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2.1 Le magasin

2.1.3 Règlements, avertissements, consignes et conseils

Une seconde tactique de gestion des employés très présente tout au long de la période à l’étude est l’émission, sous diverses formes, de règles, avertissements, consignes et conseils divers. Ce type de gestion s’incarne souvent par le truchement d’articles qui paraissent dans Le Duprex, dans des communiqués adressés au personnel ou encore dans des brochures officielles remises à l’employé au moment de son embauche. L’étude de tels documents s’avère intéressante dans la mesure où elle est révélatrice de certaines pratiques faisant partie de la culture des employées de Dupuis Frères. En effet, la fréquence de telles publications, de même que l’insistance sur certains points de discipline semble être une forme de réponse à des problèmes de comportement apparemment récurrents parmi le personnel90. Comme d’autres auteurs l’ont déjà montré, cela laisse supposer que la

87 Belisle, p. 90.

88 Dossier « Fêtes et anniversaires, 1939-1944 », Bonne année, Monsieur Dupuis, 1942.

89 Dossier « Spicilège fait par Lionel Goyer portant sur la faillite, 1978 », Article du Devoir « Blessés dans leur fierté, les employés n'en reviennent pas », 6 février 1978. Un autre exemple évocateur se trouve dans une lettre de remerciement d’un employé à Albert Dupuis : « Je vous honore, je vous admire, je vous aime comme j'ai aimé mon père ». (Dossier « Fêtes et anniversaires, 1939-1944 », Lettre de J. Albert Lemieux à Albert Dupuis).

90 Les défaillances dans le comportement des employés ainsi que leur désobéissance envers les règlements sont aussi observables à la lecture des plaintes adressées par les clients. Deux dossiers du fonds DFL y sont consacrés, soit les dossiers P049/G2C0008 et P049/G2C0018, toutefois seulement pour les années comprises entre 1969 et 1977.

désobéissance aux règlements peut bel et bien faire partie de la culture de travail, puisqu’elle représente une forme d’expression des employés, que ce soit une contestation de la gestion des dirigeants ou encore un moyen d’affirmer leur individualité, leur personnalité (lorsqu’il s’agit par exemple de transgressions par rapport au code vestimentaire)91.

La plupart des consignes sont émises pour régler la vie de tous les jours à l’intérieur du magasin. Par exemple, chaque matin, sous la présidence de Raymond Dupuis (1945- 1960), grâce au système de haut-parleurs, la direction rappelle au personnel de garder le plus possible le silence quand ils travaillent et de ne pas perdre de temps à bavarder avec leurs collègues, ce qui parait plutôt mal aux yeux des clients92. Plusieurs fois également, des manuels d’instructions leur sont distribués pour leur signifier ce qu’un bon employé doit et ne doit pas faire. Une consigne, tirée d’un manuel de conduite datant de 1954 destiné aux employés du comptoir postal, s’adresse directement aux jeunes filles qui font montre d’un goût pour une mode sans doute un peu trop avant-gardiste aux yeux des dirigeants : « Les demoiselles doivent se vêtir de manière à mériter le respect de tous », peut-on y lire93. Moult articles du Duprex sont aussi consacrés à la transmission de consignes. En mai 1949, M. Fréchette, directeur du personnel, livre un texte sur l’importance de bien paraître auprès de ses collègues de travail pour maintenir une agréable atmosphère pour tous. Parmi ses conseils, notons entre autres l’importance de la politesse et celle de garder ses soucis et sa vie personnelle pour soi94.

91 Sangster, en analysant les dossiers personnels des employées, a d’ailleurs constaté qu’il y a certaines formes de résistance chez celles-ci. En effet, elles ont de la difficulté à se conformer aux standards du magasin qui ne correspondent pas à leur réalité de vendeuses. Dans « Souriez pour les clients… », p. 124. 92 Dupuis possède un système de 38 haut-parleurs utilisé le matin pour des annonces et discours de motivation, notamment sous la présidence de Raymond. Voir le dossirt « Discours de Raymond Dupuis, 1947-1953 », Annonces faites au haut-parleur du magasin, 13 janvier 1953.

93 Dossier « Manuels d'instructions », Manuel d’instructions pour le personnel du comptoir postal, c. 1954, p. 9.

94 LD, vol. 13, n°12, mai 1949, p. 410. Compte tenu du fait que les collègues de travail deviennent souvent amies, on peut douter que cette directive ait vraiment été respectée.

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Les pages du Duprex reproduisent aussi fréquemment des articles concernant la discipline, tirés d’autres revues dédiées à la vente ou de journaux divers. Par exemple, en octobre 1930, on reprend les propos d’un texte qui donne une série de recommandations à suivre pour être un bon employé de grand magasin : appeler ses collègues monsieur et madame, ne pas bavarder ou se disputer avec eux, ne pas arborer un air condescendant ou ennuyé auprès des clients, ne pas s’appuyer sur le comptoir, mais plutôt se tenir bien droit sur ses deux pieds, ne pas mâcher de la gomme ou manger, etc.95 D’autres consignes fréquentes sont d’éviter les familiarités avec les clients, être poli, ne pas utiliser d’argot, ne pas crier ou siffler et ne pas fumer96. Finalement, une attention particulière est accordée au langage des employés (qui ne proviennent pas nécessairement des classes les plus aisées et éduquées de la société). Pour contrer l’usage d’expressions anglaises inappropriées, un lexique est inséré dans Le Duprex de décembre 1954 à leur intention, où on leur explique, par exemple, qu’il faut dire « Enlève l’étiquette » plutôt que « Ôte le lébeul »97.