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I. Généralités sur la réaction de Henry

3. Réaction en conditions hétérogènes

En 1999, Sudalai et al. décrivent l’addition de nitroalcanes sur divers aldéhydes en présence d’hydrotalcites de magnésium-aluminium (Mg-Al HT).87 Il s’agit d’un matériau à trois couches composé de brucite à l’extérieur (4,8 Å) et d’hydrocarbonates à l’intérieur (2,9 Å), insoluble en milieu organique.

Schéma 68 – Utilisation d’hydrotalcites insolubles pour la catalyse de la nitroaldolisation

Ce matériau est introduit à 20 % en masse par rapport aux substrats et permet de catalyser la réaction avec de bons rendements en seulement quelques heures (Schéma 68). Quels que soient les substrats employés, le composé anti est majoritaire, et pour certains, la diastéréosélectivité peut être totale. Cependant, il s’agit là d’un des premier catalyseur hétérogène, et n’ayant pas d’apport de chiralité, aucun test énantiosélectif n’est décrit dans cette publication. Par ailleurs, bien que la question du recyclage soit abordée à plusieurs reprises, les auteurs n’ont pas décrit de procédure pour réutiliser le matériau. C’est le goupe de Hell qui reprend l’étude sur les Mg-Al HT dans la réaction de Henry en abordant brièvement son recyclage.88

Schéma 69 – Recyclage d’hydrotalcites pour la réaction de nitroaldolisation

Les auteurs montrent qu’il est possible de réaliser trois cycles successifs sur le 3-nitrobenzaldéhyde, sans perte d’activité durant la procédure.

87 V. J. Bulbule, V. H. Deshpande, S. Velu, A. Sudulai, S. Sivasankar, V. T. Sathe Tetrahedron 1999, 55, 9325-9332

88

Une version asymétrique de la catalyse de la nitroaldolisation par des matériaux multicouches insolubles similaires a été envisagée par Choudary et al.. Les auteurs ont intégré des composés organiques chiraux (proline, (S)-binol) entre deux couches de sels métalliques (LDH) pour conduire aux matériaux LDH-proline et LDH-binol correspondants (Schéma 70).89

Schéma 70 – Utilisation de matériaux composés de sels métalliques et de molécules organiques chirales

Les résultats obtenus sont bons en terme de rendements (75 – 98 %), mais médiocres en terme d’énantiosélectivité. De plus, bien que les organo-LDHs soient insolubles dans le nitrométhane utilisé comme solvant, aucun recyclage n’a été envisagé. Les mêmes auteurs ont ensuite publié leurs travaux sur les nanocristallites d’oxyde de magnésium préparés par aérogel (NAP-MgO).90

Schéma 71 – Utilisation de nanocristallites d’oxyde de magnésium en présence de binol

En présence de ligands tels que le binol, le tartrate de diéthyle, ou les diamines chirales, il est possible d’induire de la stéréosélectivité dans la réaction. Avec le S-(-)-binol à 14 mol% dans le milieu, de très bons excès énantiomériques sont obtenus (jusqu’à 98%). Cependant, aucune réutilisation du catalyseur hétérogène n’est décrite.

89 B. M. Choudary, B. Kavita, N. S. Chowdari, B. Sreedhar, M. L. Kantam Catal. Lett. 2002, 78, 373-377

13167-Parmi les différents processus d’hétérogénéisation connus, la silice est un support fréquemment étudié et le groupe de Abdi décrit en 2006 l’utilisation des complexes hétérobimétalliques de Shibasaki.91 De la silice mésoporeuse agencée en canaux hexagonaux (MCM-41) est utilisée pour le greffage covalent du complexe de binol (Schéma 72).

Schéma 72 – Recyclage de complexes hétérobimétalliques greffés sur supports silylés

Quatre cycles successifs sont réalisés sur l’hydrocynamaldéhyde comme substrat de départ. Bien que l’activité du catalyseur ait tendance à baisser au cours du recyclage (le rendement passe de 77% à 66%), l’énantiosélectivité ne diminue que très légèrement. Toutefois, l’excès énantiomérique observé en conditions homogènes (73 %)42 est un peu diminué par le passage du catalyseur en phase hétérogène au premier cycle (67 %).

La première étude du greffage covalent de bis(oxazolines) sur support de type silice pour la catalyse de la réaction de Henry a été faite par Kim et al. en 2010.92 Ainsi, l’indabox est attachée au support de type silice grâce à une réaction click entre un alcyne et un azide (Schéma 73). O N N O O O N N N O H N O Si O O N N N O N H O Si O O O O O O 5 5 Cu(OAc)2 O H OMe OMeOH NO2 MeNO2(10 éq.) catalyseur (5 mol%) EtOH, 25°C, 60 h catalyseur : rdt = 97 ... 78 % ee = 84 % stable 5 cycles

Schéma 73 - Recyclage de Cu(OAc)2-bis(oxazolines) greffés sur supports silylés

Dans les conditions de catalyse homogène décrites par Evans et al., l’excès énantiomérique observé sur l’orthométhoxybenzaldéhyde est de 93%. Avec le support greffé, l’excès énantiomérique du premier cycle ne s’élève qu’à 84%. La phase hétérogène fait donc baisser

91 A. P. Bhatt, K. Pathak, R. V. Jasra, R. I. Kureshy, N.-u. H. Khan, S. H. R. Abdi J. Mol. Cat. 2006, 244, 110-117

92 J.-M. Lee, J. Kim, Y. Shin, C.-E. Yeom, J. E. Lee, T. Hyeon, B. M. Kim Tetrahedron : Asymmetry 2010, 21, 285-291

de 10% l’énantiosélectivité du catalyseur dans la réaction. Cependant, et bien que, comme précédemment, l’activité baisse quelque peu au cours du recyclage avec 97% de rendement au premier cycle et seulement 78% au cinquième, il n’y a pas de perte d’énantiosélectivité à travers la récupération du catalyseur. Il s’agit ici d’une bonne méthode de recyclage en terme de conservation des excès énantiomériques avec seulement 5% de catalyseur introduit initialement dans le milieu.

Un deuxième exemple d’hétérogénéisation de bisoxazolines chirales est présenté ci-dessous, reprenant les travaux de Bellemin-Laponnaz. Une structure silylée dendrimérique portant ces ligands chiraux coordinant des sels métalliques d’acétate de cuivre est engagée dans la réaction du nitrométhane avec l’orthonitrobenzaldéhyde, fournissant le produit de nitroaldolisation en trois jours, avec un excès énantiomérique de 82 %. L’hétérogénéisation est faite par emprisonnement du dendrimère dans une membrane organo-cellulosique, dite en « sachet de thé (tea bag) ». Bien que la réaction soit relativement lente, les auteurs observent une bonne conservation des rendements au cours de la procédure de recyclage (de 67 à 86%, Schéma 74). Une légère baisse de l’énantiosélectivité est cependant notée entre le troisième cycle (88 %) et le septième cycle (77 %).93

Schéma 74 – Recyclage de dendrimères de complexes Cu(OAc)2-bis(oxazolines) selon une méthode en sachets de thé

L’équipe de Bandini s’est intéressée à l’immobilisation de diamines chirales sur supports de type PolyEthyleneGlycols (PEG).94 L’acétate de cuivre (II) est employé ici pour mener à terme la réaction (Schéma 75) sans ajout de base.

Schéma 75 – Recyclage de diamines chirales greffées sur PEG en présence de sels de cuivre (II)

La procédure de recyclage est mise en place sur le benzaldéhyde avec 5% de catalyseur et de bons excès énantiomériques sont observés aux différents cycles (87 – 84%), avec cependant une légère perte d’activité au fur et à mesure de la réutilisation avec 20% de perte de conversion entre le premier et le cinquième cycle.

Récemment, l’équipe de Schulz a développé un nouveau type de catalyseur hétérogène formé de thiophène-Salen électropolymérisés pour le recyclage de la réaction de Henry.95 Les complexes monomériques de chrome-salens sont polymérisés par électrochimie, les rendant ainsi insolubles en milieu organique.

Schéma 76 – Recyclage de Cr(III)-thiophène-salens électropolymérisés

L’ortho-méthoxybenzaldéhyde est engagé dans la procédure en présence de 4% de poly-salen, permettant le recyclage de la réaction avec une baisse à la fois de l’énantiosélectivité (ee = 77 – 34%) et de l’activité (rdt = 93 – 10%) après 5 cycles successifs. Cependant, cette publication décrit le tout premier exemple de procédure de recyclage multisubstrat pour la réaction de nitroaldolisation, dans laquelle il est question de faire varier la nature de l’aldéhyde de départ à chaque nouvelle réutilisation du catalyseur. Ainsi, une première réaction est réalisée avec l’ortho-méthoxybenzaldéhyde (ee = 54%) avec un excès moindre que celui obtenu en conditions homogènes : 82%. Au second cycle, c’est le cyclohexane carboxaldéhyde qui est engagé (ee = 51%), puis l’hexanal (ee = 38%) pour un troisième cycle. Une baisse des excès énantiomériques est cependant observée par rapport aux conditions

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homogènes (respectivement 80 et 83% dans les mêmes conditions). Malgré l’aspect novateur de cette procédure, durant le recyclage l’activité baisse jusqu’à obtenir des rendements relativement faibles (11% au sixième cycle) et il y a une légère perte d’énantiosélectivité, ce qui permet de conclure à un possible relargage du catalyseur au fur et à mesure du recyclage. Le dernier exemple de recyclage de catalyseur pour la réaction de Henry porte sur la catalyse organique. Ce sont les cyclodextrines qui sont utilisées par le groupe de Pitchumani pour promouvoir la réaction.96 Cependant, ces cyclodextrines ne sont pas introduites en quantités catalytiques, mais à 100 mol% dans la réaction. Toutefois, comme le montre le Schéma 77, il est possible de recycler le réactif par simple lavage à l’acétate d’éthyle dans lequel il est insoluble. Les excès énantiomériques obtenus sont excellents et il y a conservation de l’activité et de l’énantiosélectivité au cours du recyclage.

Schéma 77 – Recyclage d’amino-cyclodextrines en catalyse organique

Au travers des exemples décrits tout au long de cette introduction bibliographique, nous avons pu montrer qu’une multitude d’espèces catalytiques peut être employée. Qu’ils soient organiques ou organométalliques, la variété de ces différents catalyseurs permet l’accès à divers nitroalcools possédant un ou plusieurs centre stéréogènes, dans des conditions pouvant être adaptées à la réactivité des substrats de départ. La plupart des systèmes décrits permettent d’obtenir de bons résultats en terme d’activité et d’énantiosélectivité, bien que la nécessité d’ajouter ou non une espèce basique au milieu ne soit que rarement discutée, mais semble relativement importante. Parmi le peu d’exemples de recyclage jusqu’alors décrits pour cette réaction, la plupart des équipes notent une nette diminution de l’activité catalytique à partir du troisième cycle, qui s’accompagne souvent d’une baisse plus ou moins importante de

l’énantiosélectivité. De plus, le nombre de cycles illustrés reste très faible dans la plupart des cas avec au maximum sept utilisations successives du catalyseur. La partie qui suit traitera du travail que nous avons entrepris sur le recyclage de bis(oxazolines) modifiées pour la réaction de nitroaldolisation énantio- et diastéréosélective, par l’intermédiaire d’interactions non-covalentes.