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CHEMIN PARCOURU, LIMITES ET QUELQUES RÉFLEXIONS EN GUISE DE CONCLUSION

5.2 Les questions de recherche au regard de l’exploration théorique et empirique

La première question orientant ma recherche a été abordée dans une perspective macroso-ciale sous l’angle plus spécifique de l’histoire de la psychiatrie, de l’évolution des institutions et du droit et dans la perspective des liens interpersonnels. Considérant que cette évolution a donné naissance à la conception actuelle de l’alliance, la relation est à la fois le moyen et la fin de l’action. L’hypothèse sous-jacente tend à révéler l’attention grandissante des institu-tions socio-sanitaires au maintien des libertés fondamentales des personnes, notamment par le développement de la psychiatrie communautaire et la recherche de l’adhésion du public cible à l’offre proposée. Cette évolution comprend le partage de présupposés, consensus professionnels, portant sur la définition des troubles psychiques, mais également sur la na-ture indissociable du processus de changement et du consentement.

En d’autres termes, il est question de la perception qu’a l’intervenant de la personne prise en charge, de son rôle auprès d’elle, dimension qui s’intègre au construit social qu’est l’institution. L’institution peut être alors perçue comme étant le support des relations intersub-jectives dont le but premier n’est pas la production mais plutôt l’aide « au maintien ou au re-nouvellement des forces vives d’une communauté en permettant aux êtres humains d’être capables de vivre, aimer, travailler, changer et peut-être créer le monde à leur image » (En-riquez, s. d., p. 1). Elle ne peut donc simplement être réduite à ses modalités organisation-nelles, celles-ci étant la traduction concrète des différents « systèmes culturels, symboliques et imaginaires » (Idem, p. 5) qui sont à leur origine. Mais les institutions de soin psychique, entendues dans leur sens élargi intégrant l’action sociale, sont particulières dans la mesure où la « relation asymétrique demeure permanente et les individus soignés ne deviendront que rarement des membres actifs de ces institutions » (Idem, p. 6). Ainsi, la rencontre est ca-ractérisée par la présence d’un professionnel, acteur et agent, dont les motivations se prê-tent à l’interprétation et une personne vulnérable et dépendante, dont les besoins sont éga-lement sujets à des lectures différentiées. Et les différentes formes de contraintes – formelles et informelles – auxquelles cette dernière est soumise forment la trame d’un statut social dé-valorisant et d’un projet d’insertion ambigu.

Dès lors, en quoi l’aide apportée par le TS consiste-t-elle ? Au travers de la deuxième ques-tion de recherche, j’ai en premier lieu exploré trois champs de pratiques professionnelles. De part l’inscription des intervenants sociaux dans des services aux missions différentiées, l’aide est apparue comme relevant de petits gestes, d’encouragements à la formulation de deman-des et la recherche de propositions souples et adaptées aux regard deman-des impératifs sociaux et des besoins singuliers. L’intégration d’une définition complexe des troubles psychiques im-plique du point de vue opérationnel d’associer et conjuguer l’offre en matière de soins et d’insertion : une des propositions concrètes adressée aux personnes en vue d’améliorer leur qualité de vie, notion étroitement liée à l’estime de soi, consiste à concilier ces deux axes.

Ainsi, les pratiques en santé mentale se déploient sous forme de réseaux, aux niveaux d’interventions différentiés et articulés. Si l’interdépendance des liens institutionnels apparaît implicitement à travers les extraits d’entretiens, les limites des pratiques de réseau semblent corrélées aux principes mêmes qui les fondent : la spécialisation et la parcellisation. Dès lors se pose la question des articulations et des cohérences, tant du point de vue opérationnel que conceptuel, la mise en application de ces deux niveaux définissant un des enjeux de la santé mentale : la transversalité.

Afin de trouver des alternatives à des pratiques contraignantes tant du point de vue du vécu des personnes, de leur insertion sociale que sur le plan symbolique, les professionnels pro-posent aux personnes de participer à la construction de projets basés sur des compromis (enjeux privés / enjeux sociaux) et de les inscrire dans un processus en lien avec leur trajec-toire personnelle et leurs affinités, ce dans le but de pouvoir augmenter leurs capacités d’agir sur leur propre vie. Mais cet objectif rencontre des limites en partie liées au contexte social, économique et politique dans lequel l’intervenant, l’institution et la personne sont inscrits et en partie corrélées aux difficultés de santé rencontrées par cette dernière.

De ce fait, la pratique professionnelle dans le champ de la santé mentale semble particuliè-rement imprégnée d’enjeux qui mettent en lumière les continuités du lien social, tout comme ses discontinuités, les potentialités de la société et des techniques contemporaines et leurs limites. Si par la diversité des modèles d’intervention, l’institution de soin psychique vise la permanence du lien à travers les réponses aux besoins primaires et secondaires des per-sonnes, elle se confronte également aux problématiques sociales des sociétés industrielles contemporaines; le pouvoir d’agir des personnes et les pratiques visant à augmenter ce po-tentiel, l’empowerment, n’étant pas réductibles aux seules motivations des professionnels.

Du point de vue de la relation, le travailleur social serait face à son obligation d’interférer sur la liberté de la personne dans la perspective de l’aider et de sa conviction que toute évolution

ne pourra reposer que sur le désir de la personne elle-même. Cette contradiction est irréduc-tible et si le TS peut être amené à solliciter un tiers contraignant, à savoir la justice ou le corps médical, ce ne sera qu’après avoir épuisé toutes les autres ressources possibles, ainsi que le prévoit la loi. Cette solution est donc « de derniers recours », plaçant l’intervenant face à une certaine forme d’impuissance. Du moment où le TS fait appel à une mesure contraignante, la perspective de construire une alliance serait reportée dans l’avenir, indi-quant que la contrainte aurait partie liée avec un projet d’accompagnement qui s’inscrit non seulement dans un résultat, la protection des personnes et d’autrui, mais aussi dans un pro-cessus visant l’émergence d’une demande d’aide.

Dans les différentes situations présentées, j’ai cherché à mettre en évidence la construction de l’alliance entre l’intervenant et la personne accompagnée, ainsi que les limites ou obstacles que celle-ci peut révéler. L’analyse reste bien entendu partielle, ce pour des raisons inhérentes à la complexité même de ces relations et compte tenu des contextes professionnels et sociaux qui ont été évoqués. La question des liens explicites qui pourraient être établis entre les conditions de travail, les rythmes professionnels et les normes d’action et la transformation d’une aide im-posée en une aide orientée par la subjectivité de la personne reste ouverte. En effet, les élé-ments liés à l’ancrage institutionnel de l’aide font partie des contraintes qui pèsent sur les pro-fessionnels, avec lesquels ils doivent conjuguer l’action qu’il développeront pour les personnes.

C’est ainsi qu’ils pourront concilier le travail réel et les fondements éthiques de leur action.

La question de l’autonomie des personnes est centrale au regard de ma problématique, mais elle révèle des ambiguïtés. Si elle apparaît en tant que valeur sous-jacente aux pratiques pro-fessionnelles, les intervenants préfèrent d’un point de vue explicite faire appel à celle du res-pect. Cela révèle une posture imprégnée d’humilité qui embrasse les contradictions inhérentes à leur rôle, à savoir un rôle situé aux interstices de l’autonomie et de la bienfaisance. La valeur énoncée de respect semble par conséquent indiquer qu’à l’instar des métiers du soin, le pré-cepte de ne pas nuire à la personne permet au professionnel du social inscrit dans le champ de la santé mentale de définir les alternatives, celles-ci se situant dans l’ « entre-deux », dans une dialectique articulant la commande sociale à la subjectivité des personnes.

5.3 Limites

Les limites de ce travail sont nombreuses, je vais me contenter de mettre en évidence quel-ques éléments qui me paraissent particulièrement significatifs.

Tout d’abord, la construction de mon travail s’est appuyée sur des présupposés humanistes : confronter mes hypothèses de manière plus approfondie m’aurait permis de distinguer da-vantage ce qui tient lieu de discours ou d’intentions. Cela aurait pu par exemple se traduire par une exploration des conditions de vie objectives des personnes, de leurs trajectoires, sur les influences des offres institutionnelles sur leur qualité de vie, sur les différents domaines dans lesquels ils rencontrent l’aide contrainte et le statut social dans lequel ils sont renvoyés.

Il est évident que tous ces éléments n’auraient pas pu être développés dans un travail de cette envergure, mais je pense que mon attention aurait pu davantage être orientée par les éléments concrets et le type d’avenir qui sont proposés aux personnes.

Tout en soulignant cette limite, je pense que les concepts proposés ont été trop nombreux et que les liens entre les différentes parties ont donc été plus difficiles à établir. La problémati-que de mon travail n’a de ce fait pas toujours très clairement orienté le déroulement de mes réflexions.

Enfin, la question économique étant incontournable lorsque l’on cherche à distinguer les lo-giques qui sous-tendent les pratiques professionnelles, elle implique d’observer comment la rationalisation des coûts influence ces dernières et dans quelle mesure. C’est faire le cons-tat de la forte dépendance des travailleurs sociaux au contexte qui les environne, question que j’aurais pu davantage souligner.