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La réception comme une praxis : la « redécouverte » du public

2. Les approches théoriques de la réception

2.2. La réception comme une praxis : la « redécouverte » du public

Il est pertinent ici de distinguer ce que les théories de la réception désignent sous ce terme et une probable identification de celui-ci avec le faire interprétatif tel qu’il est traité en sémiotique. Nous croyons que les reproches faits à la sémiotique sont souvent dus au sens donné à ces termes. Les limites de l’acte interprétatif traité quand on parle de réception ayant été peu – ou pas - précisées, on pourrait penser que l’on parle de la même problématique qu'à propos du faire interprétatif. Ce qui se passe, en fait, c’est qu’alors que ce que l’on traite en sémiotique a vocation à décrire, surtout, un acte cognitif, la réception dont la sociologie et l’anthropologie parlent n’a plus ces limites et dépasse largement

l’objectif de ne décrire qu’un acte cognitif. Ainsi, il faut déjà mettre en alerte sur le fait que des textes tels que les fanfics, les fanfilms (des nouvelles et des court-métrages faits par des fans) ou les discussions tenues dans les forums ne peuvent pas être inclus dans le moment du faire interprétatif, l’interprétation décrite comme un acte cognitif, mais dans un moment ultérieur où on fait usage de ce qu’on a compris du texte. Nous suivons ainsi la distinction entre usage et interprétation faite par Eco (ECO, 1987 : 5-27) et comprenons bien qu’inclure les fanfictions, les clubs de fans, les lettres aux journaux, etc. dans l’étude de la ‘réception’, suppose de penser à celle-ci au-delà du faire interprétatif. Les fanfics et les fanfilms constituent ainsi des remaniements des contenus appréhendés et saisis lors de l’interprétation, la lecture du texte, et parlent plutôt des usages qu’on fait des contenus. Dans ce sens, les discussions tenues dans le forum se rapprochent plus du moment de l’interprétation, dans le sens où l’échange constitue souvent un moment où on cherche à stabiliser les significations (dans le cas de séries comme Twin Peaks ou Lost, à structure narrative très ouverte, les forums constituent des espaces privilégiés pour discuter les textes et essayer de les comprendre).

Le terme ‘réception’ tel que les théories du même nom l’ont employé, et tel que nous allons le faire dans notre travail, prend pour point de départ le faire interprétatif et inclut les pratiques réinterprétatives et discursives qui se réalisent ultérieurement. Ce qui revient à dire que le terme inclut, et prend comme point de départ, l’acte cognitif qui instaure la mise en relation et compréhension du texte, mais comprend aussi ce que l’individu fait à partir de cette compréhension. Tenir compte du sens large dans lequel on prend le terme sera toujours pertinent, pour ne pas confondre une réinterprétation et un usage créatif de la compréhension avec une polysémie à l’intérieur du texte ou une stratégie interprétative extrêmement astucieuse de la part du spectateur (cf. CONDIT, 1994 : 426-447). Il s’agit,

alors, d’être conscient que l’on emploie le terme réception, mais que quand on parle d’elle on est en train de sortir d’un cadre de description purement cognitif.

En parlant de l’énonciation, on a compris qu’elle entraîne une stratégie, qu’elle met en marche un faire persuasif qui vise ainsi une certaine réponse du récepteur. Il faut alors comprendre que si l’énonciation est un faire, l’interprétation l’est aussi. Elle suppose au moins la démarche cognitive de mettre en rapport des formes de l’expression et des formes du contenu. Le faire interprétatif suppose alors la mise en rapport de ces formes pour rendre lisible l’objet, pour le lire. La description de la réception, comme on vient de le dire, est souvent partie de l’idée que cet acte cognitif se voit mêlé avec la mobilisation de différentes représentations de la part du récepteur (des images de soi, des contenus transmis, de l’énonciateur, etc.) qui font, par la suite, apparaître des significations que la seule étude de la forme du texte ne permettrait pas de voir. Cela veut dire que lors du processus de la mise en relation des formes de l’expression et du contenu, ces images mobilisées interviennent aussi significativement lors de ce rapport sémiotique.

On a ainsi vu un certain regain d’intérêt pour le public en tant que performateur des interprétations, l’intérêt étant de comprendre l’interprétation comme un faire et de voir comment, au sens pragmatique, le spectateur le réalise. On doit certainement ce recentrage sur le public à plusieurs travaux issus des Cultural Studies et à l’attention qu’ils ont su attirer sur eux. Ce qui ne veut pas dire que la problématique ou l’approche soient nouvelles, car elles sont loin de l’être, comme James Curran l’a déjà bien montré (Cf. CURRAN, 1993 : 47-74), mais que la communication de la démarche académique s’est mieux passée de sorte qu’elle a pu concentrer autour d’elle une attention majeure. On peut dire qu'il a eu une meilleure acceptation de la pertinence du sujet, qui a retrouvé alors un écho plus important dans le monde académique.

Dans ce qui suit nous allons présenter la possibilité de créer un pont théorique entre l’angle pris par ces démarches académiques et une approche sémiotique qui s’appuierait plus sur la forme des textes confrontés. Il s’agira aussi d’essayer d’introduire un paradigme qui nous permette de nous sortir de l’axe adhésion versus opposition dans le rapport média-spectateur.