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2. LUTTES FÉMININES ENVERS LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT ET VO

2.2 La réalité autochtone

Cette section présente les enjeux relatifs à la réalité autochtone vis-à-vis des changements climatiques. Au Canada, le Nord est l’une des régions les plus vulnérables aux effets de ces changements, notamment de par la vitesse à laquelle le climat se réchauffe et la situation de dépendance directe envers les ressources naturelles afin d’assurer la survie des communautés (Sellers, 2018). L’Arctique est une région qui représente une grande part des recherches entourant la relation entre le genre et le climat au sein des communautés autochtones. Il s’agit également d’une des régions où les changements climatiques se font le plus sentir, d’où son appellation de « baromètre climatique du monde » (D. Smith, s. d.). D’ici 2050, il est prévu que l’océan arctique sera exempt de glace durant 125 jours annuellement, comparativement à 50 jours en 2015. Ces modifications engendreront des bouleversements dans l’alimentation et la reproduction d’espèces constituant la source de l’alimentation des populations inuites, telles que l’ours polaire, certains oiseaux migrateurs, le caribou et certains poissons. (Cameron, 2012)

Bien que les mesures d’atténuation demeurent nécessaires dans la région nordique, il importe encore davantage de s’orienter vers des mesures d’adaptation en tant que moyen de protéger et de renforcer les moyens de subsistance des Inuits dans un environnement changeant rapidement (Cameron, 2012).

Les populations autochtones maintiendraient 80 % de la biodiversité mondiale sur les terres qu’elles occupent. Il est aujourd’hui démontré que les connaissances, innovations, pratiques et systèmes de valeurs des communautés autochtones vis-à-vis de leurs territoires contribuent à ce que la biodiversité y décline moins rapidement qu’ailleurs. Même si la nature gérée par les peuples autochtones est soumise à une pression croissante, le déclin de la biodiversité sur ces terres est moindre qu’ailleurs. (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques [IPBES], 2019) Ainsi, les communautés autochtones constituent une source de connaissances qui ont le potentiel d’offrir une grande contribution aux efforts globaux de durabilité si les outils et les droits légaux et politiques leur étaient donnés. En outre, « les femmes autochtones se retrouvent à l’avant-garde des efforts, tant locaux qu’à l’échelle mondiale, afin de protéger et défendre ces territoires d’une grande diversité sociale et écologique » (traduction libre de : WECAN, 2018). Selon Whyte (2014), les femmes autochtones assument certaines responsabilités au sein de leur communauté, et leur engagement à remplir ces responsabilités « les motive à assumer des positions de leader » dans la lutte aux changements climatiques.

En effet, en réponse à la problématique globale que représentent les changements climatiques, les femmes autochtones passent à l’action à l’échelle locale. En ligne de front des préjudices environnementaux sur leur territoire, les femmes autochtones sont vulnérables au déplacement et à la migration, de même qu’à l’apatridie, c’est-à-dire le fait pour un individu d’être privé de sa nationalité. Il s’agit d’alors d’une personne qui n’est reconnue par aucun État comme étant son ressortissant. (Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme [HCR], 2019a) L’un des exemples les plus concrets est la disparition potentielle du territoire de certains États insulaires menacés par la montée des eaux.

Un exemple éloquent de mobilisation autochtone est celui du mouvement initié par les femmes de la nation Standing Rock Sioux, qui s’opposaient à la construction du pipeline Dakota Access afin de protéger leurs ressources en eau. Ce mouvement de résistance découlait de leur rôle traditionnel en tant que protectrices de cette ressource. (Penn-Roco, 2016) Ainsi, les femmes de Standing Rock Sioux incarnaient la capacité spirituelle, culturelle et politique d’agir en tant que chef de file dans cette mobilisation et jouaient un rôle fondamental dû au fait que leurs systèmes de connaissances et leur capacité à remplir leur rôle traditionnel étaient menacés d’effacement.

Le féminisme dit « autochtone », de l’anglais « indigenous feminism », s’attarde sur les injustices de genre à l’endroit des femmes autochtones et sur la façon dont ces injustices sont créées par les politiques et pratiques coloniales. Cette version du féminisme se penche donc sur l’intersectionnalité entre le colonialisme et le patriarcat pour mettre en lumière comment leur influence modèle les relations de pouvoir entre les genres. Elle se penche plus précisément sur la façon dont l’appartenance ethnique et le genre

interagissent pour induire une perte de pouvoir social, qui découle de pratiques, tant contemporaines qu’historiques, de colonialisme, de racisme et de sexisme. C’est ce qui amène Cheryl Suzack (2015) à parler d’une double discrimination envers les femmes autochtones. L'objectif est d’atteindre une justice de genre pour les femmes autochtones par l’analyse des façons dont elles ont été marginalisées « non seulement en tant que femmes, mais aussi en tant qu’individus marqués par le racisme et le colonialisme » (Suzack, 2015).

Certains auteurs parlent de deep colonizing, ou colonisation profonde, comme un ensemble de pratiques contribuant à l’effacement de la présence des femmes autochtones. Ces pratiques, bien que visant à renverser les effets de la colonisation, ont plutôt pour effet de les perpétuer au travers de pratiques qui réduisent au silence les savoirs et styles de vie des femmes. (Suzack, 2015) Tout comme la théorie écoféministe considère la crise climatique et les luttes féministes envers l’égalité des genres comme étant interreliées, pour les populations autochtones, les changements climatiques sont directement reliés à la justice environnementale, et donc à des enjeux historiques et contemporains de colonialisme.

Les femmes autochtones développent une connaissance détaillée des phénomènes environnementaux, par exemple en observant les effets des changements climatiques sur « la qualité de la peau des phoques ou la des baies lors des récoltes » (traduction libre de : Figueiredo et Perkins, 2011). En somme, elles sont « des sources précieuses et expertes de savoirs vis-à-vis des changements climatiques et des priorités à l’échelle locale puisque les changements climatiques ont des répercussions sur leurs rôles et responsabilités » (traduction libre de : Figueiredo et Perkins, 2011). Les voix autochtones offrent une occasion d’avoir une compréhension plus riche de ce tissage de liens entre le genre et la nature. Toutefois, en accédant et en utilisant les savoirs des femmes autochtones, les chercheurs, scientifiques et décideurs doivent reconnaître que l’accès à ces savoirs doit s’accompagner de réelles tentatives de décolonisation. Le cas contraire, l’utilisation de ces connaissances en les séparant de leur contexte politique risque de s’apparenter à une appropriation. L’autodétermination des autochtones et la décolonisation sont nécessaires afin de réclamer ces savoirs traditionnels de manière légitime. (L. Nixon, 2015)

Le rapport D5 de l’IPBES (2019) énonce également que la reconnaissance des connaissances, innovations, pratiques et valeurs des peuples autochtones « et leur inclusion et participation dans la gouvernance de l’environnement » améliore souvent « la conservation, la restauration et l’utilisation durable » de la nature. Toujours selon le rapport, leur contribution positive à la durabilité est facilitée par, notamment, l’amélioration de la collaboration et la mise en application du consentement libre, préalable et éclairé.

Ce rapport propose une liste d’approches pour atteindre un développement durable. Elle met notamment de l’avant le fait de promouvoir des stratégies de gouvernance inclusives à travers l’engagement des parties

prenantes et l’inclusion des communautés autochtones. Pour ce faire, le rapport suggère de permettre l’inclusion et la participation des communautés autochtones, ainsi que des femmes, dans la gouvernance environnementale. (IPBES, 2019)

La relation de proximité qu’entretiennent les communautés autochtones avec la nature est issue de leur compréhension que leur mode de vie est directement tributaire de l’état de santé de l’environnement (Association des femmes autochtones du Canada, 2015). En effet, la terre, l’eau et les ressources naturelles sont des atouts majeurs au développement culturel et économique des communautés (Association des femmes autochtones du Canada, 2018). Pour la protection de ces richesses naturelles, les femmes autochtones se mobilisent devant la menace que représentent les pratiques extractives sur leur territoire.

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