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2) Réactivité de l'interface

Chapitre II : Adsorption et confinement : cadre générale et revue

VII- 2) Réactivité de l'interface

Pour qu'une surface s'altère, il faut que les produits de dissolution soient exportés afin d'entretenir les conditions de sous saturation dans la "phase" aqueuse, pour cela il faut que la phase soit étendue. Dans la majorité des cas, l'adsorption se fait de façon localisée par empilement de paquets d'eau sur la surface (que nous appellons "patches" ou îlots) au niveau des sites spécifiques. Ceci est caractéristique du processus d'adsorption de l'eau et non de la surface. Sur une silice pyrogénique à température ambiante et à 60% HR, 1/3 des silanols de surface est encore sans interaction avec des molécules d'eau alors que l'on décrit l'adsorption d'une double couche statistique [Humbert 1991 ; Carteret 1999]. Des études SPFM (scanning polarization force microscopy) ont montré la présence d’îlots métastables de forme polygonale à température ambiante sur du Mica [Hu 1995 ; Miranda 1998]. La formation préliminaire d'îlots 2D (pour des HR < 50%) et 3D (pour des HR supérieurs) a aussi été suggéré par [Al Hosney et Grassian 2005] pour l'adsorption d'eau sur la calcite. Dans les îlots 2D les molécules d'eau n'ont que des interactions latérales comme si elles appartenaient à une monocouche. Le passage du 2D au 3D se fait par l'établissement d'un réseau de liaison hydrogène tridimensionnel possédant une dynamique équivalente à celle de l'eau volumique. Nous reparlerons de cette notion de 2D/3D dans la discussion du chapitre IV. La surface n'est

recouverte d'un film d'eau continue, que lorsque ces "patches" entrent en contact et se condensent les uns aux autres.

L'eau pure n'est pas très réactive, elle met du temps pour dissoudre les minéraux. Mais qu'il y ait dissolution ou non on peut se demander comment un état solide et un état liquide peuvent coexister en gagnant une continuité interfaciale malgré le saut de nature ? Ou alors, comment passe t-on d’une phase solide dont la structure est à priori stable à une phase dissoute en solution ? Pour répondre à ces questions il faut s'interroger sur la structure de l'interface et se demander s'il y a une transition brutale ou s'il s'établit une couche diffuse entre le solide et le liquide ? Si la transition est brutale, les 2 partenaires de l'interface sont distincts thermodynamiquement et il faut fournir une énergie d'activation pour les faire réagir. En revanche si la transition se fait à travers une couche diffuse, les deux états (liquide et solide) convergent l'un vers l'autre en structure mais aussi en réactivité. La mise en place de l'interface est alors simultanée à une interaction mutuelle qui abaisse la barrière de potentiel pour activer la dissolution ou la précipitation.

La nature particulière des films d'adsorption laisse supposer des capacités de réactions différentes de celles qui se produisent dans l'eau volumique. Quelques observations renforcent cette hypothèse, par exemple selon [Goodman et al., 2001] l'eau adsorbée sur les particules atmosphériques dissout plus rapidement l'acide nitrique et les quantités dissoutes augmentent même pour certaines particules. Il existe un lien entre la dissolution des minéraux et la structure de l'eau adsorbée [Brown et al., 1999]. On constate un faible taux de solubilité relatif

à la faible quantité d'eau ordonnée à l'interface brucite-eau et RuO2-eau [Arsic et al., 2004a].

C'est l'inverse avec l'interface KDB (potassium di-hydrogen phosphate)-eau [Reedjik et al., 2003] et NaCl (100)-eau [Arsic et al., 2004b], qui montrent une forte structuration bien corrélée avec leur forte solubilité. Si on raisonne uniquement en terme de réactivité de l'eau, la structuration du liquide équivaut à une intensification de la liaison hydrogène et devrait induire une baisse de la réactivité. Ce qui contredit le lien entre hydrophilie et structuration de l'eau vicinal [Tarasevich et al., 2002]. En fait comme l'eau se structure, les solides semblent s'amorphiser avec une hydratation des ions de surface similaire à leur solvatation en solution [Kerisit et al. 2005]. Les observations faites sur l’alumine [Eng et al. 2000]3 et la structuration

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de l’eau sur les surfaces hydrophiles alimentent ce scénario d’action réciproque ou d'interaction mutuelle de l'eau et du solide. [Cabrera-Sanfelix 2006] montre par DFT (density functional théorie) que la déliquescence de NaCl (100) peut se produire avec une monocouche

d'eau et que dans certaines configurations les ions Cl- peuvent émerger spontanément à la

surface dans la couche d'eau. [Crupi et al., 2004] montrent que la fonctionnalité des protéines semble être inhibée lorsque le niveau d'hydratation décroit.

En plus de ces quelques travaux, on sait par exemple que la conductivité électronique est favorisée par la structuration et l'orientation des molécules à l’interface. Nous pouvons donc penser que d'un point de vue global, les réactions de type redox (transferts d'électrons) sont probablement modifiées (pour ne pas dire améliorées) à l'interface.

VIII] Les points particuliers que développe la thèse.

La première question que nous nous sommes posée est de savoir si l'eau de film possède définitivement des caractéristiques spectrales (structurales) qui lui sont propres ? Nous avons cherché à valider l'utilisation d'une méthode d'observation capable de donner un signal moyen de l'état de l'eau adsorbée, pour éviter d'avoir à étudier des interactions spécifiques entre l'eau et la surface.

Les méthodes optiques sont sur ce plan très avantageuses et nous proposons au chapitre III une étude de la structuration de l'eau par IR. Pour la réaliser, nous avons utilisé la reflectance diffuse sur des poudres d'oxydes de façon à obtenir un signal moyen de l'eau présente dans un milieu pulvérulent à grains fins. L'utilisation de poudre fine permet de multiplier le nombre d'interfaces traversées et augmente les chances d'observation. De plus l'assemblage aléatoire des grains dans une poudre reproduit en partie la complexité d'un sol en permettant, entre autres, la présence d'eau capillaire et d'eau adsorbée. Nous verrons que la simplicité de la technique permet d'envisager des études comparatives entre des surfaces de nature très différentes, allant des surfaces hydrophiles aux surfaces hydrophobes. Combinée avec l'utilisation de supports modèle comme la MCM-41, la reflectance diffuse permet une observation directe du signal de l'eau confinée ce qui ouvre des perspectives sur l'étude du confinement et des effets de seuils, c'est à dire sur la portée du champ interfacial.

Le travail présenté au chapitre IV est basé sur l'étude du fractionnement isotopique en hydrogène entre l'eau adsorbée sur des tubes de silices poreux et la vapeur. Le dispositif permet de faire varier l'humidité relative jusqu'à la condensation de l'eau dans les petits pores

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de 10 nm, largement majoritaire dans la distribution porale des tubes utilisés. L'expérience ainsi menée permet d'étudier les 2 situations interfaciales que nous avons distinguées au début de ce chapitre à savoir l'adsorption et le confinement.

Dans le chapitre V, nous essayons de déduire les fréquences de vibrations du stretching OH de l'eau à partir de deux modèles théoriques du fractionnement. L'objectif est de coupler "quantitativement" les résultats IR et isotopiques et de montrer la cohérence des observations faites à partir de deux méthodes différentes.

Pour finir, nous donnerons les conclusions et surtout les perspectives de ce travail exploratoire.

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