes, par M. Siffrein, 2ème éd., 1821, t.7, Traité du contrat de société,n° 12.

13 V. la présentation au Corps Législatif et l‟exposé des motifs de Treihlard, préc., inFENET (P.-A.), op. cit., t. 14,

p. 395.

14 Discussion devant le Corps Législatif, Discours Prononcé par le Tribun Gillet, inFENET (P.-A.), op. cit., t. 14,

p. 418.

15 Treihlard dit ainsi (FENET (P.-A.), op. cit., t. 14, p. 398) : « il faut une proportion équitable entre la mise et le

profit de chaque associé ». 16

Ibid.

17 Le tribun Bouteville disait ainsi : « Il est évident que ceux qui forment une société sont les seuls qui puissent

bien connaître et justement apprécier ce que chacun d’eux y apporte en valeurs réelles, mais surtout en industrie, en zèle, en talents, en activité, en courage ». (FENET (P.-A), op. cit., p. 410). Et Treihlard affirmait : « la mesure de leur engagement [celui des associés] est celui dont il leur a plu de convenir » (Exposé des

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75 102. La recherche de l‟intérêt commun interdit encore que l‟un ou plusieurs des associés soient exonérés de contribution aux pertes.

Cette solution était, lorsqu‟elle fut adoptée, de droit nouveau18. Le droit romain admettait que les associés conviennent que l‟un d‟eux ne supporterait pas les pertes19. Il justifiait cette solution par le fait qu‟il y a « des hommes dont l’industrie est si précieuse dans la société,

qu’il est juste en les y admettant de leur faire des conditions plus avantageuses »20

. L‟ancien droit admettait de même la validité de la clause exonérant un associé des pertes21. Domat observa que toute société où l‟un des associés percevrait tous les bénéfices, mais ne contribuerait pas aux pertes, serait illicite, comme blessant l‟équité et la bonne foi22. Il exposa toutefois également que « la considération des différentes contributions des associés peut

rendre juste la convention qui donne à l’un des associés une part du gain, et le décharge de toute perte, à cause, par exemple de l’utilité de son crédit, de sa faveur, de son industrie…»23. Pothier admit encore qu‟un associé qui « a apporté en son particulier quelque avantage à la

société » ne supporte pas les pertes. Ainsi de l‟associé qui, dans un commerce de tonneaux,

se charge seul de la garantie du vice de fût24.

Les rédacteurs du Code ont, au contraire, estimé que la bonne foi, qui doit régir les relations entre les associés, et la nature de l‟acte, impliquent que ceux-ci assument une part des pertes si la société ne prospère pas.L‟intention des associés est, si la société ne réalise pas de bénéfices, de ne pas supporter seuls les risques et les charges inhérents à l‟exploitation. Ils entendent, dans ce cas, partager les pertes. Portalis estimait ainsi que la prétention d‟un associé, qui voudrait partager les bénéfices sans partager les risques, serait « révoltante », et

18LYON-CAEN (C.)et RENAULT (L.), Traité de droit commercial, t. 2nd, 1ère partie, L.G.D.J., 4ème éd., 1908, n° 40, p. 43.

19

PIC (P.), Traité général théorique et pratique de droit commercial, des sociétés commerciales, T. 1, Rousseau,

2ème éd., 1925, n° 46, p. 50 ; LYON-CAEN (C.)et RENAULT (L.),op. et loc. cit ; BAUDRY-LACANTINERIE (G.) ET

WAHL (A.),Traité théorique et pratique de droit civil,De la société, du prêt, du dépôt, Sirey, 1898, n° 275, p.

160 ; v. Dig. 17, 2 fr. 29, §1. 20

Inst. III, 26, 2. Les Institutes ne précisent toutefois pas si seul l‟associé qui apporte son industrie peut être

exonéré des pertes, ou si tout associé peut l‟être, l‟exonération demeurant cependant justifiée par l‟intérêt d‟avoir pour associé une certaine personne. Les exemples donnés par cet ouvrage, et l‟absence de restriction à la portée de la règle ainsi définie, incitent à admettre la seconde solution.

21LYON-CAEN (C.)et RENAULT (L.),op. et loc. cit. ; PIC (P.), op. et loc. cit ; BAUDRY-LACANTINERIE (G.) ET

WAHL (A.),op. et loc. cit.

22DOMAT (J.), Les lois civiles dans leur ordre naturel, in Œuvres de J. Domat, par M. CARRE, t. 2, 1821,n° 10, p. 178.

23

DOMAT (J.), op. cit., n° 9, p. 178. Pic (PIC (P.), op. cit.,n° 46, p. 51, note 1), estime toutefois qu‟on peut se demander si Domat ne songeait pas essentiellement à l‟apporteur en industrie, qui, même en droit actuel, peut être affranchi des pertes en ce sens qu‟il n‟aura pas à contribuer au paiement des dettes, et ne perdra que le fruit de son travail. Les termes employés par Domat, qui envisage l‟industrie ou les peines, mais également le « crédit » ou la « faveur » de l‟associé, semblent cependant militer pour une interprétation plus large.

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qu‟il « ne faut pas chercher hors d’un tel pacte une iniquité consommée par la lettre même de

ce pacte »25. Et Treihlard expose que « toute clause qui tendrait à jeter sur l’un toutes les

charges et à gratifier l’autre de tous les bénéfices se trouvait en opposition manifeste avec la bonne foi et la nature de l’acte »26. Certes, chaque associé, s‟il a pour « vue intentionnelle » de partager les bénéfices ne cherche pas, sauf exception27, à contribuer aux pertes. La contribution aux pertes n‟est ainsi que la condition du contrat de société28

. Mais elle en est une condition nécessaire. L‟intérêt commun implique que tous risquent de perdre leur mise. Le risque de contribution aux pertes constitue, pour les rédacteurs du Code civil, la contrepartie de la chance de participer aux bénéfices29 : l‟équité et la bonne foi impliquent que l‟associé qui entend participer aux bénéfices contribue également aux pertes30

.

Ainsi, alors que la prohibition des clauses privant un associé des bénéfices est demeurée identique dans le Code civil à ce qu‟elle était dans l‟Ancien droit et en Droit romain, la portée de la prohibition des clauses exonérant un associé des pertes a été élargie. Les rédacteurs du Code ont considéré que seul l‟associé dont la mise serait uniquement en industrie pourrait être exonéré de contribution aux pertes31.

103. Ces fondements n‟ont, par la suite, pas été modifiés.

25Discours Préliminaire sur le projet de code civil, in FENET (P.-A.), op. cit., t. 1, p. 510. 26FENET (P.-A.), op. cit., t. 14, p. 398.

27 Certaines formes de sociétés, « fiscalement transparentes », permettent aux associés d‟imputer sur leurs

revenus les pertes enregistrées par la société. Ainsi, des contribuables, en créant une société qui supporte des charges leur incombant normalement –par exemple les charges d‟entretien d‟une maison-, réalisent une économie en déduisant les déficits de la société de leurs revenus, ce qu‟ils n‟auraient pu faire que partiellement s‟ils n‟avaient pas créé de société.

28 C‟est la raison pour laquelle elle ne fut pas intégrée initialement dans la définition de la société. Gillet et

Bouteville l‟indiquèrent clairement lors des travaux préparatoires. Bouteville dit ainsi : « on peut observer

qu’elles (les parties) doivent aussi en supporter les pertes; mais comme très certainement elles ont principalement en vue d’obtenir des bénéfices, il serait difficile de ne pas trouver la définition [qui omet les pertes] exacte » (Rapport au Tribunat, FENET (P.-A.), op. cit., t. 14, p. 405). Gillet ajouta « Jusqu’ici, la

définition (de la société) avait été moins précise. Les écrivains en jurisprudence y avaient ajouté parmi les objets de la société la communication des pertes. Il a paru au Tribunat que le projet proposé était plus exact, lorsqu’il considérait cette communication comme une simple condition du contrat, et non pas comme son but. »

(Discours au Corps Législatif, FENET (P.-A.), op. cit., t. 14, p. 419). Le tribun Gillet faisait référence notamment

à Domat, qui estimait que les associés entraient en société « pour partager tout ce qu’ils pourront avoir de gain

ou souffrir de perte » (Les lois civiles dans leur ordre naturel, op. cit., t. 2, n° 1, p. 173). Le fait que la

participation aux pertes participe du but des parties n‟empêchait toutefois pas ce dernier auteur d‟admettre qu‟elles puissent s‟exonérer des pertes.

29

V. en ce sens le rapport présenté par M. Foyer à l‟Assemblée Nationale dans le cadre des travaux préparatoires de la loi du 4 janvier 1978 (JO AN, n° 1645, p. 4).

30 On pourrait soutenir qu‟en conséquence, une clause exonérant un associé des pertes ne serait pas léonine si ce

même associé est privé des bénéfices. Mais alors la convention serait nulle, ou ne pourrait valoir comme contrat de société, en ce qu‟elle prive l‟associé des bénéfices.

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77 B – La persistance du fondement contractuel de la prohibition des clauses

léonines

104. La vision uniquement contractuelle de la société a été remise en cause. Sans prétendre trancher le débat entre la nature contractuelle et la nature institutionnelle de la société, on peut remarquer qu‟il est aujourd‟hui généralement admis que les sociétés dotées de la personnalité morale, si elles sont fondées par un contrat et demeurent à certains égards un contrat après l‟acquisition de la personnalité morale, ne sont pas qu‟un contrat32

. Pour rejeter une analyse uniquement contractuelle de la société, on fait notamment valoir qu‟une telle analyse n‟explique pas l‟acquisition de la personnalité morale, qui résulte de l‟accomplissement d‟une formalité administrative33. Acte juridique et personnalité morale doivent ainsi être dissociés. Le premier peut exister indépendamment de la seconde, soit lorsque la société n‟a pas vocation à être immatriculée, soit avant qu‟elle ne le soit34

. Réciproquement, la personnalité morale subsiste pour les besoins de la liquidation après la dissolution de la société, alors que cette dissolution met fin au contrat de société35.

On a par ailleurs soutenu que la qualité d‟associé ne se confondait pas avec celle de partie au contrat de société36. Tous les associés ne seraient ainsi pas nécessairement parties au contrat de société.

Ces évolutions de l‟appréhension des notions de société et d‟associé n‟ont toutefois pas conduit à une remise en cause du fondement de la prohibition des clauses léonines.

32

En ce sens : BERTREL (J.-P.), Le débat sur la nature de la société, in Droit et vie des affaires, Etudes à la

mémoire d’Alain Sayag, Litec, 1997, p. 131, spéc. p. 142 ; BERTREL (J.-P.), Liberté contractuelle et société,

RTD com. 1996.595, n° 39, p. 619 et les auteurs cités ; CHAMPAUD (C.), Le contrat de société existe-t-il encore,

art. préc., p. 133 ; MAY (J.-CL.), La société : contrat ou institution,inContrat ou institution : un enjeu de société,

L.G.D.J., 2004, p. 122, spéc. p. 142 ; V. par exemple MERLE (P.), op. cit., n° 23, p. 39 ; MERCADAL (B.)etJANIN

(PH.),op. cit.,n° 53, p. 16 ; adde MASSART (T.),Rép. sociétés Dalloz, V° Société (Contrat de), préc., n° 130, p.

37 ; V. cependant BERGERAC (M.) et BERNARD (A.), Fantaisie à deux voix, D. 2000, chr. 315, spéc. p. 320, qui

affirment que la société anonyme est une institution Un auteur a soutenu que la société n‟était pas un contrat

mais un acte collectif (ROUJOU DE BOUBEE (G), Essai sur l’acte juridique collectif,préf. G. Marty,Bibl. dr. priv.,

t. 27,L.G.D.J.,1961, spéc. p. 67). La différence résiderait dans le fait que les intérêts des associés ne seraient

pas antagonistes. Les volontés tendraient au même but, ce qui exclurait l‟analyse en termes de contrat (Ibid.). Une telle analyse est cependant critiquable en ce qu‟elle introduit dans l‟analyse de la convention un élément qui

ne s‟y trouve pas : l‟antagonisme des parties (MASSART (T.),Rép. sociétés Dalloz, V° Société (Contrat de), fasc.

préc., n° 124, p. 35). En tout état de cause, elle n‟a guère d‟influence sur les présents développements, qui tendent à montrer que l‟ensemble des règles régissant les sociétés ne peut être justifié par la rencontre des volontés des associés, que celle-ci intervienne sous la forme d‟un contrat ou d‟un acte collectif. La distinction a d‟autant moins d‟intérêt dans le cadre des présents développements que le régime des actes unilatéraux n‟est pas

vraiment différent de celui des contrats (MASSART (T.), eod. loc.).

33BERTREL (J.-P.), Liberté contractuelle et société,art. préc., n° 29, p. 612 ; MERLE (P.), op. cit., n° 21, p. 38. 34

COZIAN (M.),VIANDIER (A.), DEBOISSY (F.), op. cit.,n° 14, p. 4. 35

Ibid.

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105. Le fondement contractuel a ainsi prévalu tant que le caractère contractuel de la société n‟était pas remis en cause37

. De ce que les sociétés constituent un contrat, résulte, pour les auteurs du XIXème siècle, la nécessité de la participation aux résultats de chaque associé38. Pont, citant Pothier, fait valoir qu‟il est de l‟essence du contrat de société que les parties partagent le bénéfice, et en déduit qu‟on ne conçoit pas une société où tous n‟auraient pas part aux bénéfices39. Rappelant que les clauses léonines sont prohibées, Bédarride précise de même qu‟une telle clause ferait de la société « le plus inique des contrats »40

. Rousseau estime encore que la convention qui donnerait à l‟un des associés la totalité des bénéfices « délie absolument le contrat de société »41, de même que celle qui exonèrerait des pertes un associé42.

On retrouve encore ce fondement chez les auteurs, qui n‟ont pas fait mention du débat naissant sur la nature contractuelle ou institutionnelle de la société, et qui ont continué à la définir comme un contrat sans évoquer ni a fortiori justifier le rejet de la thèse inverse. Pic fait par exemple valoir, dans la présentation des règles applicables à l‟ensemble des sociétés, que les clauses privant un associé des bénéfices ou l‟exonérant des pertes ne tendent qu‟à « transformer dans son essence le caractère de la société, et à substituer à un contrat basé

sur la coopération de tous en vue d’un enrichissement commun un pacte léonin »43

.

37 L‟approche institutionnelle de la société a vu le jour a la fin du XIXème siècle (en ce sens : COZIAN (M.),

VIANDIER (A.), DEBOISSY (F.), op. cit.,n° 113, p. 53 ; LE CANNU (P.), op. cit., n° 137, p. 68). Mais elle n‟a été

réellement développée qu‟à la suite des travaux de Hauriou (En ce sens, PORTEMER (J.), Du contrat à

l‟institution, JCP 1947.586 ; v. notamment HAURIOU (M.), La théorie de l‟institution et de la fondation, in

Cahiers de la nouvelle journée, Aux sources du droit, Le pouvoir, l’ordre et la liberté, Lib. Bloud et Gay, 1933,

p. 89s.). 38

V. par exemple TROPLONG (R.-T.), Du contrat de société,op. cit., n° 11, p. 17 et n° 647, p. 118 ; GUILLOUARD

(L.), Traité du contrat de société, Durand et Pédone Lauriel, 1891, n° 78, p. 120 ; BRAVARD-VEYRIERES (P.) et

DEMANGEAT (C.), Traité de droit commercial, Chevalier-Marescq et Cie, 2nde éd., t. 1, 1890, p. 171. 39

PONT (P.),Explication théorique et pratique du Code civil, op. cit., 2ème éd., n° 437, p. 319 , et n° 3s., p. 6s.

pour la définition de la société comme un contrat.

40BEDARRIDE (J.), Droit commercial, Commentaire du Code de commerce, Livre I Titre III, Des sociétés, t. 1, Durand, 1857, n° 35, p. 46 et n° 6, p. 12 pour la définition de la société comme un contrat.

41

ROUSSEAU (R.), Des sociétés commerciales françaises et étrangères, t. 1, Rousseau, 1902, n° 167, p. 51, et

pour la définition de la société comme un contrat, n° 8, p. 5 ; V. encore DELANGLE (M.), Des sociétés

commerciales, t. 1, Paris, 1843, n° 111, p. 124 et n° 2, p. 14 pour la définition de la société ; VAVASSEUR

(M.),Traité pratique et formulaire des sociétés civiles et commerciales,Cosse, Marchal, et Cie, 1869, n° 128, p. 40.

42

ROUSSEAU (R.), op. cit., n° 188, p. 55.

43PIC (P.), op. cit., n° 42, p. 46. V. également COPPER ROYER (J.),Traité théorique et pratique des sociétés

anonymes, t. 1, Dalloz, 3ème éd., 1925, n° 17, p. 163 ; moins clairement WAHL (A.),op. cit.n° 465s., p. 151s., qui ne rattache pas explicitement la prohibition des clauses léonines au caractère contractuel de la société, mais qui estime que la société est un contrat (notamment n° 465, p. 152), et que la clause léonine exclut la qualification de société.

La licéité contestable

79 106. Le fondement n‟a pas davantage été contesté après qu‟on a commencé à douter du caractère uniquement contractuel de la société ou de la qualité de partie au contrat de société de tous les associés.

Le législateur s‟est en effet borné, lorsqu‟il a adopté les dispositions de l‟article 1844-1 du Code civil, à reprendre les dispositions de l‟article 1855 du Code civil tel qu‟il avait été rédigé par les rédacteurs de ce code44. La prohibition demeureainsi fondée sur les raisons qui ont justifié son insertion dans le Code civil45. Elle résulte de la nature contractuelle de la société46. La participation aux bénéfices et la contribution aux pertes sont considérées comme des caractéristiques de l‟acte juridique qui donne naissance à la société47

. La vocation aux résultats est de « l’essence même du contrat de société »48.Adoptant une approche classique de la notion d‟associé, selon laquelle l‟associé est la partie au contrat de société49

, le législateur en a déduit que tous les associés devaient avoir vocation aux résultats sociaux.

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