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Partie I – Développement d’un couplage d’Hiyama sulfonylant

Chapitre 1 – Contexte et intérêt de l’étude

1. Réactions de couplage croisé

La chimie organique est le domaine de la chimie qui s’intéresse aux molécules organiques, c’est-à-dire constituées d’un squelette carboné. La formation de nouvelles liaisons carbone–carbone revêt alors une importance principale, et à cet égard, les réactions permettant de former de telles liaisons y jouent un rôle central, comme illustré par divers prix Nobel : l’utilisation de réactifs de Grignard (1912), la réaction de Diels-Alder (1950), la réaction de Wittig (1979), la métathèse d’oléfines (2005) et dernièrement les réactions de couplage croisé (2010).1

Ces dernières consistent à coupler deux molécules distinctes grâce à un catalyseur métallique, souvent à travers la formation transitoire de liaisons métal–carbone (Figure I-1). En permettant de nouvelles transformations jusqu’alors impossibles, elles se sont imposées comme un outil de choix pour les chimistes synthétiques.2

Figure I-1 : Schéma général des réactions de couplage croisé

1.1. Une brève histoire des réactions de couplage croisé

Historiquement, les premières versions catalytiques de réactions de couplage croisé qui furent décrites utilisaient des métaux abondants tels que le nickel (Job, 1923-1924, Figure I-2a),3 le cuivre (Meerwein, 1939, Figure I-2b)4 ou le cobalt (Karash, 1941-1943, Figure I-2c).5

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Cependant, c’est le palladium et sa grande gamme de réactivité, qui ont permis ensuite le véritable essor du domaine. Inspiré par le procédé Wacker et les premiers travaux d’alkylation allylique pallado-catalysée de Tsuji, Heck décrivit tout d’abord plusieurs exemples de fonctionnalisation d’alcènes grâce à des composés organomercuriques (Figure I-3a).6 La découverte de l’aptitude du palladium(0) à procéder à des additions oxydantes avec des halogénures vinyliques et aromatiques7 permit de s’affranchir de ces réactifs hautement toxiques. Ainsi, au début des années 70, Mizoroki8 et Heck9 rapportèrent tous deux, de manière indépendante, la fonctionnalisation d’alcènes non-préfonctionnalisés avec des halogénures aryliques grâce à des catalyseurs de palladium (Figure I-3b et 3c).

Figure I-3 : Premiers exemples de couplage développés par Heck

Alors que le couplage de réactifs de Grignard et d’halogénures avait été étudié avec divers catalyseurs de cobalt (Karash, 1941),5 cuivre (Gilman, 1952),10 fer et argent (Kochi, 1971),11,12 et nickel (Corriu et Kumada, 1972),13 Murahashi utilise en 1975 un catalyseur au palladium et montre pour la première fois la possibilité d’utiliser des organolithiens comme partenaires de couplage (le palladium étant alors utilisé de manière stœchiométrique, Figure I-4).14

Figure I-4 : Premiers couplages croisés pallado-catalysés

Du fait des limitations inhérentes aux composés organomagnésiens et organolithiens (notamment l’intolérance vis-à-vis de groupements fonctionnels sensibles), les chimistes se sont attachés lors des années suivantes à élargir cette réactivité à de nouvelles espèces organométalliques plus douces (Figure I-5). En 1976, Negishi utilise tout d’abord des composés organoaluminiques15 et -zirconiques16 mais c’est avec l’utilisation d’organozinciques,17 un an plus tard, qu’il obtient les meilleurs rendements et la plus grande sélectivité. Dans sa démarche d’extension des partenaires nucléophiles, Negishi rapporte aussi les premiers résultats à partir d’organostanniques

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et -boroniques mais ne poursuit pas ces pistes.18 Ces réactions sont alors majoritairement développées par Migita et Stille pour les premiers (1977-1978)19 et par Suzuki et Miyaura pour les seconds (1979).20 Ces composés, faiblement nucléophiles, ont permis l’obtention de réactions compatibles avec de nombreux groupements fonctionnels et hautement chimiosélectives. L’importante toxicité des composés organostanniques a néanmoins conduit à une plus grande popularité de la réaction de Suzuki-Miyaura auprès de la communauté chimique. Enfin, en 1988, Hiyama décrit le couplage d’organosilanes, en utilisant une source de fluorure pour activer la liaison C–Si, faiblement polaire.21

Figure I-5 : Réactions de couplage avec un nucléophile organométallique

Ces réactions ont bénéficié de nombreuses améliorations au cours du temps, notamment grâce à l’utilisation de ligands, et font l’objet, aujourd’hui encore, de nombreuses recherches. Les avancées récentes incluent notamment l’utilisation de nouveaux partenaires de couplage. Ainsi, des acides carboxyliques et des arènes non-préfonctionnalisés peuvent être utilisés comme nucléophiles, respectivement via décarboxylation et activation directe de liaisons C–H, et des pseudohalogénures (triflates, tosylates, mésylates, etc.) comme électrophiles. De plus, si le palladium a été au centre de tous ces développements, sa faible abondance, son coût élevé et sa toxicité poussent aujourd’hui les chimistes à développer des alternatives à partir de métaux plus abondants (majoritairement le nickel, le cobalt, le cuivre et le fer).

Enfin, les réactions de couplages ne se sont pas limitées à la formation de liaisons C–C : de nombreuses réactions permettant notamment la formation de liaisons C–N, C–O et C–S ont été développées.

1.2. Vision générale du mécanisme

Le mécanisme des réactions de couplage croisé est basé sur l’aptitude du catalyseur à changer de degré d’oxydation au travers de processus élémentaires et repose sur un schéma général pouvant être résumé par la Figure I-6 (illustrant le cas du palladium(0)).

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Figure I-6 : Schéma général des mécanismes des réactions de couplage catalysées par du palladium(0)

Le palladium, au degré d’oxydation zéro, débute le cycle catalytique par une étape d’addition oxydante en s’insérant dans la liaison carbone–(pseudo)halogène de l’électrophile.

Dans le cas d’une réaction où le partenaire nucléophile est une espèce organométallique, le complexe alors formé, au degré d’oxydation II, subit ensuite une étape de transmétallation avec le composé organométallique (l’activation par une base peut alors être nécessaire, notamment dans le cas des organoboroniques et organosilanes, moins réactifs). Enfin, à la suite d’une isomérisation plaçant les deux groupements carbonés en position cis, l’étape d’élimination réductrice permet finalement de régénérer le catalyseur et conduit au couplage des deux fragments par formation d’une liaison σ.

Dans le cas de réactions de type Mizoroki-Heck, le partenaire alcénique se coordine au complexe de palladium ayant subi l’addition oxydante et procède à une étape d’insertion migratoire (carbo-palladation), au cours de laquelle la liaison σ entre les deux partenaires est formée. Une étape de β-élimination permet ensuite de reformer la fonction alcène. Le produit est alors obtenu par décoordination et le catalyseur est régénéré grâce à l’élimination de l’halogénure d’hydrogène, favorisée par la présence d’une base.

Enfin, dans le cas d’une réaction de couplage croisé engageant un nucléophile neutre (réaction de type Buchwald-Hartwig), le mécanisme est similaire à celui impliquant des composés organométalliques, l’étape de transmétallation étant remplacée par l’addition du nucléophile au complexe de palladium(II) puis sa déprotonation.

Les différentes étapes élémentaires peuvent elles-mêmes s’effectuer selon différents mécanismes, non détaillés ici.