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Les règles de conflits spéciales en matière d’atteinte à l’environnement

Partie I: La responsabilité civile en matière d’atteinte à l’environnement:

Chapitre 2 — ................Le droit matériel national: aperçu des principaux moyens

A. Les règles de conflits spéciales en matière d’atteinte à l’environnement

l’environnement se comptent toujours sur les doigts d’une seule main. Parmi les lois en vigueur, la loi de droit international privé suisse constitue, à notre connaissance, toujours la seule exception; mais une proposition pour une règle expresse en la matière vient aussi d’être formulée au Japon. Ces deux règles, qui choisissent une approche différente, sont l’objet des explications qui suivent.

129 Il est à préciser que la Conférence de La Haye ne participe pas à ces négociations.

130 Voir pour une présentation très récente de l’état des discussions ROLF WAGNER, Ein neuer Anlauf zur Vereinheitlichung des IPR für ausservertragliche Schuldverhältnisse auf EU-Ebene, EuZW 1999, p. 709-714, où il est indiqué que le groupe de travail favoriserait comme règle générale pour les délits à distance l’application de la loi du lieu du dommage (p. 711).

131 Le texte en français, adopté lors de la Huitième réunion annuelle du Groupe qui s’est tenue à Luxembourg du 25 au 28 septembre 1998, est reproduit dans la RCDIP 1998, p. 802-807, et l’ IPRax 1999, 286-288. La traduction anglaise est reproduite dans la NILR 1998, p. 465.

132 Voir l’art. 3 de la proposition, dont la teneur est la suivante:

«1 L’obligation non contractuelle dérivant d’un fait dommageable est régie par la loi du pays avec lequel elle présente les liens les plus étroits.

2 Lorsque l’auteur du fait dommageable et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment du fait dommageable, il est présumé que l’obligation présente les liens les plus étroits avec ce pays.

3 Lorsque l’auteur du fait dommageable et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans des pays différents au moment du fait dommageable, il est présumé que l’obligation présente les liens les plus étroits avec le pays dans lequel le fait générateur et le dommage se sont produits ou menacent de se produire.

4 Les présomptions des paragraphes 2 et 3 sont écartées lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que l’obligation présente des liens plus étroits avec un autre pays.

5 Lors de l’appréciation des liens les plus étroits, il pourra être tenu compte d’une relation préexistante ou envisagée entre les parties. »

1. La Suisse – le Günstigkeitsprinzip

Le droit applicable aux actes illicites est réglé aux articles 132 à 139 de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP). Les dispositions se divisent en deux sections. La première comprend les articles 132 et 133. L’article 132 prévoit la possibilité d’une élection de droit qui est toutefois limitée au droit du for, c’est-à-dire au droit suisse; de plus, elle ne peut intervenir qu’après l’événement dommageable. Quant à l’article 133, il prévoit un rattachement général qui intervient à chaque fois que les parties au litige ne se sont pas mises d’accord sur le droit applicable. La deuxième section comprend les articles 134 à 139. Cette deuxième section comporte des règles particulières, dont une consacrée aux immissions dommageables provenant d’un immeuble (art. 138).133 Il est à noter qu’en droit suisse interne, ces prétentions relèvent des droits réels (droit de voisinage).134 Le législateur a donc retenu une catégorisation différente en droit international privé, puisque la disposition se trouve dans le chapitre consacré au droit des obligations (section des actes illicites).135 L’article 138 a la teneur suivante:

«Les prétentions résultant des immissions dommageables provenant d’un immeuble sont régies, au choix du lésé, par le droit de l’Etat dans lequel l’immeuble est situé ou par le droit de l’Etat dans lequel le résultat s’est produit.»

La disposition envisage des situations telles que des émissions d’une installation industrielle (telles que des émissions de fumées ou de gaz), le bruit de trafic provenant des aéroports frontaliers, la pollution des cours d’eaux, de l’air, etc.

Le législateur suisse n’a pas voulu trancher en faveur de l’une ou de l’autre des deux lois à prendre en considération dans une telle situation transfrontière, à savoir la loi de l’Etat dans lequel l’immeuble est situé et la loi de l’Etat dans lequel le résultat s’est produit. L’article 138 LDIP fait prévaloir l’intérêt du lésé qui pourra choisir entre ces deux lois. Contrairement à une élection de droit (art. 132), ce droit d’option est exercé unilatéralement. Le lésé profitera ainsi de l’application de la loi qui lui est plus favorable (Günstigkeitsprinzip); quant à l’auteur des émissions, il devra se soumettre à la loi la plus restrictive sous l’angle de l’exercice de ses droits de propriétaire.136

L’article 138 ne précise pas les modalités du choix du lésé. Il paraît toutefois évident que le lésé devra soumettre ses prétentions, dans la mesure où elles découlent d’un événement déterminé, à une loi unique. En effet, il ne serait guère conforme au but de cette disposition de permettre au lésé de varier son choix en fonction du moyen invoqué ou selon la question juridique litigieuse. Cela provoquerait à l’évidence des situations juridiques fort complexes et imprévisibles pour le défendeur.137 Notons encore que la question de savoir quelle loi doit être appliquée lorsque le lésé ne procède pas au choix, est très controversée en droit suisse.138

133 Le rapport entre l’art. 132 (possibilité d’une élection de droit) et les art. 134 à 139 (consacrés à des cas particuliers d’actes illicites) est controversé. La question qui se pose est celle de savoir si les parties au litige peuvent également choisir le droit applicable pour les cas énumérés aux art. 134 à 139, ou si cette possibilité est limitée à l’hypothèse générale prévue à l’art. 133. La réponse à cette question n’est pas aisée et la doctrine est partagée.

S’appuyant sur une interprétation systématique de la loi, certains auteurs tendent à exclure l’art. 132 du champ d’application des art. 134 à 139; en effet, l’art. 132 est placé sous la note marginale «en général» et logiquement ne devrait donc pas s’appliquer au chiffre 2 qui porte le titre «en particulier» (dans ce sens, ANDREAS BUCHER, Les actes illicites dans le nouveau droit international privé suisse in: Le Nouveau Droit International Privé Suisse, Publication CEDIDAC, vol. 9, Lausanne 1988, p. 107-141, p. 116). En revanche, les interprétations littérales et historiques tendent à donner à l’art. 132 un rôle plus vaste qui permettrait, du moins pour certaines des hypothèses envisagées aux art. 134 à 139, à donner aux parties la possibilité de choisir le droit applicable.

134 Voir supra p. 23 et seq.

135 BERNARD DUTOIT, Commentaire de la Loi fédérale du 18 décembre 1987, 2ème éd., Bâle 1997, ad Art. 138, no. 2; voir aussi VONBAR, op. cit. (note 52), p. 361-363, avec d’autres références.

136 Les art. 135 (responsabilité du fait d’un produit) et 139 (atteinte à la personnalité) de la LDIP confèrent également un choix au lésé entre plusieurs rattachements alternatifs.

137 BUCHER, op. cit. (note 133), p. 107–141, 136.

138 Sur la question de la mise en œuvre du choix du lésé en général, voir notamment JAN VON HEIN, Das Günstigkeitsprinzip im Internationalen Deliktsrecht, Tübingen 1999, p. 222-268; sur la question spécifique du rattachement lorsque le lésé ne procède pas au choix, ibid., p. 239-242, avec d’autres références. Notons toutefois

Le terme «prétention» au sens de l’article 138 comprend non seulement les demandes en dommages-intérêts, mais aussi les actions en élimination, en cessation, en réparation (matérielle) des dommages, de même que les demandes de mesures protectrices ou préventives. Notons encore que l’article 138 ne concerne que les prétentions formulées contre les personnes privées, à l’exclusion des Etats.139

Les autres dommages à l’environnement qui ne constituent pas des immissions au sens de l’article 138 (par exemple des dommages causés par les vapeurs toxiques résultant de l’explosion d’un camion-citerne), tombent sous l’article 133, en vertu duquel le droit de l’Etat où le résultat se produit est applicable, si l’auteur devait prévoir que le résultat s’y produirait.

2. Le Japon – la lex damni

La principale source de droit international privé au Japon est le Horei, adopté en 1898.140 Le Horei a certes fait l’objet d’une importante révision en 1989, mais cette réforme portait essentiellement sur les règles conflictuelles en matière de mariage et de relations parentales. Les autres parties du Horei, notamment celles relatives aux contrats et aux délits, n’ont pas subi de révision majeure depuis 1898. Un groupe d’étude a été formé en 1990 avec pour mission de réviser les dispositions sur le droit applicable en matière contractuelle et extracontractuelle. Le groupe a présenté les résultats de ses travaux lors de la 91ème réunion de l’Association de droit international privé du Japon, qui s’est tenue à l’Université de Hitotsubashi, le 10 octobre 1994.

Prenant en considération les observations faites lors de cette réunion, le groupe a réexaminé sa proposition et a présenté un nouveau projet d’articles.141

L’article 12 du projet remanié contient une règle spécifique en matière de pollution environnementale, dont la teneur est la suivante: «La responsabilité pour dommages causés par la pollution de l’environnement est soumise à la loi du lieu où le préjudice s’est réalisé».142 La proposition est suivie d’un bref commentaire. Il y est spécifié qu’en vue de protéger les intérêts des personnes lésées, il est «nécessaire et suffisant à la fois de rendre applicable le droit du lieu du préjudice».143 Le commentaire précise en outre que l’application du droit du lieu du préjudice est requise lorsque ce droit confère une protection plus étendue aux victimes que le droit du lieu de l’acte dommageable. En revanche, l’application du droit de la victime est jugée suffisante même si le droit du lieu de l’acte dommageable accorde une protection plus large aux victimes.144 Le commentaire précise encore que l’application du droit du lieu de l’acte dommageable paraît injustifiée en cas de pollution environnementale, puisque ce lieu peut être tout à fait fortuit pour les personnes lésées.145 Enfin, le commentaire précise que le droit du lieu du dommage doit s’appliquer même si l’auteur du dommage «ne prévoyait pas qu’un dommage allait se produire en ce lieu». En effet, toujours selon le commentaire,

«il n’est pas déraisonnable, en cas de pollution environnementale, d’attendre de l’auteur du préjudice qu’il prévoie le lieu du dommage, alors que cette prévisibilité est faible en

que la dernière question posée nous paraît largement théorique dans la mesure où le tribunal a l’obligation d’informer le lésé de la possibilité du choix qui lui est offert (du moins selon la doctrine majoritaire).

139 Au sujet de l’art. 138, voir DUTOIT, op. cit. (note 135), p. 399-400.

140 Loi No 10 du 21 juin 1898, telle qu’amendée par la Loi No 27 de 1989.

141 Voir Draft Articles on the Law Applicable to Contractual and non-Contractual Obligations (1), Japanese Annual of International Law No 39 (1996), et Draft Articles on the Law Applicable to Contractual and non-Contractual Obligations (2), Japanese Annual of International Law No 40 (1997). Le projet comporte en tout 17 articles.

142 Traduction en français établie par le Bureau Permanent.

143 Voir Japanese Annual of International Law No 40 (1997), p. 68 [Traduction en français établie par le Bureau Permanent].

144 Ibid., p. 68-69.

145 Ibid., p. 69.

matière de responsabilité pour produits défectueux qui peuvent causer un dommage à tout endroit où ils apparaissent.»146