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Réactions au colloque organisé le 19 décembre 2008 par l’INP en partenariat avec le CNFPT, l’INET et l’ENSSIB.

Des Monuments historiques à l’Inventaire géné- ral, c’est toute la gamme des relations entre le monde de la conservation et l’activité de recherche qui a été développé. Point de représentant des Monuments his- toriques, donc. Il serait pourtant faux d’écrire qu’on n’y fait point de recherche. Des revues, bien connues, existent dans cette institution, des ouvrages s’y pu- blient, les publications reçues par l’administration centrale témoignent de l’activité des conservateurs en région. Reste que, peu nombreux et relativement iso- lés, les conservateurs de Monuments historiques pa- raissent avoir un rapport tout personnel à la recherche, difficilement quantifiable, difficilement évaluable, et, en tout état de cause, peu structuré institutionnelle- ment (signalons à ce propos que la sous-direction des Monuments historiques et des espaces protégés ne dispose par de bilan annuel de leurs activités de re- cherches, alors qu’un tel instrument de mesure existe pour les conservateurs des antiquités et objets d’art).

A l’autre extrémité du panel, on a pu apprécié, à travers les intervention des Julie Faure (Inventaire d’Ile-de-France), MariePottecher (Inventaire d’Al- sace) ou Marie Gloc (Inventaire départemental de la Moselle), toute la spécificité de cette institution ori- ginale, naguère institution de recherche fondamen- tale interne au Ministère de la culture (il incarnait le « fait scientifique » du patrimoine, cher à André Chastel et Jean-Pierre Babelon tout autant que ces derniers voyaient dans les Monuments historiques le paradigme de son « fait administratif »)5, aujourd’hui

institution de recherche appliquée, au service des col- lectivités pour la construction des territoires par leur

compréhension (voir à ce propos l’exemple développé par Julie Faure à propos des de l’étude des carrières de Romainville).

Dans l’entre-deux, musées bibliothèques et ar- chives, s’ils se distinguent les uns des autres par la nature des collections détenues, paraissent entretenir avec l’activité de recherche une position assez simi- laire, sans doute assez bien résumée par l’analyse qu’en donna Isabelle Chave à propos des Archives. La relation à la recherche se construit selon trois axes distincts. Elle est d’abord affaire de contacts profes- sionnels, avec les organismes de recherche locaux, nationaux ou internationaux, et inclut en la circons- tance souvent la pratique occasionnelle ou régulière de l’enseignement dans un établissement universitai- re6. Elle est ensuite une question de mise en œuvre au

quotidien des méthodes et des savoirs et savoir-faire de la recherche : le conservateur retrouve alors les fondamentaux de sa formation initiale, c’est la dimen- sion scientifique de son cœur de métier qui valide son expertise patrimoniale et rend possible la valorisation par l’institution de conservation des fonds qu’elle col- lecte et communique. Elle est enfin, et c’est encore une question d’expertise, une aide à la prise de déci- sion des tutelles – dimension capitale dans le cadre d’une collectivité, mais peut-être plus encore dans les cercles des administrations centrales.

Indissolublement politique patrimoniale et dis- cipline scientifique, l’archéologie a pleinement manifesté la singularité d’un positionnement obsi- dional plein de richesses mais sans doute difficile- ment reproductible : la loi sur les Archives n’est pas

– Dieu Merci – une loi sur l’Histoire de France, pas plus que celle sur les Monuments historiques ne légi- fère dans le domaine de l’Histoire de l’architecture, mais il existe une loi sur l’Archéologie, et l’Archéolo- gie est une. Didier Delhoume a mis en évidence cette spécificité, insistant sur la pratique directe de la re- cherche par les conservateurs dans le cadre des SRA (le système de conventions entre le Ministère de la culture et le CNRS portant sur 14 UMR facilite cette implication directe), mais aussi sur la place centrale du conservateur archéologue dans les étapes de la re- cherche archéologique, qu’elle soit préventive ou pro- grammée : prescription, administration, coordination, évaluation7. Il conviendrait d’ajouter l’essor récent de

la valorisation de la recherche archéologique, à tra- vers le développement des centres de conservation et d’étude8.

Revenants et spectres

La recherche est donc de retour, elle existe bel et bien dans les métiers de la conservation, est-on tenté d’écrire à l’écoute de ces témoignages, mais aussi en entendant les exposés de l’après-midi, tournés vers les relations entre recherche et développement des territoires, mais qui incluait la présentation du déve- loppement de grands projets collectifs, tels que les catalogues régionaux, éléments parmi d’autres de ces « cathédrales du savoir que sont les grands catalogues nationaux », selon l’expression de Thierry Claerr. La recherche est de retour, est cela est bienvenu, tant il

est vrai que l’invocation, plus que l’introduction ef- fective, du discours managérial dans les politiques de conservation il y a de cela quelques quinze à vingt ans avait pu faire croire à une marginalisation progressive de ces activités dans la carrière des responsables de bibliothèques, de musées ou de centres d’archives. Le parti affiché par plusieurs intervenants était plu- tôt celui de la recherche d’une synthèse, voire d’un partenariat gagnant-gagnant entre le conservateur- chercheur et le conservateur-manager, la capacité à déléguer – et donc le savoir-faire dans la direction d’une équipe – étant peut-être bien la clef du succès en la matière. Une recette que personne ne s’est risqué à livrer coram populo, mais dont Matthieu Desachy, dans un autre contexte, avait brillamment défini les grandes lignes9.

Reste qu’à cette recherche active, utile, parce qu’incluse dans les politiques patrimoniales nationa- les ou territoriales, on aurait pu opposer un rapport à la recherche moins valorisant, car moins valorisable : l’image ancienne mais tenace du conservateur confit dans ses recherches absconses, dévot des sociétés sa- vantes locales, comme soudé trente années durant à son poste, mais pourtant comme absent à sa fonction, tout accaparé par ses travaux d’écriture particuliers. Cela n’a point trop été le cas, même si quelques re- marques, par la négative, laissent entrevoir cette autre image de la recherche dans les métiers de la conser- vation : Maïté Van Marque évoquait par exemple à ce propos la crainte « de n’être qu’un chercheur », qui plus est « enfermé dans sa tour d’ivoire », tout autant que la nécessité de « ne pas sa couper des gens ».

Image de la recherche dont on ne sait trop à quel mo- dèle de métier elle fait référence, mais qui en tout état de cause n’est pas celle de nos conservateurs. Quant aux sociétés savantes, loin d’être de poussiéreuses académies, elles sont promues partenaires des insti- tutions de conservation, et relais efficaces en direc- tion de la société civile, comme l’a montré François Dussoulier à partir de l’exemple Haut-Alpin, viviers, peut-être même, de mécènes...

En définitive, parlant d’une profession qui se vit dans « une éternelle tension » entre la recherche et l’action, Maïté Van Marque livrait sans doute la clef de compréhension de l’ethos d’une profession qui s’est construite historiquement moins sur le modèle d’une opposition entre science et administration que sur celui d’un enrichissement de l’une par l’autre : modèle qui est celui de tous les grands corps techni- ques de l’Etat, depuis la création de celui de Ponts et chaussées au XVIIIe siècle…

Absente(s)

Plutôt que d’agiter l’épouvantail défraîchi de l’érudit chartiste à l’ancienne mode, mieux vaut s’interroger brièvement sur les absents de la journée. Soyons di- rect : le premier et le plus flagrant est la recherche elle-même, ou plus exactement le questionnement sur ce que l’on entend par ce mot. Rien n’en a été dit ou presque. Partant, autant de conservateurs, autant de définitions possibles de la recherche, des plus restric- tives et des plus structurées, très proches de celles qui

ont cours dans le monde de la recherche profession- nelle, aux plus extensives, jusqu’à risque de perdre en chemin l’objet qu’on se propose de saisir : avec toute sa difficulté et toute son utilité, et bien qu’il néces- site souvent des recherches approfondies, un travail d’inventaire en archives est-il à proprement parler une activité de recherche ? Cela mérite une discussion. A fortiori, la préparation et la publication de normes pour ces mêmes inventaires est-il une activité consti- tutive de la recherche ? Question encore plus ouverte. Enfin, la mention de la construction d’une institution de conservation, qui facilitera certes grandement le travail des chercheurs, est-elle vraiment à sa place dans un exposé sur la recherche dans les métiers de la conservation ? A répondre positivement, on s’ex- poserait à inclure dans l’activité de recherche tout ce qui fait le métier de conservateur, et un tel colloque n’aurait plus d’objet…

Autre absente, qu’il aurait été plaisant d’évoquer dans les débats, mais que tout le monde a passé sous si- lence – y compris l’auteur de ces lignes : la recherche encore, mais « personnelle », comme on dit. Non pas celle de notre conservateur érudit de tout à l’heure qui accapare jusqu’aux heures de travail dues à l’Etat, mais celle qui se pratique à la marge, et sur laquelle il faudrait s’interroger. Quel est son statut ? Du point de vue de ce qui la pratique, s’entend, car de statut officiel elle n’en a guère. Rémunérée, accomplie pour des travaux de commande, elle est souvent qua- lifiée par les conservateurs de « ménages », gratuite (c’est-à-dire aux frais de son acteur) elle est moins

– pensons-nous – une forme de compensation que la recherche d’une seconde légitimité dans l’exercice du métier : à court terme elle vient renforcer comme un fil de trame la validité de la pratique professionnelle, à long terme elle est l’outil de construction des par- cours personnels évoluant vers le monde de la recher- che académique. Tout cela ferait un bel objet d’étude, pour lequel le questionnement, mais non nécessaire- ment les catégorisations, élaboré par Florence Weber à propos du « travail à côté » des ouvriers de Mont- bard10 serait sans doute utile.

Dernière absente, dont l’absence fut si criante que la salle se chargea de la rendre visible à tous, la recher- che toujours, mais, enfin, l’institution de la recherche. Qu’il n’y ait eu dans la salle aucun représentant du CNRS, de l’ANR, des grands établissements que sont l’EPHE ou l’EHESS, c’est un fait que tout le monde a pu constater. Que ces sigles aient été quasiment ab- sents des propos des intervenants, c’est ce qu’il faut relever et sur quoi il faut s’interroger sérieusement. Là encore, le monde de l’Archéologie et, dans une moindre mesure, celui de l’Inventaire général, se dis- tinguent. Partout ailleurs, c’est au cas par cas qu’il faut rechercher les collaborations. On peut s’en félici- ter et louer l’autonomie du monde de la conservation, qui aurait en matière de recherche sa dynamique pro- pre. On peut aussi s’inquiéter, car si l’institution du patrimoine participe à l’activité scientifique, et cela lui est essentiel, elle ne détient pas la plus forte légiti- mité en ce domaine, constat étayé par la répartition du

pilotage des différents programmes budgétaires… Silhouettes

Enfin, tout cela appelle quelques esquisses, car ce col- loque enrichissant pour tous ses participants et pour la réflexion sur les métiers de la conservation pourrait être à l’origine de chantiers qui nous paraissent né- cessaires.

La diversité des points de vue exprimés, les vi- sions développées par les uns et les autres de l’acti- vité de recherche et de sa place dans la pratique pro- fessionnelle, les zones d’ombres aussi, tout invite à initier une enquête, menée avec les outils des sciences sociales pour explorer plus en détail les relations en- tre métiers de la conservation ( il n’y a pas lieu de la limiter aux seuls conservateurs du patrimoine ou des bibliothèques) et recherche scientifique. Le panel des positionnements observé lors du colloque coïn- cidait peu ou prou avec les données recueillis lors de quelques entretiens d’information menés au sein de la DAPA en vue de la préparation d’une communica- tion et avec les éléments de notre expérience person- nelle de conservateur d’archives au sein d’un service à compétence nationale. Il y a là des hypothèses de travail à approfondir, mais, on l’a compris, c’est tout autant les manques qu’il faudra questionner.

S’agissant de l’un d’eux, clairement manifesté dans le déroulement des débats, à savoir l’absence de connaissance, tout simplement, de l’institution de la recherche, une action devrait être menée avec les

organismes de formations compétents (soit les orga- nisateurs de la rencontre) en vue de la mise en place d’un véritable enseignement pratique du pilotage de la recherche. Notre expérience de cette fonction de pilotage au sein d’une petite structure, la Mission eth- nologie de la DAPA, permet de partager avec beau- coup ce constat : l’organisation de la recherche est complexe, actuellement en constante mutation, et les circuits permettant à des conservateurs de s’y insérer à titre individuel, mais aussi devant leur faciliter la participation de leurs établissements à des actions et programmes collectifs de recherche, sont difficiles à connaître et à maîtriser, pour ne rien dire de la diffi- culté des démarches à mener dès que des budgets sont à rechercher. Cet enseignement doit-il prendre place dans la formation initiale des conservateurs ? Il faut y réfléchir. Sous quelle forme ? La conduite de projets dans tous les domaines (conservation préventive, va- lorisation des collections, égalité des chances) est un des points forts de la formation dispensée par l’INP : sur le modèle des « junior entreprise » des écoles de commerce, ne pourrait-il y avoir au sein de chaque promotion des projets menés tout au long de la scola- rité selon le principe de la conception et de la conduite collective d’un projet de recherche ?

En effet, la rencontre du 19 décembre 2009 a tenu son principal objectif : il apparaît indubitablement que la recherche fait partie de nos métiers… Pour autant, on ne saurait oublier que la recherche, et ce de plus en plus, est elle-même un métier, et qui doit s’apprendre.

Notes :

1. Voir le colloque « L’Archivistique est-elle une science ? » or- ganisé par l’Ecole nationale des chartes et l’Association des archi- vistes français, Paris, la Sorbonne, 30 et 31 janvier 2003.

2. Voir le colloque « Les métiers du patrimoine en Europe, Paris, Auditorium du Louvre, janvier 2005. Un compte-rendu en a été donné par Anne-Marie Bertrand : « La recherche sur / à / par / pour / », BBF, 2005, n° 2, p. 5-6.

3. Citons encore : « Recherches et archives. Journées d’études co-organisées par la Direction des Archives de France et le Centre de Recherche sur le patrimoine culturel », Paris, novembre 2004. Et enfin : « La recherche en archivistique », journée d’études or- ganisée par les étudiants du DESS Histoire et métier des archives, Angers, 16 mars 2001. Version consultable en ligne : http://mem- bres.lycos.fr/archivangers/JE2001-3.htm

4. Voir : Jean-François Delmas, « Carpentras : Le projet scientifi- que et culturel de l’Inguimbertine », Patrimoines, Revue de l’Ins-

titut national du Patrimoine, 2008, n° 4, P. 56-64.

5. Voir : André Chastel et Jean-Pierre Babelon, La notion de pa-

trimoine, Paris, Liana Lévi, 1994, 141 p. Première publication : Revue de l’Art, 49, 1980.

6. A elle seule la question des relations des conservateurs avec le monde de l’enseignement supérieur – et non celui de la recherche – mériterait une enquête fouillée.

7. Notons que cette très forte structuration institutionnelle de la recherche archéologique est également présente au plan interna- tional, par le biais de la commission des fouilles du MAE.

8. Voir : Jean-François Charnier, « Les centres de conservation et d’étude. Une nouvelle politique de l’Etat vers les « dépôts » archéologique et la gestion des mobiliers du patrimoine », Les

nouvelles de l’Archéologie, n° 113, septembre 2008, p. 47-50. 9. Intervention de Matthieu Desachy, directeur de la Bibliothè- que – Médiathèque d’Albi au séminaire « patrimoines » de l’Ecole nationale des chartes, 2 » octobre 2008 : « Faut-il nécessairement être schizophrène pour être conservateur et historien ? ».

10. Florence Weber, Le travail à côté, étude d’ethnographie

ouvrière, Paris, éditions de l’EHESS, 2001, 207 p. (collection

« Les réimpressions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales »)