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La réémergence des revendications des anciens résistants luxembourgeois à la fin des années 1950 pour un statut légal de la « Résistance » s’inscrit dans le contexte de la politique

d’indemnisation de la République fédérale d’Allemagne (RFA) en faveur des pays européens

occupés durant la Seconde Guerre mondiale. Avec l’accord de Londres sur les dettes extérieures

allemandes de 1953, la règlementation des réparations par l’Allemagne est ajournée jusqu’à la

signature d’un traité de paix et c’est ainsi que la RFA refuse d’accorder des indemnisations aux

pays qu’elle a occupés durant la guerre. De même, la loi fédérale sur l’indemnisation des

victimes de la persécution nationale-socialiste (Bundesgesetz zur Entschädigung für Opfer der

nationalsozialistischen Verfolgung BEG) de 1956 exclut les étrangers. Mais la même année, le

Luxembourg, la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, l’Angleterre et la

Grèce s’adressent ensemble à la RFA pour réclamer des indemnisations pour leurs habitants

persécutés sous la domination nationale-socialiste. A partir de 1958/1959, ces pays, qui ne

parviennent pas à trouver un consensus dans leurs revendications, entament des pourparlers

bilatéraux avec la RFA qui débouchent sur des traités bilatéraux généraux (Globalabkommen)

avec cette dernière, dont le traité germano-luxembourgeois du 11 juillet 1959, ainsi que le traité

germano-français du 15 juillet 1960 et le traité germano-belge du 28 septembre 1960

724

.

Ce contexte a une double répercussion sur le milieu des anciens résistants

luxembourgeois. D’une part, la LPPD se retrouve dans un échange international soutenu avec

les associations d’anciens résistants de ces pays afin de coordonner leurs revendications et elle

723

« Iwert d'Arbechten vun zwè Joer », in Rappel, 1962, n°8-9, p. 369-375, ici p. 373.

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HOCKERTS Hans-Günter, « Die Entschädigung für NS-Verfolgte in West- und Osteuropa », in HOCKERTS Hans-Günter (et al) (éd.), Grenzen der Wiedergutmachung. Die Entschädigung für NS-Verfolgte in West- und Osteuropa 1945-2000, Göttigen, Editions Wallstein, 2006, p. 7-58; WINSTEL Tobias, « Vergangenheit verjährt nicht. Über Wiedergutmachung », in APuZ , 2013, n° 25/26, p. 3–8.

organise même une conférence internationale à ce sujet à Esch-sur-Alzette en 1958

725

. En

contact avec ces associations, les anciens résistants luxembourgeois prennent de nouveau

conscience que notamment en France et en Belgique, leurs camarades bénéficient de statuts

légaux qui confèrent une reconnaissance matérielle et morale à leur engagement. C’est ainsi

que la LPPD revendique une assimilation des anciens résistants luxembourgeois avec leurs

pairs français et belges, comme nous venons de le voir.

D’autre part, le traité germano-luxembourgeois de 1959 exclut les « enrôlés de force »

des indemnisations de la RFA, puisque celle-ci refuse de les reconnaître comme « victimes du

nazisme ». Les « enrôlés de force » sont assimilés aux soldats allemands de la Wehrmacht qui

ne bénéficient que d’un soutien financier pour les mutilés de guerre dans le cadre de la loi

fédérale sur les soins des victimes de la guerre (Gesetz über die Versorgung der Opfer des

Krieges / Bundesversorgungsgesetz BVG) de 1950. Au vu de cette non reconnaissance, les

« enrôlés de force » sortent de leur léthargie qui les caractérisait au cours des années cinquante.

Ils se réorganisent dans une nouvelle « Fédération des victimes du nazisme enrôlées de force »

(FVNEF) en janvier 1961 et éditent le périodique Les Sacrifiés. Dans ce contexte, il importe de

souligner que les « enrôlés de force » luxembourgeois, français et belges se rassemblent même

dans une « Fédération internationale des Victimes du Nazisme Enrôlés de Force » en 1962.

Comme l’indique le nom même de leur fédération, les « enrôlés de force » luxembourgeois

cherchent désormais à être reconnus en tant que « victimes du nazisme » et s’inscrivent

davantage dans une mémoire victimaire traumatique

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. Ils entrent ainsi dans cette deuxième

phase d’un mouvement social visant à se faire reconnaître dans une culture dominante différente

(la « Résistance ») en insistant sur ce qui les distingue, c’est-à-dire leur statut de victime

singulière

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. Néanmoins les « enrôlés de force » luxembourgeois tiennent également à amender

la loi des dommages de guerre de 1950 en réitérant toujours leur volonté d’être assimilés aux

anciens résistants, comme cela s’est déjà produit dans l’immédiat après-guerre. Depuis le début

des années 1960, la FVNEF se mobilise en organisant régulièrement des manifestations de

protestation. En dehors de cette mobilisation sociale, la FVNEF élabore en 1963 un projet de

loi pour un statut juridique propre aux « enrôlés de force » dans lequel elle demande d’une part

la reconnaissance en tant que « victimes du nazisme » aux « enrôlés de force » et d’autre part

la réintroduction officielle de la mention « Mort pour la Patrie » pour leurs camarades

725

Cf. chapitre II.b.

726 KLOS, Umkämpfte Erinnerungen, p. 206-224.

décédés

728

. Le gouvernement donne une suite favorable à cette dernière requête

729

et le 7 mai

1963, est établie une commission spéciale pour l’octroi de la mention honorifique « Mort pour

la Patrie »

730

.

Ce sont ces activités et projets émanant des « enrôlés de force » qui incitent les anciens

résistants à réitérer leur propre demande d’un statut juridique de la « Résistance ». La

réémergence de cette revendication, en veille depuis 1948, est donc avant tout une réaction à la

réorganisation et la mobilisation des « enrôlés de force » et ce surtout à partir de 1964. Une

analyse du Rappel a montré que la LPPD reste silencieuse sur l’activité associative de la

FVNEF entre 1961 et 1963. Mais à partir 1964, les associations d’anciens résistants se

mobilisent à leur tour pour solliciter leur propre statut juridique et s’opposer aux revendications

des « enrôlés de force » : comme cela était déjà le cas durant les années 1940, les anciens

résistants refusent que les « enrôlés de force » obtiennent la mention « Mort pour la Patrie » et

s’assimilent au milieu résistant. Il importe néanmoins de souligner que les anciens résistants ne

s’opposent pas à ce que les « enrôlés de force » soient reconnus en tant que « victimes du

nazisme ».

La réaction des associations d’anciens résistants se manifeste sous quatre formes.

Elles émettent tout d’abord des résolutions et des lettres de protestation individuelles.

En janvier 1964, le « Groupement Indépendant des Maquisards Luxembourgeois » (GIML)

proteste dans une résolution contre l’attribution aux « enrôlés de force » du titre « Mort pour la

Patrie ». Il est d’avis que « l’affirmation suivant laquelle les mobilisés de force dans la

Wehrmacht qui n’ont pas déserté – dans le but d’éviter à leur parents la menace d’une

déportation éventuelle – auraient, par là-même, fait un acte caractérisé de résistance, est tout à

fait incorrecte. En effet, il n’y a aucun lien entre l’acte caractérisé de résistance et le fait d’avoir

eu l’intention d’éviter aux parents des inconvénients et privations éventuelles. […] Il y va de

l’honneur de la Résistance et des résistants tombés sur le champ d’honneur »

731

. « Les Insoumis

- Armée secrète » s’oppose également à l’attribution de la mention aux « enrôlés de force »

« tant qu’il ne sera pas prouvé que l’intéressé ait fait un acte de résistance contre l’ennemi

732

. »

728

KLOS, Umkämpfte Erinnerungen, p. 286.

729 CDRR, CNR, Dossier 309 « Mention Mort pour la Patrie » : lettre du Ministre de l’Intérieur Pierre Grégoire au président du COR Paul Faber du 25.07.1961 ; « Mémoire du Conseil National de la Résistance au sujet de la mention “Mort pour la Patrie“ », in Rappel, 1973, n°2, p. 70-83, ici p. 72.

730

Règlement ministériel du 28.05.1963.

731

CDRR, CNR, Dossier 309 « Mention Mort pour la Patrie » : résolution du GIML du 07.01.1964. p. 1-2.

732 CDRR, CNR, Dossier 309 « Mention Mort pour la Patrie » : lettre de l’association « Les Insoumis - Armée secrète » aux présidents de la Chambre, du Conseil d’Etat et du Gouvernement du 15.02.1964.

La LPPD adresse une lettre aux présidents de la Chambre des députés, du Conseil de l’Etat et